«La physionomie de la Suisse actuelle date d’environ 20'000 ans»

Ancien enseignant de géographie, le Fribourgeois Michel Joye publie un ouvrage sur l’histoire géologique romande. Un livre destiné au grand public et qui propose un regard différent sur le passé de notre région.
21 septembre 2023 Aurélie Jaquet
© Pierre-Yves Massot

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de consacrer un ouvrage à l’histoire géologique de Suisse romande?
L’idée m’est venue après avoir réalisé qu’il n’existait aucune publication de ce type chez nous. Les géologues académiques se concentrent sur la recherche et ont peu de temps à accorder à la vulgarisation. Je souhaitais écrire un livre qui soit accessible au grand public. En géologie, les durées se mesurent en millions, voire en milliards d’années, alors que notre référentiel est de l’ordre d’une centaine d’années. D’où le fait d’utiliser l’échelle d’une vie humaine pour se représenter les grandes époques qui ont façonné notre monde. Ainsi réduite, la Terre est née il y a 90 ans, l’atmosphère pourvue d’oxygène est arrivée 44 ans plus tard, les dinosaures, qui nous semblent avoir vécu il y a très longtemps, sont en réalité apparus il y a quatre ans et notre espèce s’est développée en Afrique il y a deux jours.

Mais à l’échelle réelle, de quelle époque date la Suisse romande telle que nous la connaissons aujourd’hui?
Sa physionomie actuelle commence à se dessiner à partir de 20’000 ans en arrière. Mais en ce temps-là, notre territoire comptait davantage de plans d’eau et quelques-uns étaient plus grands. Certains d’entre eux aujourd’hui séparés étaient jointifs. C’était le cas notamment des lacs de Bienne, de Neuchâtel et de Morat, qui n’en formaient qu’un seul. Ce sont les alluvions amenées par les fleuves qui ont colmaté leurs parties peu profondes et conduit à leur séparation.

Vous rappelez également que le Léman était plus étendu qu’aujourd’hui. Comment s’est-il constitué?
Son bassin s’est formé par surcreusement. Lorsque l’immense glacier du Rhône débordait des Alpes, il sortait vers la région de Villeneuve (VD) et se divisait en deux lobes: une partie était canalisée par les Préalpes romandes ainsi qu’un bout du Jura et se terminait vers Soleure. L’autre suivait le contour des Préalpes chablaisiennes et débordait jusque dans la zone de Lyon. Le poids gigantesque du glacier a dégagé une quantité de matériaux très importants qu’il a poussés sur le fond et entraînés avec lui. Quand il a fondu, ce creux s’est rempli d’eau et a donné vie au Léman. Il allait alors jusqu’à Saint-Maurice (VS), avant d’être comblé lui aussi par des alluvions pour peu à peu prendre la forme qu’on lui connaît.

Bio express

Né à Fribourg en 1952 et titulaire d’une licence universitaire en sciences naturelles, Michel Joye a été enseignant de géographie au collège Saint-Michel. Il est l’auteur de «Terre – L’histoire de notre planète de sa naissance à sa disparition» (EPFL Press). «Histoire géologique de Suisse romande» est son deuxième ouvrage.

La Romandie recèle une importante collection de fossiles, notamment au Mormont (VD). Pourquoi ce lieu est-il si riche?
Il y a 40 millions d’années environ, cette zone était une assise calcaire émergée évoluant dans un climat tropical. On estime qu’il y faisait dans les 20°C en température moyenne annuelle, soit bien plus qu’actuellement, autour des 12°C maximum sur le Plateau suisse. Aux étés pluvieux succédaient des hivers plus secs. Ce type de climat et la nature calcaire de la roche ont conduit à la formation de fissures dans le terrain qui ont été élargies par la dissolution due à l’infiltration des eaux chaudes. À l’époque, des petits mammifères, essentiellement des primates, mais aussi quelques carnivores, rongeurs et insectivores se sont fait piéger dans ces cavités et ont été recouverts par les argiles provenant des sols rouges tropicaux. Par la suite, le Mormont a été touché par un incident tectonique qui l’a soulevé, créant ce qu’on appelle un horst. Cette élévation a permis à l’érosion de révéler plus facilement ces trésors enfouis. Désormais, on sait la région particulièrement riche en fossiles.

Pour le reste du territoire, les découvertes restent-elles le plus souvent accidentelles?
Oui, il y a toujours une part de hasard dans ces trouvailles géologiques, qui ont lieu la plupart du temps lors de forages ou de gros travaux. C’est par exemple en décapant une série de roches pour le chantier de l’autoroute A16 dans le Jura qu’on est tombé sur des traces de dinosaures et une ancienne forêt pétrifiée. Cela a d’ailleurs motivé le canton du Jura à créer une structure spéciale gérée par des paléontologues, qui s’occupe aujourd’hui de ces découvertes.

Vous évoquez aussi le mammouth laineux mort il y a 16000 ans à la vallée de Joux et retrouvé par un ouvrier dans une gravière du Brassus (VD) en 1969. À quoi ressemblait la région à cette époque?
La Suisse quittait une période de glaciation qui durait depuis 100‘000 ans. Dans le Jura, de grands glaciers étaient en train de fondre. Ce mammouth arpentait des terres nouvellement dégagées. Le sol était pourvu d’un fond herbeux dominé par des masses mal consolidées, et cet animal a très certainement été emporté puis enfoui sous ces roches.

Y avait-il déjà une présence humaine en Suisse?
On ne peut pas exclure le passage à cette période de chasseurs magdaléniens, comme ceux qui vivaient à Lascaux (F). Il est probable qu’il y ait eu quelques incursions dans les terrains récemment déglacés vers le nord, parce qu’ils étaient relativement riches en gibier, preuve en est ce squelette de mammouth mis au jour. Même avant la fin de la glaciation, dans la grotte de Cotencher (NE), on a retrouvé les restes d’une dame néandertalienne datée selon les scientifiques de plus de 40000ans. Cette trouvaille prouve qu’il y avait du passage. Mais les traces d’une installation stable de populations humaines en Suisse remonte à environ 10‘000 ans av. J.-C.

Photographies: une affaire de famille

Les images de l’ouvrage sont signées de Pierre Joye, le frère de l’auteur. Elles ont été prises au cours d’une trentaine d’excursions effectuées par les deux hommes entre 2018 et 2022. Les clichés ont été réalisés depuis des sentiers de randonnée facilement accessibles à tous, et les lieux peuvent être identifiés grâce aux coordonnées GPS mentionnées dans les légendes. Né en 1957, ancien enseignant à l’école primaire, Pierre Joye est passionné par la montagne et la géologie. Aujourd’hui retraité, c’est un membre actif du Photo-Club de Fribourg.

+ d’infos Histoire géologique de Suisse romande, Michel Joye et Pierre Joye, EPFL Press.

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