Reportage
Ode aux notes de réglisse et de balsamique de l’ail noir

Têtes entières, gousses déjà décortiquées, pâte à tartiner sucrée ou salée: les produits de la Vaudoise Patricia Saugy ne manquent pas d’originalité pour valoriser ce condiment étonnant, d’origine asiatique.

Ode aux notes de réglisse et de balsamique de l’ail noir
Si, selon les dires, l’ail noir proviendrait de Corée, où il aurait été découvert par accident, c’est à la Tine (VD) que Patricia Saugy le concocte avec patience, passion et bienveillance. «Toi bel ail, où que tu ailles, apporte amour, paix, joie et santé.» Cette phrase, la Vaudoise la répète toujours trois fois avant de mettre ses bulbes à caraméliser. «Voilà, c’est ma façon de faire, lâche-t-elle dans un sourire. Je le prononce, ça me fait un petit frisson, et je me lance dans la préparation!»Concernant son installation de cuisson, bien cachée dans un conteneur placé au cœur de son jardin, l’artisane restera discrète. «J’ai beaucoup travaillé et dû faire preuve d’ingéniosité pour trouver un système adéquat, qui garantisse une bonne qualité à mon produit. Je n’en divulguerai donc pas les détails!»

Processus long et minutieux
Ce qu’elle peut nous expliquer, en revanche, c’est que pour passer de l’ail blanc à l’ail noir, il faut le placer dans une étuve dont la température se situe entre 60 et 70°C, durant trois à quatre semaines. «Les têtes cuisent grâce à la vapeur qu’elles dégagent, et qui circule dans le récipient. C’est pourquoi le taux d’humidité est à surveiller de près: c’est ce qui déterminera la qualité de l’ail à la fin. Si une goutte tombe sur une gousse, ce ne sera ni beau ni bon.» Heureusement, la productrice vaudoise peut compter sur son super système secret, et contrôler ses marmites depuis son téléphone.Une fois la cuisson finie, les bulbes ressortent avec la peau dorée, et l’intérieur bien noir. Que l’on ne s’y méprenne pas: cette couleur n’est en aucun cas le signe d’une fermentation, comme il est courant de l’entendre. «Pour qu’il y ait fermentation, il faut une activité bactériologique. Or, à de telles températures, il n’y en a pas. Prenez l’exemple de la choucroute: c’est du chou fermenté, et elle n’est pas noire.» Le résultat obtenu ici est le fruit de ce que l’on appelle la réaction de Maillard, soit une caramélisation des protéines de la plante, qui explique le passage du blanc au noir, ainsi que la consistance ramollie des gousses, qui sont alors plus proches de la confiserie que du condiment, tant par leur texture que par leur arôme sucré, rappelant la réglisse.

Un peu plus d’une tonne par an
Ensuite, les bulbes sont gardés à température ambiante, dans des caissettes qui laissent passer l’air, durant une quinzaine de jours environ, avant d’être stockés dans des bacs fermés. Et selon l’artisane, plus on attend pour les consommer, plus ils sont délicieux. Il semblerait en effet que comme certains vins, l’ail noir se bonifie avec le temps. «Je suis obligée de mettre une date d’expiration sur mes produits, mais c’est une denrée qui peut se garder des décennies», assure-t-elle.Avec tous ces bulbes – environ 1,3 tonne par année –, Patricia Saugy fait différentes choses: de la vente en vrac, mais aussi des gousses déjà décortiquées, de la pâte, ainsi que des préparations gourmandes et spéciales santé. Son astuce? Utiliser l’ail noir au moment du dressage de l’assiette, afin d’en préserver les bienfaits. «Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut le décliner de diverses manières. Il est beaucoup employé dans la cuisine asiatique, c’est un excellent exhausteur de goût. D’ailleurs, quelques restaurants étoilés m’en commandent.» Et les chefs ne sont pas les seuls à s’y intéresser: divers artisans collaborent également à la fabrication de produits, comme c’est le cas d’un chocolatier d’Appenzell, qui confectionne des truffes à l’ail noir, ou encore la fromagerie du Sapalet, qui intègre le bulbe à du beurre salé ainsi qu’à un fromage au lait de brebis.

Pour toutes ces spécialités, Patricia Saugy se fournit d’ail bio chez divers producteurs suisses, notamment à la ferme de Rovéréaz à Lausanne, et au Potag’Oex à Château-d’Œx (VD). «Mon objectif ultime est de trouver des producteurs du Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut, et certifier ma production de ce label», confie l’artisane, déjà en préparation de moult projets, dont une prochaine exclusivité pour ses partenaires du Sapalet: une meringue à l’ail noir.

Texte(s): Muriel Bornet
Photo(s): Mathieu Rod

A la fois savoureux et bon pour la santé

Selon Patricia Saugy, l’ail noir a un goût de réglisse fruitée et finit sur une note fongique en bouche. Sa clientèle du Pays-d’Enhaut, elle, parle plutôt d’une saveur entre le pruneau et la raisinée. Enfin, d’aucuns y trouvent une touche de vinaigre balsamique. À Taïwan et en Corée, ce bulbe s’offre en cadeau lors de la Saint-Valentin, à l’image des boîtes de chocolats chez nous. Un plaisir gourmand, donc, qui s’avère aussi très sain. En effet, riche en antioxydants, l’ail noir est reconnu entre autres pour ses vertus de régénération cellulaire, ainsi que pour sa capacité à renforcer le système immunitaire. Il comporte en fait les mêmes bienfaits que l’ail blanc, de manière décuplée grâce à la réaction de Maillard!

La productrice

D’abord informaticienne et enseignante dans la branche, puis thérapeute – activité qu’elle exerce toujours –, Patricia Saugy s’est mise à cultiver de l’ail noir il y a quelques années seulement. «C’est durant le confinement que cela m’est venu», confie la Vaudoise installée à La Tine. C’est donc en très peu de temps que son entreprise Ail-Noir.ch a grandi. Le bouche-à-oreille ayant bien fonctionné, elle a rapidement reçu beaucoup de commandes et tourne aujourd’hui à flux tendu. «Il est important que je puisse me munir d’un vrai laboratoire afin d’augmenter ma production», explique-t-elle. Un financement participatif sera prochainement lancé sur son site internet à cet effet.

+ d’infos www.ail-noir.ch