Interview
«Le savoir-faire des agriculteurs bios est bénéfique à toute la branche»

Les Journées des grandes cultures bios se dérouleront les 26 et 27juin à Aubonne (VD). Raphaël Charles, directeur du département romand l’Institut de recherche FiBL, nous en livre les enjeux.

«Le savoir-faire des agriculteurs bios est bénéfique à toute la branche»
Quelle est l’importance d’organiser de telles rencontres?
Elles ont été mises sur pied par Bio Suisse, le FiBL et Sativa, afin de permettre aux acteurs du monde bio de se réunir pour échanger, partager leur savoir et leur savoir-faire. On y aborde les aspects techniques de l’agriculture actuelle dans des régions différentes chaque fois. On alterne une année sur deux en parlant soit de production végétale, soit animale. On veut aussi montrer aux consommateurs, qui sont les bienvenus, qu’ils doivent être cohérents en n’achetant pas que du lait ou du pain bio, mais un ensemble de produits disposant de ce label, afin de valoriser le système dans son entier.

Pourquoi avoir choisi d’accueillir le public et les agriculteurs au château d’Es-Bons de Christian Streit, à Aubonne?
➤ Ses 60 hectares représentent bien les cultures bios que l’on trouve dans l’ouest de la Suisse. Son domaine comprend des grandes cultures, de la vigne et des parcelles herbagères. Christian Streit possède aussi un peu de bétail. On pourra également se renseigner sur l’arboriculture bio, en visitant une partie du domaine voisin de Christophe et Lise-Catherine Suter, pionniers en la matière, ainsi que deux parcelles dévolues à l’agroforesterie et au maraîchage de pleine terre. Ces trois secteurs peuvent représenter une diversification intéressante pour les producteurs.

Quel travail de planification a dû être réalisé en amont?
➤Il faut d’abord trouver un agriculteur motivé et prêt à accueillir du monde dans sa ferme. Tous ses plans ont été bouleversés en vue de cet événement. On a réfléchi déjà l’an dernier aux semis, à ce qu’on voulait présenter et pourquoi. Christian Streit souhaitait mettre en avant la conservation des sols, à laquelle il veillait avant même de passer en agriculture biologique. Lors de ces journées, on montrera aussi la diversité des végétaux, les associations que l’on peut faire avec de la féverole et du blé panifiable par exemple, ou encore les différents couverts végétaux existants pour obtenir une végétalisation quasi permanente du sol. C’est l’occasion de voir les différentes techniques et de pouvoir échanger avec des experts sur des questions concrètes. Que l’on travaille en bio ou en conventionnel, d’ailleurs.

Il s’agit des 12e Journées de ce type. Quelles avancées ont eu lieu depuis le lancement de cet événement?
➤ C’est sur le plan du machinisme que l’évolution a été la plus grande, surtout pour le désherbage mécanique. En Suisse, six robots FarmDroid sillonnent les champs pour semer différentes cultures, en mémorisant les coordonnées GPS des graines. Ils peuvent ensuite désherber le champ sans toucher aux plantules. Des agriculteurs misent également sur des caméras devant différencier les jeunes pousses des adventices, mais leur fiabilité n’est pas optimale. D’autres ont carrément revu leur manière de travailler, mettant en terre des plantons de betterave plutôt que des graines, grâce à des machines utilisées pour le maraîchage. C’est une révolution. Les racines résistent ainsi mieux aux ravageurs et n’entrent pas en compétition avec les mauvaises herbes grâce à des passages de herse étrille, ce qui permet d’assurer une production de sucre bio. Il a valeur ajoutée, garantissant le «Swissness» d’aliments transformés. Cela a un prix qui doit permettre aux différentes techniques de coexister, dont le semis traditionnel, moins onéreux mais plus risqué.

Comment y parvenir, sachant que les rendements de l’agriculture bio, selon une étude d’Agroscope parue en 2021, sont en moyenne 22% inférieurs à ceux d’une production conventionnelle?
➤ C’est en effet notre talon d’Achille. L’un de nos objectifs est de les optimiser en améliorant nos techniques de production. On ne veut pas les maximiser. On souhaite augmenter nos récoltes avec des moyens correspondant aux objectifs de l’agriculture biologique. Il existe des produits phytosanitaires bios que l’on pourrait utiliser pour améliorer le rendement du colza, par exemple. Mais il faut faire une pesée d’intérêts avant de recourir à tout intrant phytosanitaire, même naturel. Le cahier des charges considère aussi le domaine d’application: la protection fongique des patates est possible, alors que la lutte contre les ravageurs du colza doit se contenter d’argile peu efficace. C’est en quelque sorte un choix sociétal. Si on se met à produire davantage, on peut se demander à quelle fin. Autrefois, les grains produits en abondance ont nourri le bétail, que l’on pouvait consommer dans un second temps. Aujourd’hui, on consacre une part des terres ouvertes à la culture fourragère, ce qui a un impact sur les ressources de la planète. À terme, c’est un non-sens.

L’an prochain, Bio Suisse axera son développement sur les cultures de betterave, de blé panifiable et de protéagineux, dites prioritaires. Pourquoi?
➤ Ces cultures sont les enjeux de demain. D’ici à 2050, on sait que l’on devra augmenter notre consommation de protéines végétales, ce qui passe par la culture de légumineuses. Ce changement s’anticipe et Bio Suisse a lancé une offensive pour conquérir de nouveaux producteurs. Ils ont un rôle à jouer. Ces plantes sont appréciées, car elles permettent de fixer l’azote dans le sol, améliorant leur fertilité naturellement. Le savoir-faire des agriculteurs bios dans ce domaine bénéficie à l’ensemble de la branche.+ d’infos www.fibl.org

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): François Wavre/Lundi 13

Bio express

Titulaire d’un master en production végétale de l’ETHZ et d’un doctorat en sciences et technologies de l’environnement à l’EPFL, Raphaël Charles a travaillé sur les systèmes de grandes cultures pour l’Agroscope de 1994 à 2015. En 2016, il a été nommé directeur du département de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique FiBL pour la Suisse romande.
 
 
 

De nombreux producteurs présents

Les Journées des grandes cultures bios sont organisées depuis 2012. La dernière édition a attiré plus de 2000 professionnels à Holziken (AG), preuve que cette filière a le vent en poupe. Selon les données de l’Office fédéral de la statistique, le nombre de domaines a baissé de 1,3% l’an dernier pour se monter à 47’719. En revanche, ceux qui ont choisi de travailler en bio sont plus nombreux. En 2023, 7896 fermes (soit 16,5%) ont opté pour ce mode d’exploitation, couvrant près d’un cinquième de la surface agricole du pays.

+ d’infos www.bioactualites.ch; www.bfs.admin.ch