Reportage
La vie reprend dans la forêt carbonisée de Bitsch

En juillet 2023, des milliers d’épicéas, de mélèzes et de chênes se sont embrasés dans le Haut-Valais. Ce sinistre, l’un des plus importants qu’a connu le canton, pourrait aussi être une chance pour la biodiversité.

La vie reprend dans la forêt carbonisée de Bitsch

Sur les hauts de Bitsch (VS), la neige fond peu à peu, dévoilant les ravages causés par l’immense incendie qui s’est déclaré le 17 juillet dernier. Depuis le promontoire de Ried-Mörel, à 1200 mètres d’altitude, la vue plongeante sur la vallée du Rhône est saisissante. Le spectacle offert par la forêt environnante l’est tout autant: il ne reste ici que des troncs noircis par les flammes, l’écorce craquelée par la chaleur.

Sur l’ancienne place de pique-nique aujourd’hui désertée, seul un des deux bancs a résisté aux flammes qui ont dévoré 140hectares d’épicéas, de pins et de mélèzes. «Ce sinistre est l’un des plus importants qu’a connu le Valais», souligne Philipp Hildbrand, chef de l’Office cantonal du feu. Les pompiers n’en sont venus à bout que le 1eraoût, en puisant notamment l’eau retenue en amont et d’ordinaire réservée à la production de neige sur le domaine skiable de Riederalp.

«Quand le feu s’est déclaré, on ne pouvait rien faire, si ce n’est indiquer aux pompiers les parties de la forêt que l’on voulait protéger en priorité, se souvient l’ingénieure forestière Joanna Reim. Les flammes se sont propagées aux bois avoisinants, les braises étant transportées par le vent sur plus de 600 mètres. Il a ensuite couvé pendant des mois dans le sol, détruisant les racines. On a mesuré des températures de plus de 200°C à certains endroits.» Au total, plus de 50’000arbres, essentiellement des résineux, ont brûlé cet été-là.

Renouveau printanier
Aujourd’hui, sur le flanc de la montagne, la désolation ne règne pas pour autant. On est accueilli par le chant des oiseaux et le bourdonnement des insectes. Sur la terre noircie, l’herbe repousse en touffes, à côté de rares fleurs. En regardant où l’on pose nos pieds, on découvre une toute nouvelle végétation, qui émerge à côté des troncs décharnés dressés vers le ciel. «On ne sait pas encore quelles espèces se développeront ici, reconnaît Joanna Reim. L’incendie n’a pas touché que les arbres, il a aussi modifié la chimie du sol, ce qui pourrait favoriser la croissance de certains végétaux que l’on n’apercevait pas à cet endroit auparavant.» Aucune intervention de reboisement n’est toutefois prévue sur ce site, qui n’est pas exploité pour son bois.

Les conditions sont en effet très difficiles sur ce terrain escarpé, où la roche affleure. Exposé plein sud, le secteur est ensoleillé et très sec. «Avec le réchauffement climatique et le fait que la canopée a disparu, il y aura encore moins d’humidité ici ces prochaines années, note Joanna Reim. Si on plantait des arbres, leur chance de survie serait minime. On part du principe que ce désastre est également une chance pour certaines espèces qui n’y avaient pas de place jusqu’ici.»

Le gibier appâté
Les forestiers ont remarqué de nouvelles repousses en septembre déjà, deux mois seulement après le sinistre. De petits chênes, de plus de 40 centimètres de haut, avaient fait leur réapparition. Mais les professionnels s’attendent surtout à ce que des peupliers, des saules et des bouleaux repeuplent ces bois, leurs graines arrivant sur le site naturellement au gré du vent.

Ce printemps, des noisetiers ont aussi reverdi, mais ces fines branches, tendres à souhait, doivent affronter un ennemi: le gibier. Au sol, de nombreuses crottes révèlent en effet la présence de chamois, appréciant visiblement de gambader dans ce secteur escarpé. «Ils trouvent refuge dans une réserve non loin de là, explique Joanna Reim. C’est un problème, car ces animaux broutent les jeunes pousses d’arbres, ce qui ralentit fortement leur développement.»

Terrain de jeu des scientifiques
Il faudra attendre des décennies afin que la forêt retrouve un peu de son apparence d’antan. En attendant, elle se mue en un lieu d’expérience pour de nombreux scientifiques. Des chercheurs souhaitent, par exemple, étudier les possibles chutes de roches dans ce terrain, déstabilisé depuis que les racines ont été détruites par les flammes. À l’orée du bois incendié, des treillis ont d’ailleurs été installés provisoirement, de manière à protéger la route en contrebas de potentiels éboulements. «Avec le réchauffement climatique et les événements extrêmes qui y sont liés, on s’attend à d’autres feux de forêt à l’avenir, regrette Joanna Reim. Dans 95% des cas, ils sont d’origine humaine. Il faut donc que l’on continue à sensibiliser la population.» À Bitsch, l’enquête devant déterminer d’où le feu est parti est encore en cours.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Sedrik Nemeth

Retour en force

Des chercheurs du WSL ont étudié le reboisement de forêts ayant été victimes d’incendie, comme celle de Loèche, détruite par les flammes en 2003. Ils ont constaté que les chênes pubescents et les mélèzes avaient mieux supporté la chaleur que les pins sylvestres et les épicéas. Les mois qui ont suivi le sinistre, peupliers, saules et bouleaux ont été les premiers à reprendre racine. Une plante considérée comme disparue a même fait sa réapparition dans les bois de Loèche: l’épinard fraise, dont les graines ont vraisemblablement survécu pendant des décennies dans le sol. Des insectes profitent aussi de tels événements pour recoloniser des parcelles, comme le criquet italien ou l’anthaxie hongroise – qui est protégée. Au total, les scientifiques ont observé deux fois plus d’espèces différentes dans la forêt brûlée de Loèche que dans la parcelle voisine, qui a été épargnée par les flammes.

+ d’infos www.wsl-junior.ch

Le paysage peut servir de pare-feu

Selon une récente étude de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), le nombre d’incendies au sud des Alpes est en baisse depuis les années 1980. Il explique cette tendance par la prévention et une meilleure formation des pompiers. Ce répit pourrait cependant être de courte durée. Avec le changement climatique, le risque de développement de feux intenses augmente. Le WSL a donc analysé la topographie dans le but de trouver des pistes pour éviter la propagation des flammes. Il a démontré que l’inclinaison de la pente ainsi que l’aménagement du paysage peuvent s’avérer déterminants, et estime que la gestion de l’utilisation des terres agricoles autour des forêts aura, à l’avenir, un rôle à jouer en tant que pare-feu. «Il s’agit non seulement de préserver la diversité du paysage, qui constitue une richesse écologique et culturelle, mais aussi de maintenir les espaces ouverts, qui sont les coupe-feu les plus efficaces sur les pentes montagneuses», conclut le WSL.