Décryptage
Les conserves de fruits et de légumes locaux reviennent au goût du jour

De plus en plus de conserveries artisanales proposent des repas sains, gourmands, pratiques et antigaspi. Si cette technique ancestrale est bien développée en France, plusieurs cours se mettent en place en Romandie.

Les conserves de fruits et de légumes locaux reviennent au goût du jour
Dans une grande marmite, 30 kilos de velouté de courge onctueux ouvrent l’appétit. Pourtant, quand ces cucurbitacées de la variété longue de Nice sont arrivées dans les cuisines d’Emma Azconegui, la veille, elles n’avaient pas fière allure. «Certaines étaient grêlées et éclatées par endroits à cause de la chaleur. D’autres mesuraient près d’un mètre, ce qui n’est pas commercialisable en grande surface. J’ai décidé de leur refaire une beauté», explique l’hôte du jour. Une fois mixées et mises en bouteille, elles ont été chauffées à 122°C durant 1 h 30 dans un four à convection. Un procédé de stérilisation que cette laborantine de métier – formée par la suite en école hôtelière – maîtrise à la perfection. En octobre dernier, elle a lancé sa petite entreprise genevoise Le Cri de la carotte, spécialisée dans les conserves de fruits et de légumes du canton.«J’ai grandi dans un village de Castille, où les paysans utilisaient cette technique pour prolonger la durée de vie des aliments. J’en ai, moi aussi, beaucoup préparé pour ma marraine malade, qui refusait les plateaux-repas de l’hôpital», raconte cette Hispano-Suisse. Aujourd’hui, elle se fournit chez deux agriculteurs de la région et auprès de l’Union maraîchère genevoise, afin de revaloriser les légumes abîmés, hors calibre ou surnuméraires.Un revenu pour les paysans
En Suisse, environ un tiers des vivres produits est perdu ou gaspillé aux différentes étapes de la chaîne alimentaire, selon l’association Food Waste. C’est pourquoi Emma Azconegui a décidé d’agir. «En donnant une seconde vie à ces denrées, elles ne finissent pas en compost ou en biogaz, mais peuvent se garder un an chez le client. Ce débouché offre également un revenu supplémentaire aux paysans», ajoute celle qui se fait aider de deux stagiaires en réinsertion professionnelle. Consigné dans des bocaux en verre, son assortiment se compose de coulis de tomate, betterave lactofermentée au cumin, kimchi, piment fumé ou salsifis en saumure. «Nous ne devons pas oublier ces techniques ancestrales, qui permettent de se nourrir en toute saison d’aliments sains et locaux.»À Renens (VD), une initiative similaire baptisée La Sauvette s’est concrétisée en 2021, grâce à Isabel Kiefer. En parallèle de son travail, cette ingénieure en environnement collabore avec deux fermes vaudoises pour récupérer gratuitement leurs invendus. «Il y a notamment des poireaux déjà montés en fleurs, qui ne peuvent plus être mis dans les paniers», expose-t-elle. Jusqu’à présent, 750 kg de légumes ont pu être sauvés et apprêtés en chutney, confits et pickles à déguster à l’apéro, et commercialisés dans plusieurs épiceries.

En verre ou en fer blanc
Si les conserveries de produits du terroir sont une véritable tradition gastronomique en France, elles se multiplient en Suisse romande ces dernières années. Des cours de stérilisation se mettent également en place (lire l’encadré). Au-delà de la lutte antigaspi, ces entreprises souhaitent proposer des repas rapides, pratiques et du cru. C’est le cas de La Boète, créée en 2021 par Léna et Pauline Maillard et basée à Cully (VD). «De nos jours, on associe les conserves à l’industrie et à la malbouffe. Nous voulions redorer leur blason en cuisinant des mets de qualité, tels que du bœuf bourguignon, du houmous de carottes rôties ou de la blanquette de porc», indiquent les deux sœurs d’origine jurassienne. Dans la même optique, elles ont choisi le traditionnel contenant en fer blanc. «C’est léger, recyclable et facile à transporter, par exemple pour les randonneurs. Nous avons tenu à les rendre plus funky avec un emballage coloré et moderne», soulignent-elles.

Préparer des recettes réconfortantes qui rappellent les repas familiaux du dimanche, c’est aussi le créneau choisi par Nathalie Jampen, cuisinière de métier. Cette habitante du Locle (NE) a monté son entreprise l’an dernier, baptisée La Dépanne. Ce nom illustre bien son concept. «Je m’adresse aux personnes qui n’ont pas le temps ou l’envie de cuisiner, qui souhaitent manger un bon plat le midi au bureau, ainsi qu’aux familles, qui ont parfois envie de se simplifier la vie.» La trentenaire vient de lancer un financement participatif sur la plateforme Yes We Farm pour élargir sa gamme.

Parmi les premiers à occuper ce marché en Romandie, le Français David Couchinave, à la tête de la marque Artisan Conserveur, constate un réel engouement. «Quand j’ai commencé il y a plus de dix ans, je me suis spécialisé dans les produits typiques du Sud-Ouest comme le cassoulet, la terrine ou le foie gras. Aujourd’hui, je prépare de plus en plus de denrées issues de l’agriculture helvétique, à l’image des lentilles de Sauverny (GE) ou des asperges du Valais, relate celui qui a son laboratoire à Clarens (VD). Les clients apprécient. Ce mode de conservation a de l’avenir.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi 13

Apprendre à stériliser sans risque

En France, il existe plusieurs formations consacrées à l’art de la conserverie, obligatoires pour monter son entreprise. Ce qui n’est pas le cas en Suisse. «Les producteurs doivent toutefois s’annoncer à la police du commerce et à la commune, et élaborer un processus d’autocontrôle éliminant tout risque de contamination pour l’humain», explique Andrea Bory, responsable du secteur économie familiale et diversification chez Agridéa, centrale de vulgarisation agricole. Quelques cours existent aussi dans notre pays. Dans le cadre du brevet de paysanne, ils se focalisent sur la pasteurisation. «Il s’agit de chauffer les contenants entre 60 et 100°C afin de faire des conserves à l’échelle familiale. Mais si on souhaite se professionnaliser, il est recommandé de pratiquer la stérilisation grâce à une machine autoclave ou un four à haute pression, montant à plus de 100°C.»

Ces techniques permettent d’éliminer toute bactérie nocive, dont la plus dangereuse Clostridium botulinum, qui produit des toxines indétectables et potentiellement fatales. «Ce type de préparation nécessite donc une extrême prudence», insiste la spécialiste, qui a organisé un premier cours chez Marie-Claire Stern et Jean-Jacques Paillard, à Arnex-sur-Orbe (VD), en octobre dernier. Ce couple de retraités, qui commercialise des conserves sous la marque Mamie-Claire, s’est lui-même formé en France et possède deux autoclaves. Depuis quelques années, il intervient dans la patente cantonale en élaboration de produits fermiers, proposée par Agrilogie Grange-Verney. «Il y a une partie théorique, de la pratique et une dégustation. Les participants apprennent beaucoup, car c’est une activité complexe très enrichissante», conclut Marie-Claire Stern.