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La science ne cesse d’innover pour réduire l’usage des pesticides

Dans ce dernier volet de notre série consacrée aux initiatives dites «phytos» du 13 juin, nous avons voulu savoir où en est la recherche en matière de développement d’alternatives à ces traitements.

La science ne cesse d’innover pour réduire l’usage des pesticides

Si la question des pesticides de synthèse est aujourd’hui au cœur des débats, elle occupe la recherche agronomique depuis plusieurs décennies déjà. En Suisse, les deux principaux centres de compétences en la matière sont le FiBL (Institut de recherche de l’agriculture biologique) et Agroscope, organisme de la Confédération. «Nos premiers travaux sur l’impact des pesticides de synthèse et la recherche de solutions pour en diminuer l’usage datent des années 1970. Cette thématique occupe actuellement un tiers des 120 projets que nous menons», explique Alain Gaume, responsable du domaine stratégique de recherche «Protection des végétaux» à Agroscope. Deux axes principaux de travail se dégagent: la compréhension des maladies et des nouveaux pathogènes ainsi que le développement d’innovations permettant de réduire l’utilisation des pesticides et leur impact sur l’environnement. Alain Gaume rappelle toutefois que toutes les cultures ne sont pas égales face aux pathogènes. «Les plus sensibles sont les cultures spéciales – viticulture, arboriculture et maraîchage –, fortement mises sous pression par les ravageurs et les maladies. Du côté des grandes cultures, celles qui sont sarclées, comme la pomme de terre, la betterave ou le colza, sont aussi particulièrement problématiques, car les entrelignes présents sur les parcelles constituent par exemple un environnement propice à l’installation de mauvaises herbes.» Les avancées de la recherche permettent toutefois d’entrevoir des solutions pour tenter de pallier certains de ces problèmes en limitant l’impact des traitements sur l’environnement.

Outils de précision
La plateforme Agrométéo (www.agrometeo.ch) élabore ainsi des modèles de prévisions qui permettent d’anticiper l’apparition de pathogènes sur les cultures dans plusieurs régions de Suisse. Ces données météorologiques sont effectuées par plus de 170 stations appartenant à Agroscope et aux cantons. Elles offrent une projection jusqu’à cinq jours à l’avance des dangers à venir pour différentes cultures. Mises gratuitement à la disposition des agriculteurs, ces informations leur permettent de déterminer avec précision le moment et la zone à traiter, et par conséquent de réduire les quantités de produits administrés. Particulièrement adapté à la viticulture et à l’arboriculture, cet outil est utilisé par plus de 3000 producteurs en Suisse et permet notamment de diminuer de 15% les traitements de la vigne.

Complémentarité prometteuse
Autre piste étudiée: le remplacement de certains produits phytosanitaires par des molécules jugées moins à risque pour l’environnement. Dans le cas de la betterave ou de la pomme de terre, par exemple, des essais ont été menés pour tenter de limiter l’installation des insectes porteurs des pathogènes problématiques tels que des virus en recouvrant la parcelle de paille ou en la traitant avec certaines huiles d’origine naturelle. «Ces alternatives ne remplacent souvent pas les produits phytosanitaires, mais peuvent s’employer en complément. Dans certains cas, ils permettent d’éviter la dernière application de produits plus conventionnels avant la récolte», précise Alain Gaume.

