La sylvothérapie commence à prendre racine en Romandie

Enlacer un arbre, s’allonger et méditer, seul ou en groupe, dans les bois: les «bains de forêt» attirent de plus en plus de curieux souhaitant renforcer leur lien à la nature. Reportage au Val-de-Ruz (NE).
24 juin 2021 Miguel Rodrigues
Pierre Montavon

D’un pas très lent, huit personnes entourent un tilleul en silence. Elles s’arrêtent. Puis une voix se met à guider le groupe, les yeux clos, dans une méditation. C’est ainsi qu’a commencé le cours de sylvothérapie donné par Joëlle Chautems et son conjoint Julien, la semaine dernière dans une forêt du Val-de-Ruz, près du Pâquier (NE). «Il s’agit de notre petit rituel pour commencer la séance», explique Joëlle.

De tous horizons

La sylvothérapie est de plus en plus prisée en Romandie. Elle consiste à se retrouver en forêt pour s’imprégner de l’environnement naturel, en s’allongeant par exemple contre les arbres ou en les prenant dans ses bras. Une proximité qui serait, selon les partisans de cette approche, bénéfique pour l’esprit comme pour le corps.

Pour suivre les six jours de formation proposés par Joëlle et Julien Chautems, chaque participant a dû débourser 1200fr. Un coût important pour une pratique que certains auraient tôt fait d’assimiler à du charlatanisme. Nos deux thérapeutes s’en défendent: «Nous ne sommes pas des hurluberlus sectaires!» Paysagiste de formation, Julien ajoute: «J’ai un esprit cartésien et je garde les pieds sur terre.»

Ainsi, ce sont ses compétences scientifiques qu’il souhaite transmettre aux participants, leur apprenant notamment à reconnaître les essences qui les entourent. Quant à Joëlle, elle se charge du volet thérapeutique, utilisant le contexte forestier pour guider la réflexion dans une dimension plus introspective. «Après cette formation, ces personnes pourront exercer la sylvothérapie dans un cadre professionnel», précise-t-elle.

Sensibilité écologique

Venue de Monthey (VS) pour s’initier à cette pratique, Chloé souhaite en profiter pour partager ensuite son expérience. «En suivant ce cours, je me fais du bien et j’espère aussi pouvoir montrer à mon entourage les bienfaits que nous apporte la nature», relève-t-elle. Tandis qu’un autre participant estime que cette leçon de sylvothérapie offre «un grand bol d’air loin du formatage quotidien auquel nous sommes confrontés».

Les Chautems ne sont pas les seuls à proposer de se ressourcer en forêt. À côté de son métier d’iconographe, Carine Roth pratique également cette activité depuis un peu plus de quatre ans en Romandie. «Une sensibilité écologique semble attirer de plus en plus de monde vers la sylvothérapie», explique-t-elle. Son objectif? Amener les participants à réfléchir sur leur propre identité, à nourrir l’introspection:

«Une forêt, ce n’est pas seulement une ressource, mais un espace vivant. À partir du moment où on s’autorise à penser cela, alors une relation est possible entre les arbres et nous.» Aux plus sceptiques, elle propose de venir essayer. «Vision critique et dialogue sont les bienvenus. De l’échange, il ressort toujours quelque chose de stimulant.» Tant et si bien d’ailleurs qu’elle souhaite aujourd’hui mettre sur pied la première formation de sylvothérapie en Suisse.

Espaces privés

La présence de sylvothérapeutes dans les bois ne semble pas être un problème pour le garde forestier David Vuillemez, chargé du secteur nord du Val-de-Ruz (NE). Mais il rappelle toutefois que certains aspects doivent être pris en compte: «Bien que les forêts soient libres d’accès, il ne faut pas oublier qu’elles appartiennent soit à l’État soit à un privé. Je conseille donc de prendre contact au préalable avec les propriétaires de l’espace en question, afin que ce genre d’activités se passe au mieux.»

Quitter le divan

Si les «bains de forêt» commencent à séduire les personnes en quête d’une relation plus directe à eux-mêmes et à la nature, il est aussi possible de consulter son psychologue dans un cadre similaire, en se promenant. C’est le concept du «walk&talk», venu de New York, où un psychothérapeute a pu observer sur son patient les bienfaits de cette pratique dans Central Park. Sur ce modèle, la Vaudoise Mireille Régis a fondé, il y a deux ans, son propre cabinet, «Walk2Talk». Avec sept autres psychologues, elle offre désormais la possibilité de consultations en balade à Lausanne, Vevey, Genève et Fribourg.

«Sortir en plein air a des avantages psychologiques et physiques indéniables, soutient-elle. J’observe par exemple une baisse des symptômes dépressifs. La nature ne juge pas, il n’y a pas de panneaux publicitaires, de regards externes, d’interactions potentiellement agressives.» Selon elle, la marche permet par ailleurs de prévenir les risques liés à la sédentarité et entraîne un meilleur engagement du patient dans la discussion: «On va concrètement de l’avant, on est proactif, mais à son rythme», poursuit-elle.

Si la balade s’avère un outil facilitateur, les compétences du psychologue restent toutefois requises, préconise Mireille Régis. Qui va même jusqu’à proposer ce qu’elle appelle des «prescriptions de nature»: «Comme lorsque vous consultez un ostéopathe, nous donnons des petits devoirs à réaliser après les consultations», décrit-elle. Sous la forme d’exercices pratiques, les patients sont donc invités à se recentrer, mais surtout à retourner en forêt pour le faire.

Questions à Stephan Wenger, coprésident de la Fédération suisse des psychologues

La forêt offre-t-elle un cadre bénéfique pour soigner les problèmes psychiques?

Il s’agit d’un environnement propice à l’apaisement, ce qui est déjà positif. Et elle peut parfois être un bon complément aux séances en cabinet ou une alternative pour un patient qui serait réticent à y consulter. C’est par exemple régulièrement le cas pour les adolescents.

Que pensez-vous des consultations en pleine nature?

Certains le pratiquent avec succès, mais tout dépend de la thérapie suivie. À mon sens, il serait contre-indiqué de réaliser un suivi de type psychanalytique en extérieur. Car le cabinet offre un espace sans perceptions externes. Le patient peut plus facilement extérioriser ses pensées face à un mur blanc, comme un écran. En plein air, cette neutralité n’existe pas.

Est-ce plus approprié dans d’autres types de pratiques?

Oui. L’approche psychologique, qui propose soutien, conseil et développement de soi, peut s’y prêter. Et la psychothérapie de type comportementale prévoit des sorties hors du cabinet. Mais de manière générale, le traitement de troubles psychiques comporte différentes méthodes et règles déontologiques qui doivent être respectées. Sortir du cadre du cabinet soulève des questions, également éthiques. Se balader peut ainsi amener une proximité entre le patient et le thérapeute qui n’est pas toujours souhaitable.

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