Reportage
Le vin est de plus en plus servi à la tireuse comme la bière

Les crus que proposent certains établissements proviennent de fûts et non de bouteilles. Plus écologique et pratique, ce système ravit les vignerons qui l’ont choisi. Les consommateurs s’y retrouvent aussi.

Le vin est de plus en plus servi à la tireuse comme la bière

Depuis des décennies, la bière coule à flots grâce à des tireuses. Mais aujourd’hui, les blondes et les rousses se font peu à peu détrôner par le blanc et le rosé. Toujours plus d’établissements choisissent en effet de servir leurs vins au verre en utilisant cette solution au lieu d’ouvrir une bouteille. Au centre de Lausanne, le bar Street Cellar a entièrement misé sur ce concept. La quarantaine de crus proposés pendant l’année provient de producteurs locaux qui livrent leurs nectars en fûts à l’enseigne vaudoise. Il suffit ensuite de connecter les contenants à la tireuse, via le système hollandais KeyKeg. «Grâce à celui-ci, on sait que tous nos crus ne seront jamais bouchonnés et seront bus à la température idéale, explique Julien Caure, cofondateur de Street Cellar. On trouvait absurde que les vignerons passent des jours à mettre leurs vins en bouteilles, puis à les emballer pour que, finalement, ces déchets soient jetés à leur arrivée chez nous. C’est une aberration écologique en plus de représenter une énorme perte de temps.»

Ce système a aussi permis d’économiser de la place de stockage et de dépenser moins d’énergie pour la conservation à une température idéale des nectars. «Une fois dans le fût, le vin ne vieillit plus. Il est conditionné par le vigneron au moment où il juge qu’il est à son optimum», précise Julien Caure. Des facteurs qui influencent le prix de vente au déci, revu à la baisse. «On met les producteurs en avant, mais différemment que par l’étiquette; on affiche leur nom sur les cartes et le comptoir par exemple, poursuit le cofondateur de Street Cellar.

Viticulteurs conquis
Si certains se sont montrés frileux au départ, les vignerons sont aujourd’hui emballés par ces nouveaux contenants. À la cave, troquer les bouteilles contre ces fûts n’engendre guère plus de travail, au contraire. «C’est hyperrationnel. Utiliser ces barils réduit drastiquement les opérations de manutention, remarque Stéphane Gros, viticulteur de Dardagny(GE) qui écoule entre 10 et 20 % de sa production par ce biais. Le vin ainsi stocké ne s’altère pas, la qualité est toujours au rendez-vous, c’est impressionnant. Ce système a un bel avenir.»

Placé dans une poche plastique à l’intérieur du fût, le breuvage n’entre jamais en contact avec de l’air. Une fois ouvert, il peut être consommé durant plusieurs mois, contre quelques jours seulement pour une bouteille débouchée. Cette solution s’avère aussi plus écologique, un contenant ayant une capacité de 20 ou 30 litres. «Un seul fût peut remplacer jusqu’à 48 bouteilles, détaille Blaise Badoux, viticulteur bio à Épesses(VD). C’est autant de flacons en verre, de bouchons et d’étiquettes en moins. Ce qui est bon pour la planète, en plus d’être intéressant économiquement.»

Conquis par le système Ecofass, qui fonctionne sur le même principe que KeyKeg, Blaise Badoux a rempli 200fûts cette année pour le compte de l’entreprise genevoise Bibarium, créée par Marc Sarrazin, issu de la Haute école de viticulture et œnologie de Changins. Cette dernière, persuadée du potentiel de cette nouvelle technologie (lire l’encadré), a étudié de près le concept dans le cadre d’un projet Interreg entre 2017 et 2020, sponsorisé par les cantons de Vaud, Genève et Neuchâtel.

Davantage de convivialité
Aujourd’hui, plus de 200 établissements en Suisse – des bars d’hôtels à ceux des stations de ski – servent leurs vins avec cet équipement fourni par Bibarium. «Cela permet d’éviter le gaspillage et gagner de la place dans les bars, précise Alexandre Richer, de la start-up genevoise. Si un fût n’est pas vide, on peut le peser et racheter son contenu à la fin d’une saison ou d’un festival comme Paléo. Le vin peut se conserver trois ans sans perdre en qualité.»

Les demandes de restaurants se multiplient, comme celles des vignerons. «Aujourd’hui, nous cherchons plutôt à diminuer le nombre de vins disponibles dans notre assortiment, souligne néanmoins Alexandre Richer. Notre gamme, comprenant une soixantaine de références, couvre actuellement 80% des besoins en Suisse. On souhaite se concentrer sur les meilleures ventes, faire du qualitatif avant tout.» Les viticulteurs peuvent toutefois choisir de mettre leur production en fûts compatibles avec des tireuses pour leurs événements privés ou en vue des caves ouvertes. À Dardagny, Stéphane Gros utilise des tireuses dans le cadre de ses activités de traiteur. «Tout le monde peut se servir seul, c’est fédérateur et beaucoup plus convivial, constate-t-il. J’ai créé des carafes personnalisées, afin de donner de la visibilité à mon produit dans une démarche plus durable, qui contente tout le monde.»

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi 13

Aussi en canettes

Pour séduire des consommateurs plus jeunes, la start-up WiiHaa a lancé sur le marché des canettes de 2,5dl de vin, dont du charmont et de l’œil-de-perdrix de Camilien Gaille, vigneron à Onnens(VD). «Ce contenant, sur lequel figure mon nom, donne un coup de jeune aux crus et m’offre de la visibilité en Suisse alémanique, note-t-il. Ces canettes sont légères, pratiques et prennent peu de place dans les sacs de rando une fois finies et écrasées.» À Cully(VD), l’Union vinicole avait tenté ce pari en 2011 déjà, mais elle a cessé sa production, faute d’intérêt. «Le résultat était bon, les dégustations l’ont prouvé, raconte son directeur Martin Morgenthaler. Mais les ventes n’ont pas suivi.»

Questions à...

Benoît Bach, professeur en œnologie à Changins (VD)

Que pensez-vous du système de tireuse à vin?
Je suis très content qu’il se popularise, ce n’était pas gagné. La tireuse permet aux vignerons de vendre des vins meilleur marché dans les restaurants, afin de concurrencer la bière par exemple. Elle promeut une consommation décomplexée. Ce système a un bel avenir, d’autant plus qu’il encourage l’économie circulaire, en favorisant la distribution de produits locaux grâce à une technologie de pointe.

Cette solution est-elle vouée à remplacer les bouteilles dans les bistrots?
Non, ces deux modes de consommation resteront, les bouteilles étant privilégiées pour des vins de garde. Ce concept pèche encore en matière d’image, même si le consommateur ne se rend pas forcément compte que son vin provient d’une tireuse, son intérêt étant porté sur la qualité du breuvage et son prix. Il faudra trouver un moyen de mettre en valeur le produit a posteriori en le servant dans une carafe au nom du vigneron par exemple.

Peut-on encore optimiser ce concept?
Oui, en trouvant comment réutiliser la poche plastique dans le fût et mettre en liaison le vigneron et le consommateur, afin qu’il puisse acheter des bouteilles du domaine qu’il aime.