Point fort
La course au photovoltaïque se joue sur les routes

Objectifs climatiques obligent, le photovoltaïque est au cœur de nombreux projets en Suisse. Des chemins agricoles aux autoroutes, l’idée de l’intégrer aux différents axes de mobilité semble gagner du terrain.

La course au photovoltaïque se joue sur les routes

En 2022, l’énergie d’origine photovoltaïque couvrait 6.76% de la consommation finale en Suisse. Dans moins de trente ans, cette part devra dépasser les 40%, selon les objectifs fixés par la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération. Dans ce contexte, la course au solaire bat son plein, et chaque concurrent proposant d’exploiter une surface autre que les toits et façades, au potentiel énergétique déjà bien connu, ou que les paysages alpins, dont la colonisation par des panneaux photovoltaïques fait débat, est le bienvenu. Entre projets déjà réalisés et d’autres encore à l’étude, le monde des axes routiers est au cœur des intérêts.

Le long des autoroutes
L’Office fédéral des routes (OFROU) s’est penché sur le potentiel de son réseau et produira d’ici à 2035 environ 47 GWh pour sa propre consommation par le biais de panneaux solaires sur des infrastructures le long des autoroutes. Mais il a aussi lancé en fin d’année dernière un appel à candidatures pour des projets pilotes portant sur 350 parois antibruit et 100 aires de repos réparties en différentes zones géographiques.

Le fournisseur d’électricité valaisan Genedis a récemment annoncé avoir remporté l’un de ces lots. «L’intérêt pour nous, c’est la mise à disposition d’une surface; celle-ci, de 7500 mètres carrés, n’est pas quelque chose que l’on trouve chaque année, explique Paul-Alain Clivaz, responsable du département Transition et services énergétiques de la firme. Cela nous permet aussi de prouver que nous faisons le maximum pour utiliser le bâti existant, que nous allons de l’avant. Et l’accueil du grand public est positif.» Une annonce qui tombe à point nommé, au vu du récent vote valaisan sur le solaire alpin. «Cet appel d’offres est intervenu bien avant l’émergence de cette problématique, nuance Paul-Alain Clivaz. D’ailleurs, il ne faut pas y voir une alternative aux parcs alpins. C’est une pierre importante à l’édifice, mais ce type de projet se situe dans un ordre de grandeur en dessous en termes de production.» Cet aménagement vise en effet à la pose de quelque 4000 panneaux sur des murs antibruit, pour la consommation de 330 ménages environ.

Pas facile de viser grand
Si Genedis table sur une entrée en fonction de ses panneaux autoroutiers d’ici quelques années, ce n’est pas le cas de tous les projets du genre. En effet, l’accord préalable de l’OFROU pour ces installations facilitait la démarche. Hors de ce cadre, l’obtention des autorisations ad hoc est chronophage. Et plus le projet est imposant, plus elle s’avère difficile. C’est notamment le cas pour la société EnergyPier, qui travaille depuis 2011 sur le concept ambitieux de couvrir un tronçon de l’autoroute A9 d’une surface de 80000 mètres carrés de panneaux photovoltaïques, à la hauteur de Fully (VS). «C’est une structure porteuse pensée pour durer cent cinquante ans, explique Laurent-David Jospin, concepteur du projet. Du point de vue de la mise en place comme de l’investissement, on peut comparer cela à un barrage. Il faut une confiance sur le long terme.» Après de nombreux allers-retours avec l’OFROU, un dossier abouti a été déposé la semaine dernière. Si la Confédération délivre une réponse positive, il restera l’étape de la mise à l’enquête avant que le Canton n’accorde le permis de construire, pas avant l’été 2024.

L’intérêt des plus petits axes
Si la Suisse veut atteindre ses objectifs de 2050, il faut agir vite. Dans cette optique, les approches ciblant les plus petits axes de circulation présentent l’avantage de demander des démarches moins complexes. L’exemple le plus parlant est sans doute la première piste cyclable solaire du pays, inaugurée il y a peu à Satigny (GE) par les Services Industriels de Genève. Le projet, dont la concrétisation aura pris trois ans, a donné forme à un ouvrage qui produit l’équivalent de la consommation de 65 ménages tout en promouvant la mobilité douce. L’idée est maintenant de répliquer le modèle ailleurs dans le canton.

Viser la rapidité, c’est aussi le souhait de l’ingénieur en énergies Marc Müller, qui a lancé avec son collègue Jean-Christophe Zufferey l’offensive 2000km, visant à recouvrir les routes agricoles de panneaux solaires. Outre le fait d’abriter celles et ceux qui y voyagent à vélo, ces structures pourraient avoir un intérêt pour le monde rural: «Les voitures ne sont pas les seules à passer à l’électrique, dit-il. Les machines agricoles aussi, et une telle installation pourrait facilement intégrer des bornes de recharge pour faire le plein sur place. On peut aussi imaginer la création de couloirs de biodiversité le long des voies.» Les réflexions juridiques et techniques étant déjà avancées, il s’agit maintenant de travailler avec ceux qui sont concernés, notamment les paysans. «Il me semble que la thématique est très rassembleuse, s’enthousiasme Marc Müller. J’espère que cela suffira à réunir les gens autour de la table!». L’exemple genevois récemment entré en fonction montre qu’il y a de l’espoir. Car si le rendement de ces plus petits tronçons est plus faible qu’il ne l’est sur les autoroutes, leur vitesse de déploiement et leur potentiel de duplication sont de réels atouts. Et chaque kilowattheure solaire compte dans le défi de la transition énergétique: «Ces projets ouvrent une réflexion sur notre manière de penser l’énergie, note Paul-Alain Clivaz. Si l’on veut sortir du carbone, il faut dépasser ce que l’on sait faire et intégrer le solaire où on ne pensait pas le mettre.»

Texte(s): Muriel Bornet
Photo(s): Illustration Marcel G.

Et pourquoi pas les chemins de fer?

Mêler le solaire au ferroviaire, c’est le défi que s’est lancé la start-up vaudoise Sun-Ways. L’idée est de placer des panneaux photovoltaïques dans l’espace existant entre les rails. Avec 5300 kilomètres de voies ferrées en Suisse, le potentiel est significatif. L’entreprise a conçu et breveté un dispositif technique de panneaux amovibles, puisque cette condition est nécessaire aux travaux de maintenance des voies. Un dossier complet devrait être déposé dans le courant du mois auprès de l’Office fédéral des transports en vue de la mise en œuvre d’un projet pilote à Buttes (NE). Le potentiel de développement de ce projet est fort, tant en Suisse qu’à l’international: «Le système ferroviaire est le même partout, note Joseph Scuderi, fondateur de Sun-Ways. Si l’écartement des rails peut varier, ce n’est pas un problème pour le dispositif technique que nous avons développé. Et les normes helvétiques étant strictes, notre modèle sera facilement adaptable ailleurs.» Plusieurs pays ont déjà manifesté leur intérêt, et les panneaux helvétiques pourraient essaimer sur les lignes ferroviaires comme sur celles de métros aériens.