Décryptage
Le sabot de Vénus, une orchidée aussi unique que magnifique

Parmi les huitante espèces d’orchidées que compte la Suisse, Cypripedium calceolus occupe une place à part. Sa tige élancée n’est porteuse que d’une fleur solitaire. Une merveille à observer ces jours.

Le sabot de Vénus, une orchidée aussi unique que magnifique

De plus en plus rare
Au cœur de forêts claires, l’apparition d’une touffe de plantes hautes, porteuses d’une fleur au lobe de grande taille d’un jaune lumineux, ravit chaque fois les férus de botanique. Aucun doute sur l’espèce, il s’agit du Cypripedium calceolus, ou sabot de Vénus, une orchidée qui s’est fortement raréfiée depuis de nombreuses années. «On le rencontre principalement dans la région circumboréale, c’est à dire dans les zones tempérées froides de l’hémisphère nord, indique Christophe Randin, directeur du Jardin botanique Flore-Alpe de Champex-Lac (VS). C’est l’unique représentant de la famille en Europe et Afrique du Nord, il existe toutefois 59 espèces acceptées du genre Cypripedium de par le monde. Aucune hybridation avec d’autres orchidées indigènes n’existe.» Le sabot de Vénus fleurit entre mai et juin, durant une dizaine de jours.

Sous-bois appréciés
Chaque plante a ses exigences pour le milieu et le type de sol. La répartition altitudinale montre aussi ses limites, comme le précise Jean-Luc Poligné, jardinier responsable à Flore-Alpe: «Le sabot de Vénus est réparti dans les sous-bois des forêts du Plateau, dans le bas et les coteaux des vallées alpines jusqu’à l’étage subalpin, où se situe notre jardin botanique. L’espèce apprécie le sous-bois de forêts claires en atmosphère de clairière. Le sol est plutôt calcaire, et donc alcalin. Il doit être frais et humifère par l’abondance de feuilles mortes en décomposition.» Le sabot de Vénus occupe l’entier du territoire suisse, à l’exception des cantons de Genève, du Jura et de Bâle où sa présence n’est pas attestée.

Il cherche la petite bête
Lorsqu’on observe attentivement un sabot de Vénus, on a parfois la surprise de repérer un insecte apparemment piégé à l’intérieur de la fleur. Il faut savoir que la pollinisation de l’espèce se fait de manière assez exotique pour une plante de nos latitudes. Entrée par la grande ouverture supérieure du labelle, la petite bête n’a d’autre choix que d’emprunter un chemin précis pour en sortir. «Cypripedium calceolus libère alors passivement son pollen au contact de l’insecte avec ses étamines. Chez le sabot de Vénus, comme pour bien d’autres orchidées, les grains de pollen sont regroupés dans de petits sacs nommés pollinies qui se collent au dos de l’insecte à son départ. Les composés volatils attirent des hyménoptères, et plus particulièrement les abeilles sauvages du genre Andrena», détaille Hakim Schepis, biologiste au Jardin Flore-Alpe.

Culture très délicate
Outre la zoochorie (par les animaux), dans une faible mesure, le mode de dispersion des semences des plantes est à 90% le fait du vent. Il en est de même pour toutes les orchidées, dont Cypripedium calceolus. «Leurs graines sont minuscules et s’apparentent à de la poussière, souligne Jean-Luc Poligné. Certaines orchidées en possèdent jusqu’à 700’000 par gramme.» Et pourrait-on produire le sabot de Vénus? «Étant strictement protégé, il ne peut être prélevé dans la nature et sa culture, particulièrement compliquée, est souvent vouée à l’échec. Avec notamment pour raison la difficile symbiose qui doit se réaliser entre le mycélium mycorhizien (champignon de racines), très délicat, et la plante.»

Habitats à conserver
En raison de sa raréfaction, le sabot de Vénus est classé «vulnérable». «Cette orchidée a été prélevée par la cueillette, l’arrachage ou pour ses graines, mais également pour être mise en herbier, explique Christophe Randin. Actuellement, ce sont surtout l’embroussaillement et la fermeture de la canopée qui empêchent sa prolifération.  Le changement climatique a probablement peu d’influence sur l’espèce, habituée aux forêts plutôt chaudes. En revanche, son milieu de prédilection pourrait être menacé par des hêtraies et pinèdes colonisées par les chênes. Si le couvert est maintenu, Cypripedium calceolus pourrait peut-être trouver des habitats de substitution.»

+ d’infos Du 2 au 9 juillet, visite guidée dans le cadre de Botanica au Jardin Flore-Alpe de Champex, avec pour thème: «Des plantes du passé pour notre avenir» – www.flore-alpe.ch

Texte(s): Daniel Aubort
Photo(s): Adobestock