Point fort
Le nombre de lynx a bondi en Valais, un canton stratégique pour l’espèce

Selon une récente étude, la rive droite du Rhône entre Montreux et Sierre est la zone la plus densément peuplée du pays par le grand félin. Une bonne nouvelle pour sa conservation à l’échelle des Alpes.

Le nombre de lynx a bondi en Valais, un canton stratégique pour l’espèce

Une densité exceptionnelle de 5,2 lynx par 100 km2: le dernier rapport du KORA, la fondation pour l’écologie des carnivores et la gestion de la faune sauvage, a de quoi surprendre. L’installation de 128 pièges photographiques sur la rive droite du Rhône, entre Sierre, Martigny (VS), Montreux (VD) et Gstaad (BE), a révélé que ces félins sont nombreux dans le secteur. En tout, 37 individus y ont été répertoriés en l’espace de deux mois, ainsi que sept juvéniles issus d’au moins cinq portées distinctes. «Leur nombre a triplé de 2016 à 2021, entre Collonges et Finges, mais l’espèce reste quasi absente des trois quarts du canton du Valais», nuance toutefois Raphaël Arlettaz, biologiste à l’Institut d’écologie et d’évolution de l’Université de Berne.

Retour dans la douleur
Même s’il dispose du statut d’espèce strictement protégée, le félin a été la cible d’actes malveillants dans plusieurs cantons. Chassé, il a disparu du pays au XIXe siècle. Mais comme les populations de chevreuils et de chamois se portaient bien, le Conseil fédéral a autorisé le lâcher des premiers couples de lynx des Carpates en 1971, du côté d’Obwald. D’autres ont suivi dans les Alpes et le Jura. Le discret animal a depuis pris ses aises. Selon les dernières estimations, plus de 250 individus vivent actuellement dans le pays.

Premier grand prédateur à avoir colonisé la Suisse, bien avant le loup, il a notamment essuyé la colère de chasseurs, voyant en lui un rival ciblant le gibier. «Quand l’Université de Berne s’est intéressée aux relations entre les lynx et leurs proies, dès 2011, elle s’est rendu compte qu’il y avait extrêmement peu de lynx en Valais, poursuit Raphaël Arlettaz. On y a décelé seulement 12 à 20% de l’effectif attendu par rapport aux autres zones étudiées.»

Comment expliquer cette faible présence? Les chercheurs ont planché sur quatre hypothèses, avant d’arriver à une conclusion qui a fait grand bruit. En juin 2021, l’équipe du professeur Arlettaz a révélé que le braconnage était l’explication la plus plausible à la raréfaction du félin dans le Vieux-Pays. Elle a étayé sa conclusion par la découverte de 17 pièges à collet, installés dans le principal corridor d’immigration des lynx en Bas-Valais en 2015. Le ministère public valaisan a ouvert une instruction, la loi prévoyant que ces délits soient automatiquement poursuivis, rappelle l’Office fédéral de l’environnement. Elle a débouché sur la condamnation d’un chasseur la même année.

«Le braconnage, qui a aussi lieu dans d’autres cantons, a certainement joué un rôle par le passé, reconnaît Fridolin Zimmermann, spécialiste de l’animal pour le KORA. Il est généralement cryptique. Il n’est pas possible de le quantifier sans équiper un nombre important de lynx avec des colliers émetteurs.» Le fait que cette pratique illégale a diminué ces dernières années n’est cependant pas la seule explication, estime-t-il. D’autant plus que les populations d’ongulés dans le secteur ont plutôt eu tendance à baisser. «L’hiver 2020-2021, nous avons observé beaucoup de lynx dans l’aire Simme-Saane adjacente à celle du nord du Rhône, détaille Fridolin Zimmermann. L’augmentation de leur densité dans les Préalpes a certainement contribué à leur expansion en direction du Valais et celle de leurs effectifs dans la partie nord-ouest du canton.»

Brassage génétique bienvenu
«Les lynx sont également présents ailleurs en Valais, mais les observer sur la rive gauche du Rhône notamment, avec ses vallées composées de grands massifs forestiers, est plus difficile, complète Yvon Crettenand, biologiste au Service cantonal de la chasse, de la pêche et de la faune, qui participe au monitorage du KORA. Pour atteindre la rive gauche, ils doivent en outre traverser le Rhône et l’autoroute, ce qui reste compliqué.» Actuellement, ils peuvent enjamber le fleuve et l’A9 à Villeneuve (VD) ou à travers le Bois Noir à la hauteur de Saint-Maurice, et bientôt par un troisième passage à faune, planifié en amont, au Bois de Finges.

Pour les spécialistes, la hausse du nombre de ces félins en Valais est une bonne nouvelle. Ce canton pourrait jouer un rôle important pour l’espèce, dont la diversité génétique reste faible. «Leur population est encore petite et isolée. Elle possède
une forte consanguinité en raison du peu d’adultes fondateurs et de l’absence d’échanges génétiques avec les populations voisines, conclut Fridolin Zimmermann. Il faudrait pouvoir envisager un assainissement génétique actif, mais aussi établir une connexion à grande échelle avec les individus vivant en France.» La conquête du Valais, stratégique en raison de sa situation géographique, pourrait donc s’avérer déterminante pour la survie des lynx de l’ensemble du massif alpin.

+ d’infos www.kora.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): KORA/Service valaisan de la faune

Dans le viseur de la justice

Le Service valaisan de la chasse, de la pêche et de la faune a porté plainte contre X pour le braconnage de lynx à deux reprises, l’an dernier. En novembre 2021, il l’a fait après avoir retrouvé un animal mort qui avait été percuté sur l’autoroute A9. Il se trouve que ce félin souffrait d’une blessure par balle avant le choc qui lui a été fatal. En décembre de la même année, un autre lynx est entré en collision avec un véhicule sur la route du Grand-Saint-Bernard. Il a été découvert sans vie à Sembrancher. Son autopsie a également révélé la présence de fragments de métal issus d’un ancien impact de balle. Conformément au Plan Lynx national, tous les individus retrouvés morts (péris, abattus ou tués illégalement) doivent être envoyés immédiatement à l’Institut de pathologie animale de l’Université de Berne. En 2021, 37 lynx ont perdu la vie (17 dans le Jura, 20 dans les Alpes), indique le KORA, dont 27 juvéniles. Cette année, un autre de ces grands prédateurs a toutefois été tiré officiellement dans le canton de Berne. En mai, le gouvernement avait donné son autorisation, car un lynx avait tué plus de 15 daims dans un élevage en un an dans l’Oberland bernois, malgré des mesures de protection des troupeaux.

En chiffres

  • En 1904, le dernier lynx sauvage du pays a été vu au col du Simplon.
  • Le territoire d’une femelle mesure en moyenne 90 km2, celui d’un mâle 150 km2.
  • Malgré son statut d’espèce protégée, un lynx peut être tiré s’il tue plus de 14 moutons ou chèvres en un an.
  • En liberté, un lynx, qui pèse en moyenne entre 17 et 26 kilos, peut vivre jusqu’à vingt ans.
  • En 2018, près de 9000 lynx ont été recensés à l’échelle européenne. Ils seraient deux fois plus nombreux en comptant ceux vivant en Russie.