Point fort
L’avoine peine à se vendre malgré l’essor des laits végétaux

Depuis 2021, de nombreux producteurs ont semé cette céréale afin qu’elle soit transformée en boisson. Mais les moulins ne parviennent pas à écouler les stocks des deux dernières moissons, faute de demande.

L’avoine peine à se vendre malgré l’essor des laits végétaux

Des contrats revus à la baisse ou carrément suspendus en prévision de 2024: c’est la douche froide pour des centaines de producteurs d’avoine alimentaire helvétique. Tous avaient répondu présent lorsque IP-Suisse, Bio Suisse ou encore Fenaco leur avaient proposé de semer cette céréale, afin de pouvoir élaborer avec des ingrédients locaux des boissons de plus en plus populaires.

Dans les rayons des supermarchés, ces briques colorées se multiplient, faisant de l’ombre à celles ornées d’une vache. En cinq ans, les ventes des succédanés du lait ont explosé. Le chiffre d’affaires de ce secteur a progressé de près de 80% entre 2017 et 2021, passant de 96 à 172 millions de francs, indique l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). La boisson à l’avoine est la plus prisée. Sa croissance a été rapide, passant de 9% des parts de ce marché en 2017 à 45% en 2021. Un engouement qui a engendré une hausse des prix dans le commerce de détail, poursuit l’OFAG.

Grande déception
Voulant tirer parti de cet essor fulgurant, de nombreux exploitants ont semé cette céréale, incités à le faire par différentes entités agricoles. Mais aujourd’hui, ils déchantent. Dans les silos des Grands Moulins de Cossonay (VD), par exemple, les grains s’amassent depuis deux ans à la fin des moissons. «La commercialisation de l’avoine alimentaire suisse est compliquée, confirme Steve Corminboeuf, directeur de Vaud Céréales. Les ventes ne sont pas à la hauteur des espoirs initiaux.»

«On est déçus, reconnaît Jean-René Baudet, agriculteur à Romanel-sur-Lausanne (VD). Depuis trois ans, j’ai remplacé l’avoine fourragère, que je cultivais sur 2 hectares, par une variété destinée à l’alimentation humaine. Elle se vend à un meilleur prix, ce qui est toujours bon à prendre. Cela nous permettait aussi de montrer que les paysans sont prêts à répondre aux nouvelles demandes du marché.» À la fin de l’été, il a appris qu’il devait renoncer à cette variété, faute de débouchés, et a donc dû revoir les plans de rotation de ses cultures.

Silos bien remplis
«Dans de bonnes conditions, l’avoine peut être conservée plusieurs années sans perdre en qualité, rassure Steve Corminboeuf. Avec le temps, il est toutefois possible que les matières grasses qu’elle contient deviennent rances.» Pour éviter un surplus, la culture de cette graminée a ainsi été stoppée, en attendant que les silos se vident. «Nous renonçons effectivement à une production en 2024 parce que les stocks sont encore élevés, reconnaît Alexandre Bardet, responsable du commerce des céréales chez IP-Suisse. Les transformateurs avaient de grandes ambitions, mais la demande semble être retombée. Nous le regrettons parce que nous avions trouvé une base solide d’agriculteurs.»

En tout, 1700 tonnes d’avoine IP-Suisse ont été livrées en 2022, auxquelles s’ajoutent les 2200 tonnes récoltées cette année par 260 exploitants. Cet arrêt ne devrait toutefois pas impacter financièrement les paysans. «Les quantités produites l’ont été sur la base de contrats garantissant la prise en charge et l’achat d’un tonnage minimum à un prix donné, précise le directeur de Vaud Céréales. À ma connaissance, aucun déclassement dans le secteur fourrager n’est prévu à ce jour.»

La filière maintenue
Dans les supermarchés, les briques à l’avoine indigène, arborant le drapeau helvétique, côtoient celles élaborées avec des grains importés de Finlande ou d’Allemagne. Leur prix s’aligne sur celui de leurs concurrents, environ 3,20 francs le litre. Alors, comment expliquer que les volumes écoulés ne soient pas plus importants? Difficile à dire, les grandes surfaces ne souhaitant pas communiquer ni comparer les ventes des marques proposées dans leurs étals. Elles confirment toutefois leur intérêt pour cette filière indigène encore jeune. Emmi propose sa boisson Beleaf à base d’avoine IP-Suisse depuis seulement trois ans, même si le groupe est actif depuis plus de vingt ans dans le domaine des alternatives végétales au lait. «Ces dernières années, la demande a augmenté», se réjouit Simone Burgener, porte-parole d’Emmi.

Coop commercialise également depuis ce printemps une boisson à base d’avoine bio Bourgeon. C’est le seul segment où les contrats pour une récolte en 2024 ont été réduits et non pas suspendus. «Nous proposons notre lait Karma Nature à base de cette céréale bio suisse depuis mars 2023, détaille Rebecca Veiga, porte-parole chez Coop. Nous avons d’ores et déjà utilisé environ 250 tonnes d’avoine dans ce but. Notre ambition est qu’à l’avenir toutes les boissons de cette marque soient fabriquées avec ces grains indigènes.» Le géant orange prévoit même d’élargir sa gamme, en transformant prochainement du soja helvétique.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Adobe Stock

Nom trompeur?

Peut-on appeler «lait» les boissons à base de céréales? La question irrite Swissmilk. En Suisse et en Europe, l’ordonnance sur les denrées alimentaires précise que ce terme désigne exclusivement le produit provenant de la traite d’animaux, rappelle la fédération. La loi n’autorise donc pas l’appellation «lait» pour les liquides fabriqués à partir de soja, d’avoine, de riz ou de fruits à coque. Par ailleurs, le lait issu d’une autre espèce animale – telle que les chèvres ou les brebis – doit être désigné précisément sur l’emballage.