Création de nouvelles variétés
La mise au point de variétés résistantes constitue également l’un des domaines phares de la recherche. Le programme de sélection végétale des céréales mené par Agroscope a notamment abouti à la création de variétés capables de se passer de fongicide. «Le niveau moyen de résistance aux maladies des nouvelles variétés d’Agroscope est relativement élevé, suffisant en tout cas pour que, en 1991, des mesures telles que le programme «extenso» aient pu être introduites, encouragées par les paiements directs», explique Alain Gaume. Des recherches sont aussi menées dans le domaine viticole afin de développer des cépages résistants aux maladies, de même que dans l’arboriculture. L’institut de Wädenswil (ZH) a par exemple produit des variétés de pommes résistantes à plusieurs maladies. Et les chercheurs des stations de Changins et de Pully (VD) sont satisfaits de leurs derniers nouveaux cépages divico et divona, montrant une résistance élevée à la pourriture grise, au mildiou et à l’oïdium, tout en profitant d’un très bon potentiel œnologique. Certaines plantes donnent en revanche du fil à retordre aux chercheurs. C’est le cas notamment de la betterave sucrière. «La recherche a du retard en la matière, car, pour la problématique de la jaunisse par exemple, ce sont quatre virus différents qui attaquent la plante. Développer une variété résistante à tous ces pathogènes rend la tâche compliquée, d’autant que nous n’aurions aucune garantie que la teneur en sucre d’une nouvelle variété soit optimale pour son utilisation.» Alain Gaume estime donc que, concernant la betterave, au minimum vingt ans de recherches seront nécessaires en utilisant les techniques traditionnelles pour aboutir à l’élaboration d’une plante performante. Et sans garantie de succès.

Utilisation de drones et robots
Depuis quelques années, des essais ont lieu pour tenter de remplacer les hélicoptères par des drones dans le traitement des parcelles viticoles. Ces engins, capables de voler un mètre seulement au-dessus des plantes, permettraient de réduire les quantités utilisées tout en évitant une dispersion des produits sur les parcelles environnantes et parfois les zones d’habitation voisines. À Yverdon-les-Bains (VD), la société ecoRobotix, en partenariat notamment avec l’EPFL et l’État de Vaud, a également mis au point des robots intelligents destinés au désherbage des grandes cultures. Alimentés par des panneaux solaires, ils sont dotés de caméras capables d’identifier l’apparition de mauvaises herbes et de pulvériser les produits à l’endroit précis où la parcelle en a besoin. Grâce à ce système, il serait possible de se passer à 95% d’herbicides, selon ecoRobotix.

Élaboration de modèles
Les parcelles-laboratoires d’Agroscope permettent aux scientifiques de mieux connaître les problématiques rencontrées par certaines plantes cultivées et de mettre au point des stratégies applicables sur le terrain par les agriculteurs. «L’idée, c’est par exemple de calculer à partir de quel seuil un insecte devient nocif et de conseiller les professionnels. Dans les conditions de production actuelles, nos études montrent notamment que le colza peut supporter jusqu’à 10 méligèthes par plante, sans perte économique de rendement. Des traitements et des coûts inutiles peuvent être évités. Si ce nombre est supérieur, le calcul joue en faveur d’une intervention», dit Alain Gaume. Ces conseils permettent là encore de traiter à bon escient et de réduire l’usage d’insecticides quand ce n’est pas nécessaire.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Agroscope Carole Parodi/DR

Questions à...

Armelle Rochat, agronome spécialisée en maraîchage bio au FiBL

Pour quelles raisons est-ce particulièrement complexe de se passer de pesticides de synthèse en maraîchage?
Les cultures spéciales en général présentent de gros défis en agriculture biologique. Les difficultés du maraîchage tiennent à la grande diversité de légumes, qui ont des exigences d’entretien très élevées et donc une forte sensibilité aux attaques de multiples maladies et insectes. De plus, les critères de qualité requis pour les produits et la rapidité de croissance de la plupart des légumes demandent une production intensive et précise.

Sur quels projets prioritaires le FiBL axe-t-il ses recherches?
La sélection de variétés résistantes aux maladies, la promotion de la biodiversité fonctionnelle avec des bandes fleuries favorisant les insectes auxiliaires qui s’attaquent aux ravageurs, ainsi que le développement de produits compatibles avec l’agriculture biologique.

Quelles sont les solutions actuellement les plus prometteuses?
Nous réalisons des essais directement avec les maraîchers sur leur ferme afin de répondre au mieux aux problèmes actuels. Les légumes résistants tiennent une bonne place ainsi que les différentes techniques de lutte préventive.