Les citadins retrouvent la saveur du jus de pomme de leur verger
Mercredi 9 h, Ferme de Cery, Prilly (VD). Dans cet ancien abattoir aménagé en local de production, la laveuse-broyeuse se met en marche dans un tintamarre assourdissant, transformant les pommes en pulpe juteuse que quatre employés attentifs et concentrés disposent soigneusement dans des toiles munies de cadres. L’opération est répétée une dizaine de fois avant que la pile ne soit disposée sous une presse; peu à peu, la cuve se remplit d’un jus doré dont l’odeur subtile et épicée imprègne toute la pièce.
Un parfum que Daniel Varadi hume avec un plaisir manifeste. Car ce pressoir à fruits mis à la disposition des citoyens pour y valoriser les pommes de leur verger, c’est son projet; le responsable de l’agriculture urbaine de la Ville de Lausanne le reconduit pour la deuxième année consécutive. Le principe: on amène ses cageots, on repart avec ses bag-in-box («bib») – et l’assurance que ceux-ci contiennent bel et bien son propre jus. «L’an dernier, nous avons ainsi pressé 8 tonnes de fruits, relève-t-il. Cette année, on va sans doute dépasser ce chiffre: les récoltes seront moindres, mais le nombre de clients supérieur, notre initiative commençant à être connue. Et le pressoir est ouvert à tous, pas seulement aux Lausannois et aux Lausannoises!»
Première expérience à Orbe
Sorti du pressoir, le jus est pasteurisé, puis transféré dans les «bib» disposés sur un plan de travail. Il faut faire vite: derrière, une nouvelle pressée est en route. Très affairée, la petite équipe prend le rythme et s’accoutume à sa nouvelle tâche. Car aucun n’est un pro de la branche: ils dépendent de la Coopérative L’autre temps, à Chavornay (VD), qui se charge de la réinsertion professionnelle de personnes ayant subi un accident de la vie.
«Le pressage s’inscrit dans un programme annuel mené à la ferme de Rovéréaz, un des domaines de la Ville de Lausanne, explique Cyril Maillefer, directeur de la coopérative. Nous suivons ici les grandes lignes de ce que nous faisons depuis six ans à Orbe (VD), où nous avons repris un pressoir qui était déjà en activité, et où l’on a pressé plus de 40 tonnes de pommes en 2020. De septembre à novembre, la même équipe vient travailler ici deux jours par semaine. C’est un boulot exigeant, mais riche, aussi grâce à l’interaction avec le public qui vient livrer ses pommes et chercher son jus.» «La routine va s’installer petit à petit, sourit Rémi Cardinaux, maître socioprofessionnel à L’autre temps, chargé d’encadrer les apprentis presseurs. La difficulté est de conjuguer le rythme nécessaire, les pommes ne peuvent attendre, avec une capacité amoindrie de gestion du stress chez les personnes en réinsertion.»
Valoriser les hautes tiges
Faire œuvre sociale en même temps que durable: la synergie enchante Daniel Varadi. «L’ensemble du projet est basé sur la coopération, relève-t-il. Le bâtiment appartient au CHUV, qui nous le prête, mais fait partie de la ferme de Cery… Le tourteau résultant du pressage est d’ailleurs laissé à l’exploitant, qui en fait du compost. Et les cartons des «bib» sont réutilisés d’année en année.» Mais c’est en amont du processus que la valorisation fait le plus sens, souligne-t-il: «Proposer la production de jus maison s’inscrit dans la politique de la Ville visant à encourager la culture et l’entretien d’arbres à hautes tiges qui ne donnent pas forcément des fruits de table.»
C’est aussi la partie «immobile» d’un projet plus global lié à la transformation alimentaire, note-t-il. «La partie mobile, c’est la possibilité de louer un kit comprenant séchoir, râpe à légumes, marmite à stériliser les bocaux, etc., et d’apprendre à confectionner conserves, sirops et confitures via une série de webinaires.» Le coût du projet est partiellement financé par les propriétaires de pommes eux-mêmes, puisqu’un tarif est établi en fonction des volumes de jus conditionnés. «Un programme de ce type ne peut fonctionner que si une filière en circuit court a été préalablement bien établie, fait d’ailleurs remarquer Cyril Maillefer. Sans quoi la distribution devient plus onéreuse que la production elle-même.»
Un espace de liberté
La Ville a également investi pour les machines qui forment la ligne de production; des appareils d’occasion, prévus pour le pressage de petits lots, que les agriculteurs tendent depuis une vingtaine d’années à délaisser au profit de pressoirs à bandes beaucoup plus rentables. «La moyenne des apports, c’est trois cageots de pommes, soit 90 kg environ, détaille Rémi Cardinaux. On accepte les lots jusqu’à 300 kg, soit 200 litres de jus. Au-delà, nous adressons les demandes à des pressoirs professionnels.»
«Il est intéressant de constater que les villes peuvent être un moteur pour réapprendre des modèles de production agricole un peu oubliés, en faire les constituants de nouveaux paradigmes, se félicite Daniel Varadi. C’est une des vertus de l’agriculture urbaine – ça, et la création de liens. Car on l’a déjà bien vu l’an dernier: les gens qui viennent au pressoir ont besoin de parler, de partager un peu du récit familial dont l’arbre fruitier fait toujours partie. Et, alors que toutes les activités humaines, ou presque, sont prescrites, le verger et ses fruits ouvrent un espace de liberté propice au développement de soi et délié des obligations de rentabilité.»
Questions à... Boris Bachofen, directeur de Rétropomme, fondation pour la sauvegarde du patrimoine fruitier romand
Quelles sont les variétés de pommes les plus communes dans les vieux vergers de Suisse romande?
Des classiques déjà vénérables comme la boskoop, la pomme raisin, la gravenstein parmi les variétés précoces, ou encore la reine des reinettes.
Comment savoir à laquelle on a affaire?
On peut s’adresser à un pomologue pour une détermination, exercice complexe et un peu aléatoire. L’analyse génétique et la comparaison du résultat avec les 2000 variétés recensées en Suisse sont une autre possibilité. Rétropomme organise d’ailleurs deux fois par an une collecte et une analyse groupée d’échantillons, pour un prix de 70 francs. Cela nous permet de découvrir des variétés encore non répertoriées.
Que faire pour sauvegarder ses vieux arbres?
Rétropomme propose des journées où l’on peut faire greffer ses arbres ou apprendre à le faire soi-même. Sinon, si un verger le mérite par ses aspects culturel, paysager et écologique, il peut être entretenu par la taille. Mais un verger qui n’est plus qu’un vestige peut aussi acquérir une nouvelle valeur en tant qu’habitat écologique.
+ d’infos www.retropomme.ch
+ d’infos Ouvert le mercredi de 16 h à 18 h et le samedi de 13 h à 15 h, jusqu’au 11 novembre, www.lausanne.ch/pressoir
Envie de partager cet article ?