Portrait
L’artiste sud-coréenne qui peint les montagnes flottant dans le ciel

Ji-Young Demol Park a épousé la Haute-Savoie il y a bientôt trente ans, pour saisir l’âme des cimes et des arbres du bout de son pinceau. Deux expositions, à Morges (VD) et à Genève, lui rendent un bel hommage.

L’artiste sud-coréenne qui peint les montagnes flottant dans le ciel
La neige a blanchi les sommets qui entourent le Léman, et ses yeux brillent. Ji-Young Demol Park adore l’hiver, les hautes montagnes endimanchées, le ciel qui tourne au gris et le froid qui aiguise le regard. C’est ce paysage qui l’inspire plus que tout et que l’on retrouve au cœur de ses encres. Neige, crêtes, lignes, ramures. Voilà l’essentiel qui l’habite.Cette artiste, installée dans les alentours d’Annecy (F) depuis une trentaine d’années, a tout quitté par amour pour les Alpes. Ou presque. Alors qu’elle a grandi dans les collines forestières de la région de Seongsan-Eup, en Corée du Sud, elle se souvient avoir toujours dessiné, à chaque instant, partout. «Mes parents travaillaient dur au sortir de la guerre, je passais beaucoup de temps avec mes frères et sœur plus grands que moi, raconte l’artiste. Alors qu’ils lisaient des livres, je dessinais les fleurs, les cailloux, la famille, les mangas de ma sœur…» On l’imagine sage, silencieuse, curieuse aussi. Et «têtue», ajoute-t-elle en riant. Un rire cristallin, de petite fille, qui continue de s’émerveiller du monde.

Quand son père lui rapporte un jour des diapositives de tableaux des grands maîtres de la peinture occidentale, Léonard de Vinci et Michel-Ange, elle se met à recopier à la gouache les chefs-d’œuvre comme La Joconde, La Pieta, mais déjà elle est attirée par les paysages de l’arrière-plan. En tout cas, elle sait où est son chemin. Elle termine quatre ans d’études d’art, avant de s’offrir une année sabbatique pour voir les tableaux en vrai. «J’ai ouvert la carte et j’ai choisi Chambéry en Haute-Savoie comme point de chute, parce que c’était le carrefour de l’Europe.» À 26 ans, elle court les musées des capitales, rayonne entre Paris, Turin, Venise, Genève, et reprend une formation dans les arts vidéo… «La culture d’ici m’intéressait beaucoup. Et en voyant les Alpes, je retrouvais les paysages des tableaux que j’aimais.» Elle n’est plus repartie.

Le silence et le vide
Aujourd’hui, à 53ans, trois grandes filles et un mari enseignant à l’École des Beaux-Arts du Genevois, Ji-Young Demol Park savoure cette région qui la fascine. Les montagnes, la tradition du fromage, la famille qui lui donne l’équilibre et le ski qu’elle a appris il y a quelques années – «je n’ai pas de style, je descends les fesses en arrière, mais j’arrive à faire les pistes rouges maintenant!» Encore son rire qui explose, vivant comme une cascade claire.

Mais quand elle peint, c’est autre chose. Il y a l’encre, l’eau, le pinceau et le calame, ce bambou, dont la pointe taillée permet de tracer les arêtes, les écorces et les branches sèches. Elle a lâché la caméra, son outil premier, pour revenir à la technique originelle, qui chuchote au mieux ce qu’elle veut dire.

Depuis une dizaine d’années, elle tourne autour des crêtes, s’aventure seule, avec des amis ou son mari – «mais il ne faut pas que ce soit trop haut, il a le vertige.» Glacier d’Aletsch, Dent-d’Oche, dernièrement les Dolomites… Elle court vers ce froid qui fait couler le nez et rougir les joues, comme lorsqu’elle patinait sur les rivières gelées de son enfance. Ce froid qui saisit l’eau de son aquarelle, mais où elle ajoute quelques gouttes de vodka pour ralentir le gel.

Sur la feuille – que cela soit des carnets, d’immenses rouleaux ou des leporellos – naissent le relief des cimes, le murmure glacé d’un ruisseau, la structure épurée d’un arbre. Et toujours le silence. Beaucoup de silence. Des lignes posées sur du vide. Des montagnes d’ici profilées comme des haïkus. Ji-Young Demol Park inscrit le décor alpin dans l’art du shanshui, cette approche orientale du paysage qui propose peu de formes et beaucoup d’espace. Qui suggère plus qu’il n’impose, ouvre un chemin apaisant pour l’imaginaire.

Ne pas déranger la nature
Même les arbres, Namu, qu’elle expose actuellement à la galerie Soleil de Minuit à Morges (VD), tiennent parfois davantage de la calligraphie que de la représentation naturaliste. Beaucoup de bouleaux, mais également des sapins, des hêtres. «Les forêts d’essences mélangées vivent plus longtemps, c’est peut-être un message pour les humains», esquisse l’artiste. Ji-Young Demol Park aime la force, la douceur, la fragilité de ces végétaux, qui peuvent nous apprendre beaucoup de choses et qui lui disent «dessine-moi».

Pas de leçon derrière ses lavis, juste une attitude de contemplation. C’est aussi pour cette raison – intervenir le moins possible, donc ne pas polluer – qu’elle est revenue au médium originel, crayon et papier. Les outils parfaits pour dire son émerveillement véritable devant les hauts conifères, tellement différents de ceux de son pays d’origine. «En Corée du Sud, la plus haute colline culmine à 1900mètres d’altitude et les pins qui y poussent restent petits comme des cheveux sur une tête de bébé», indique-t-elle. Quand elle sourit, ses yeux se plissent. Elle rêve de visiter un jour les îles Lofoten, mais elle n’en a pas fini avec le Léman et les Alpes. Elle le sait. Quelque chose encore l’attire dans ce décor de rêve et de carte postale. «Le lac, les montagnes qui flottent dans le ciel, c’est tellement magnifique.»

+ d’infos Namu, galerie Soleil de Minuit à Morges, jusqu’au 27 janvier. Si loin si proche, Fondation Baur à Genève, du 20 mars au 30 juin.

Texte(s): Patricia Brambilla-Rochat
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Son univers

Un livre: «Blanc», de Sylvain Tesson.
«Le titre m’a séduite. Comme l’auteur a parcouru les Alpes, je fais la liste des cabanes que je peux atteindre.»

Une musique: GoGo Penguin.
«C’est un trio de Manchester que j’ai découvert au Cosmo Jazz Festival, sur le barrage d’Émosson (VS).»

Un végétal: Le bouleau.
«Le premier arbre qui a attiré mon regard, en Europe. Je ne me lasse pas de le peindre.»

Un mets: La tartiflette.
«Même si je mange de plus en plus léger, j’aime beaucoup ce plat.»