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Le sort du loup et des espèces sauvages se joue dans les urnes

Le 27 septembre, le peuple suisse se prononcera sur la proposition de révision de la loi sur la chasse élaborée par le Parlement. Tour d’horizon en dix questions pour y voir plus clair sur ce sujet hautement émotionnel.

Le sort du loup et des espèces sauvages se joue dans les urnes
Le référendum lancé par plusieurs organisations écologistes ayant abouti, les Suisses donneront sous peu leur avis sur la révision de la loi sur la chasse. Un texte vaste aux implications diverses pour la faune sauvage, qui ne se résume pas à un simple «pour ou contre le loup»…

Pourquoi maintenant?
La version actuelle de la loi sur la chasse date de 1985. En trois décennies, le pays a bien changé: les forêts se sont étendues, le loup a fait son retour, les grands ongulés ont vu leurs effectifs progresser tandis que le nombre de chasseurs – 28 389 en 2019 – a suivi une légère tendance à la baisse. Nouvelles sensibilités en termes de protection des espèces et augmentation des conflits autour des grands prédateurs sont les deux arguments qui justifient la révision de ce texte. «Le loup est là et nous devons vivre avec, résume Pascal Pittet, président de la Diana romande. Les cantons ont cependant besoin de règles claires et cette nouvelle loi leur donnerait un outil de gestion très attendu.»

Qui est pour, qui est contre?
Ce texte ne sort pas de nulle part: conçu par le Parlement – avant que ce dernier ne soit renouvelé à l’automne 2019 –, il bénéficie logiquement du soutien du Conseil fédéral. Les autorités estiment qu’il s’agit d’«une réglementation sobre et moderne qui renforce la protection des espèces et des milieux naturels». Dans le camp des partisans, la faîtière Chasse Suisse, le Groupement suisse pour les régions de montagne et l’Union suisse des paysans. Du côté du non, les principales organisations de protection de la nature, Pro Natura, WWF, Birdlife ou Greenpeace, aux côtés desquelles s’engagent également des sociétés scientifiques comme Fauna Valais.

Loi sur la chasse ou sur le loup?
Baptisé «Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages», le texte porte sur plusieurs thèmes: de la régulation des prédateurs à la création de corridors verts en passant par la protection de certains canards, l’éventail est large. Mais la gestion du loup est clairement le point central. «Les effectifs croissent de manière exponentielle, dit Thomas Egger, directeur du Groupement suisse pour les régions de montagne. Cette révision est la seule occasion de résoudre les conflits qui nous attendent.»

Abattra-t-on plus de loups?
Entre ceux qui veulent retirer au loup son statut d’espèce protégée et ceux qui demandent un abandon des tirs, le Parlement mise sur un compromis tout helvétique: le loup reste protégé mais sa régulation est facilitée. Ce qui change, ce sont les critères qui déclenchent le tir, puisqu’il ne serait plus nécessaire d’attendre des attaques: «Les cantons peuvent abattre les membres d’une meute avant que des dégâts ne soient causés, afin que les loups conservent leur crainte naturelle de l’être humain», détaille le texte, qui légitimerait aussi le tir d’animaux présentant «un comportement attirant l’attention», en s’approchant par exemple d’une zone habitée. Ces mesures devraient rester proportionnelles et pourraient faire l’objet de recours, mais leur dimension subjective et la latitude laissée aux cantons inquiètent les référendaires. «Confier la décision d’abattre une espèce protégée comme le loup aux autorités cantonales, c’est ouvrir la boîte de Pandore, regrette le biologiste Raphaël Arlettaz. Certains cantons pratiquent déjà une forme de régulation hors-la-loi, et on risque d’assister à une normalisation de ce qui était interdit jusqu’ici.»

Pleins pouvoirs aux cantons?
Non, mais plus de pouvoir qu’aujourd’hui: le tir d’un loup pourrait être décidé par le seul canton, qui devrait uniquement «justifier la nécessité de ces tirs».

Quelles espèces seront gagnantes?
La bécasse des bois verrait sa période de chasse réduite d’un mois, et 12 espèces de canards seraient interdites de chasse – une réforme plutôt symbolique, puisqu’elles représentent 2% des canards tirés. Le Parlement a retiré en dernière minute le castor, le lynx, le héron cendré et le harle bièvre de la liste des espèces régulables, mais il faut noter que toute espèce pourrait y être ajoutée par voie d’ordonnance, sans passer par les Chambres.

Et qui sont les perdants?
Comme le loup, le bouquetin serait toujours considéré comme une espèce protégée, et régulable. Par contre, on pourrait dorénavant le tirer dans les districts francs (lire l’encadré ci-contre). On pourra par ailleurs encore chasser plusieurs espèces dont les effectifs sont en déclin, à l’instar du lièvre brun, du tétras-lyre ou du lagopède.

Quels enjeux pour la montagne?
À l’heure de légiférer sur le loup, les projecteurs se braquent sur les hauteurs: le monde de l’économie alpestre est particulièrement concerné par la cohabitation avec le prédateur. La loi entend donner un nouvel élan à la protection des troupeaux, en n’accordant des indemnités en cas d’attaques que si l’alpage est protégé par des clôtures ou des chiens. De quoi accélérer l’adoption de ces méthodes encore peu utilisées? Pas vraiment: «Impossible de protéger tous les alpages!», assure Thomas Egger, tandis que Raphaël Arlettaz, lui, lâche: «Si l’on peut tirer les loups avant qu’ils ne provoquent des dommages, nul doute que l’on prendra souvent le fusil au lieu de mettre en œuvre des mesures de protection des troupeaux. Les mesures risquent de s’annuler l’une l’autre plutôt que de se conjuguer.»

Quelles autres nouveautés?
La nouvelle loi protégerait environ 300 corridors naturels permettant la circulation de la faune dans le pays. Une mesure qui n’est pas tout à fait nouvelle, puisqu’elle faisait partie de la Stratégie biodiversité adoptée en 2012. Le texte promet aussi une plus importante participation de la Confédération pour financer la surveillance de la faune et les mesures de conservation, impose aux agriculteurs de placer des clôtures sans danger pour les animaux sauvages et enjoint aux cantons de «tenir compte des principes du développement durable» dans l’établissement des plans de chasse.

Et si c’est «non»?
En cas de refus, le Parlement serait renvoyé à sa copie, et il faudrait sans doute attendre plusieurs années avant une nouvelle proposition. «Cela ne changerait rien pour les chasseurs, mais la croissance des effectifs de loups deviendrait un problème existentiel pour l’économie alpestre», estime Pascal Pittet. Raphaël Arlettaz, quant à lui, se réjouirait d’une nouvelle réflexion sur cette question complexe: «La grande faune fait partie de notre patrimoine. La législation suisse a permis aux effectifs d’ongulés de croître depuis un demi-siècle, et il faut faire en sorte que cet équilibre se consolide. Pour y parvenir, les politiciens doivent apprendre à écouter les scientifiques.»

+ D’infos www.uvek.admin.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): DR

Les districts francs en péril?

On en compte 42 en Suisse, pour une surface de 150889 hectares: créés au début du XXe siècle pour contribuer à l’augmentation des populations d’ongulés – bouquetins et cerfs –, les districts francs, qui seraient renommés «sites de protection de la faune», pourraient voir leur rôle profondément modifié par la nouvelle loi. En effet, les espèces régulables le seraient aussi dans ces secteurs, remettant en question leur raison d’être et réduisant drastiquement le nombre de zones du pays où ne retentissent jamais de coups de feu.