Décryptage
La vie des puces de canard est aussi haletante qu’un film d’aventures!

Ces parasites, qui peuvent causer des démangeaisons à la suite d’une baignade au lac, sont certes liés aux palmipèdes, mais n’ont rien à voir avec les minuscules insectes auxquels on les associe. Le point avec une spécialiste.

La vie des puces de canard est aussi haletante qu’un film d’aventures!

Fâcheux quiproquo
La canicule incite à se plonger dans les eaux des lacs, avec parfois la malchance d’y attraper des petits boutons. Ces éruptions cutanées sont provoquées par de minuscules larves qui, de fait, se sont trompées de cible: ce sont les canards qu’elles visaient. «Nous confondant avec un palmipède, elles pénètrent sous notre épiderme en quelques minutes. Notre système immunitaire les neutralise immédiatement, les démangeaisons qui s’ensuivent variant selon les individus. Mais elles sont le plus souvent bénignes et disparaissent en quelques jours», explique Isabel Blasco Costa, conservatrice au Muséum d’histoire naturelle de Genève.

Idylle en transit
Si cet organisme microscopique nage en quête d’un canard, c’est qu’il en dépend pour se reproduire. Cette cercaire est dotée de minuscules ocelles qui lui permettent de percevoir la lumière, de même que les ombres et les mouvements de l’eau. Pour peu qu’elle parvienne à s’accrocher, grâce à une petite ventouse, à un oiseau aquatique, des enzymes digestives l’aident ensuite à percer la peau du volatile et à pénétrer dans son système sanguin. Elle y voyage alors jusqu’à se loger dans les vaisseaux qui entourent les intestins et… y attend sa moitié. «Ces parasites du groupe des plathelminthes sont parmi les rares de leur genre à compter deux sexes. Il faut donc un ver mâle et un femelle pour que la reproduction ait lieu», précise la parasitologue.

Deux jours de sursis
Issus de ce couple improbable, qui peut demeurer plusieurs années dans son hôte à plumes, des œufs migrent alors dans l’intestin du canard, d’où ils seront évacués dans l’eau avec les fientes. Et c’est là que l’affaire se complique encore un peu. Ces larves d’à peine 0,2 mm ont en effet entre 24 et 48 heures pour trouver le premier hôte qui assurera leur survie: un petit escargot aquatique. «Attirées par l’obscurité, elles nagent vers les sédiments du lac, à une dizaine de mètres de profondeur au maximum. Elles n’ont guère qu’un jour ou deux d’énergie à disposition pour atteindre leur but. Une fois le mollusque débusqué, elles s’infiltrent en lui jusqu’à gagner ses organes reproducteurs, dont le tissu très nutritif les ravitaillera. Elles s’y installent et, après huit à douze semaines de maturation, produisent une multitude de copies d’elles-mêmes. Puis, dès que la température de l’eau atteint au moins 15°C, elles libèrent quotidiennement des milliers de ces clones  pendant plusieurs semaines.»

Zombie à coquille
Cette réplication asexuée sert à multiplier les chances de la cercaire de trouver ensuite le canard indispensable à sa véritable reproduction adulte. S’il en coûte à l’escargot d’héberger ce trématode – «on dit alors qu’il est à l’état de zombie!» relève Isabel Blasco Costa –, le palmipède ne semble pour sa part guère affecté. Quant à la larve, elle n’a en définitive que peu de chances de survie à chaque étape de son complexe cycle de développement: à une existence éphémère hors de ses hôtes s’ajoute la prédation par les poissons… et les oiseaux aquatiques.

Menaces en hausse
Présente dans la majorité des lacs d’Europe, cette «puce» est pourtant peu étudiée. Sans doute parce que l’inconfort qu’elle provoque chez l’homme n’est que passager. «On sait toutefois qu’elle est un bon indicateur de la qualité des eaux où elle est présente et qu’elle constitue un maillon non négligeable de la chaîne alimentaire en milieu aquatique», note encore la spécialiste en parasitologie. Un précieux équilibre que le réchauffement climatique pourrait cependant déstabiliser. «La hausse de la température de l’eau a des conséquences néfastes: elle provoque notamment la prolifération des répliques au point de tuer l’escargot-hôte tout en épuisant plus rapidement aussi les cercaires.» Autant d’obstacles supplémentaires dans la vie déjà bien mouvementée du parasite qui pourrait, à l’avenir, causer un peu moins de dermatites.

Texte(s): Céline Prior
Photo(s): Adobe Stock/DR