Reportage
L’afflux de randonneurs met la faune en péril

L’essor de la randonnée hivernale, qu’elle soit à skis ou à raquettes, génère des dérangements pour la faune. Les cantons tâchent de réguler ces flux liés aux loisirs grâce à la mise en place de zones de tranquillité.

L’afflux de randonneurs met la faune en péril

Du haut de ses 1719mètres d’altitude, le sommet de la Berra offre un large point de vue sur les Préalpes fribourgeoises. Mais en hiver, les randonneurs ne peuvent pas le rejoindre par n’importe quel chemin: dans ce qui constitue l’unique zone de tranquillité du canton de Fribourg, les animaux doivent pouvoir vivre protégés de l’activité humaine, et ce afin de garder un maximum d’énergie durant la saison froide. En effet, l’augmentation et la diversification des activités de plein air accroissent le risque de dérangement pour la faune indigène.

Au sortir des télécabines, le balisage destiné aux pratiquants de loisirs d’extérieur est évident. «Nous entrons dans la zone de tranquillité de la faune de la Berra, note Olivier Clerc, accompagnateur en montagne et référent pour la campagne «Sports de neige et respect» dans les Préalpes fribourgeoises et l’arc jurassien. Elle est active du 1erdécembre au 30juin. Les panneaux explicatifs rappellent l’intérêt de ce secteur, sa délimitation et les itinéraires qui y sont autorisés.» Mis en place en 2013, ce périmètre était une condition à l’implantation de la nouvelle remontée mécanique de la Berra. Il faisait office de mesure de compensation permettant de préserver le tétras-lyre de l’afflux touristique généré par l’installation.

Canaliser les flux
Si l’introduction des premières zones protégées a pu susciter quelques tensions entre organisations écologistes et utilisateurs de la montagne, la situation s’est pacifiée. Selon Christian Wittwer, président de l’Association romande des guides de montagne, ces sites sont intéressants quand ils sont établis consciencieusement, au moyen de données scientifiques documentant les besoins de la faune. Et le guide de souligner l’intérêt de faire interagir différentes parties prenantes dès le début du processus: «Lorsque la zone du Grand Muveran a été créée, nous avons pu proposer que deux couloirs skiables figurent en dehors du périmètre. En contrepartie, une surface équivalente interdite aux skieurs est protégée à proximité.»

Plus loin dans la zone de la Berra, quelques fanions portant le mot «stop» barrent l’accès à un couloir prisé des skieurs. «L’objectif n’est pas d’interdire la fréquentation de cet espace, mais de canaliser les flux», détaille Olivier Clerc. Aussi, la cohabitation entre la faune, en particulier le tétras-lyre, et l’être humain, se met en place. Si l’on dirige notre regard en contrebas du chemin autorisé, on aperçoit une multitude de traces de coq: familier des milieux boisés ouverts, l’animal y trouve de quoi se nourrir et se percher en cas de menace. Olivier Clerc a d’ailleurs régulièrement observé en un seul coup d’œil les skieurs d’un côté profitant de leur descente et les oiseaux de l’autre, dans l’espace protégé. «La plupart du temps, les gens qui ne respectent pas ces zones le font par méconnaissance des besoins de la faune», explique l’accompagnateur en montagne. En effet, par temps froid et parfois dans une épaisse neige, certains animaux tels que le cerf, le tétras-lyre ou le chamois perdent beaucoup d’énergie lorsqu’ils fuient à la suite de la rencontre avec un randonneur. Cela altère leurs chances de survie et leurs capacités reproductives. Concentrer le passage des pratiquants de loisirs hivernaux permet ainsi de réduire ces dérangements.

Bientôt d’autres sites
Au-delà de leur dimension de régulation, ces secteurs ont une vocation pédagogique, puisqu’elles sensibilisent le grand public par une communication ciblée sur certaines espèces emblématiques. Elias Pesenti, responsable du domaine faune terrestre et inspecteur de la chasse au sein du canton de Fribourg, se montre confiant: «Les personnes comprennent facilement la raison de ces zones de tranquillité et le message passe mieux qu’auparavant.»

Si celle de la Berra est actuellement la seule en terres fribourgeoises, d’autres vont prochainement être créées. «Afin de garantir une bonne conservation des espèces sensibles, le Canton est en train d’établir une nouvelle ordonnance, note Elias Pesenti. Dans cette dernière, plusieurs sites seront proposés conformément aux dispositions légales en vigueur. Une consultation des milieux concernés aura lieu dans le courant de l’année 2024.»

Pour l’heure, le défi est de faire mieux connaître ces espaces et leurs contraintes aux usagers de la montagne. «Il y a une forme d’égoïsme à ne pas respecter ces périmètres, estime Olivier Clerc. Cela revient en fait à privilégier le plaisir de sa descente au détriment des besoins de la faune en hiver.» Et si le tétras-lyre n’a pas daigné se montrer lors de notre sortie, sans doute n’était-il pas loin, en train de profiter du soleil et de se régaler des bourgeons affleurant la neige.

Texte(s): Margaux Mauran 
Photo(s): Margaux Mauran 

Important travail de sensibilisation

Portée par l’association Nature&Loisirs et soutenue par la Confédération, la campagne «Sports de neige et respect» lancée durant l’hiver 2009-2010 s’adresse en particulier aux skieurs et aux randonneurs à raquettes. En effet, ces deux activités, en forte expansion depuis quelques années, exercent une réelle pression sur la nature. Sous le slogan «Respecter, c’est protéger», l’association cherche à faciliter la prise en compte des zones de tranquillité par les randonneurs lors de la planification de leurs sorties. Il est possible de les afficher sur les cartes hivernales ou de les consulter sur le site de Nature&Loisirs. Cette dernière souhaite développer son réseau de partenaires (guides, écoles, magasins de sport, courses de ski de randonnée…) pour trouver des relais dans le milieu des loisirs de montagne.

+ d’infos Carte interactive des sites de tranquillité: www.nature-loisirs.ch/carte

Application cantonale

En Suisse, la préservation de la faune relève de la loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages (LChP). Son application revient aux cantons, ce qui explique que la définition des zones de tranquillité et leur mise en œuvre varient de l’un à l’autre. Au total, presque 800 zones contraignantes de tranquillité existent dans le pays: on ne peut s’y déplacer que sur les itinéraires hivernaux référencés. Un peu moins de 300 zones sont recommandées: dépourvues de statut légal, elles visent à sensibiliser le public. Enfin, 43 districts francs fédéraux protègent la faune et les biotopes menacés: les activités humaines y sont régulées en toute saison.