De saison
Le shiso, petite merveille japonaise qui ne manque pas de piquant

Cette lamiacée très aromatique a conquis les cuisines occidentales et les amateurs de saveurs asiatiques ces dernières années. Visite à Troinex (GE), chez un producteur de cet étonnant basilic.

Le shiso, petite merveille japonaise qui ne manque pas de piquant

Le lieu est spectaculaire. Une fine armature métallique soutient un plafond de verre vertigineux; au sol, un tapis soyeux où les parfums abondent, les basilics et la verveine citronnée succédant aux notes de coriandre, d’hysope ou de sauge, pour peu qu’on se baisse. La serre géante abrite toute la collection d’herbes aromatiques de Bruno et Bernard Verdonnet. À ce vaste espace protégé cultivé en bio, s’ajoutent des baies, petits fruits et légumes en autocueillette, des fleurs et plantes d’ornement innombrables. Les aromatiques? Une collection de quelque 300000 pots annuels pour plusieurs dizaines de variétés. «Et encore, on se limite: ces dernières années, nous avons fait une sélection sur la base des parfums et de l’intérêt gustatif», explique Bruno Verdonnet. Parmi ce foisonnement de saveurs, l’horticulteur troinésien a ainsi retenu une plante un peu plus insolite, voire exotique, que la plupart de ses voisines en pot: le shiso. «Nous avons essayé beaucoup d’espèces pour une gamme ludique et diversifiée. Le shiso? On en produit depuis six ans. Il reflète le boom énorme des cuisines asiatiques et, en termes de goût, c’est vraiment original.»

Les chefs en raffolent
Le jeune horticulteur nous entraîne à l’autre bout de la serre géante, jusqu’à un tapis dense de feuilles pourpres. Les petits pots partiront bientôt à destination d’une des plus formidables cuisines de la région, celle du triple étoilé Emmanuel Renaut, à Megève (F). Ou plus précisément de son potager ou les plantes seront installées. Le lot est entièrement destiné au chef savoyard, mais nombre de confrères suisses se fournissent aussi sur place.

«Emmanuel Renaut ne commande que du shiso pourpre, plus puissant que le vert», fait remarquer le producteur. La plante est plus dentelée et atteint aussi une plus haute taille, de près d’un mètre. Botaniquement, il provient du Sud-Est asiatique. On utilise le nom japonais de shiso, mais son nom latin est Perilla, ou alors basilic de Chine ou du Japon. «Il lui faut une terre acide, drainante, une exposition relativement ensoleillée: plutôt costaud, le shiso est à planter mi-mai dans les jardins, sachant qu’il s’accommoderait mal d’une gelée».

Judith Baumann, passée des Mossettes à un répertoire marqué par la diététique chinoise, est elle aussi une fan de shiso, qu’elle a acclimaté dans son potager du Ming Shan, à Bullet (VD) et qu’elle travaille aussi en cuisine. «Le vert est plus rustique, un goût un peu anisé, entre persil et agastache, tandis que le pourpre hésite entre menthe et cumin», note la cheffe gruérienne.

Facile à vivre
Le shiso connaît une multitude d’usages, pas seulement culinaires mais aussi en médecine et en herboristerie. Sorti des épiceries japonaises et des restos coréens, il a conquis les amateurs de saveurs envoûtantes et nomades. «On peut l’ajouter comme toute herbe aromatique selon son inspiration, avec des poissons crus ou marinés, viandes ou salades, de préférence cru ou en fin de cuisson. L’huile de perilla est un condiment intéressant avec sa saveur de noix et d’humus», relève Judith Baumann, qui rehausse par exemple un maki végétal de chou chinois d’un filet au dernier moment pour une petite note iodée.

La plante aurait été acclimatée dans les jardins européens au XIXe pour son côté décoratif: le shiso pourpre atteint près de 1 mètre et se pare de fleurs blanches en fin de cycle – dont les graines donnent cette fameuse huile. Bruno Verdonnet le reçoit sous forme de pousses de 2 centimètres. «Après quoi, c’est un cycle relativement court, deux mois environ jusqu’à la taille idéale pour les replanter. À 5 centimètres, on pince car il fait beaucoup de ramifications. Un peu d’engrais, un peu d’arrosage, au sol, par capillarité. Sinon, le shiso n’a ni maladies ni prédateurs, protégé, qui sait, par son côté piquant…»

 

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Nicolas Righetti/lundi13

Le producteur

Bruno Verdonnet

La frontière passe au milieu de leurs terres, une étrange histoire remontant à la déroute napoléonienne et à l’attribution à Genève de quelques kilomètres carrés de terres savoyardes. C’était en 1816: à la faveur d’un traité, une vingtaine d’agriculteurs français se sont réveillés un beau matin avec leurs cultures en Suisse. Ou à peu près… Une bizarrerie. Bruno Verdonnet est un de leurs descendants, lui dont la famille est paysanne au pied du Salève, entre Troinex (GE) et Bossy (GE), depuis cinq générations au moins. Bruno gère l’entreprise familiale avec son père Bernard Verdonnet, qui devrait lui passer le flambeau l’année prochaine. Les aromatiques sont labellisées Bio France (le label n’exige pas que la totalité d’un domaine soit convertie). L’exploitation compte 6 hectares, avec quelques parcelles côté Savoie, et 5000 m2 dévolus aux herbes à Troinex. En plus des fleurs et de plantes ornementales, un joli espace nommé la Flânerie s’est ajouté récemment. Là, la clientèle privée peut s’adonner à l’autocueillette: fraises, myrtilles et autres courgettes.

+ D’infos www.verdonnet-bouchet.fr

Vert et pourpre

Perilla frutescens de son nom latin ou pérille de Nankin de son patronyme français: on le connaît désormais sous son nom japonais de shiso (zisu en chinois.) Il pousse à l’état spontané dans de nombreuses régions d’Asie. Utilisé depuis l’Antiquité pour ses vertus antiallergiques et antiseptiques, le shiso est prescrit aux natures colériques ou stressées, voire aux gros mangeurs de viande par la diététique chinoise. Cette plante est révérée pour ses vertus et son huile utilisée dans les cérémonies shintoïstes. Cette lamiacée est à l’origine d’une huile précieuse, très présente dans la cuisine coréenne, qui utilise aussi ses graines, pousses et fleurs. La famille pérille compte plusieurs sous-espèces, mais les deux plus répandues sont le shiso vert (ao jiso) et le shiso pourpre (aja jiso). Le vert, au goût très frais, rehausse les sashimis et certaines nouilles japonaises et coréennes. Le shiso pourpre, aux feuilles plus grandes et dentelées, a une saveur très prononcée hésitant entre menthe et cumin.