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Les dates de péremption sont un frein à la lutte contre le gaspillage

Avec plus de 2,8 millions de tonnes de nourriture jetées chaque année, la Suisse ne fait pas figure de bonne élève. En créant des guides sur les aliments périmés, le groupe Foodsave2025 veut remédier à ce problème.

Les dates de péremption sont un frein à la lutte contre le gaspillage

«Est-ce que j’ose manger ça, ou dois-je le jeter?» Qui ne s’est pas déjà posé cette question en croyant qu’un aliment était périmé? Si l’interrogation paraît anodine, elle va en réalité de pair avec la problématique du gaspillage. «Beaucoup de denrées dont la date de consommation est dépassée sont jetées, alors qu’elles sont encore parfaitement comestibles, explique Claudio Beretta, président de l’association Foodwaste et expert en matière de durabilité à l’Université des sciences appliquées de Zurich. La production de nourriture est une industrie polluante, nous devons agir pour éviter au maximum les pertes.» Ainsi, le groupe de recherche Foodsave2025, composé de représentants de l’industrie alimentaire et du monde scientifique dont fait partie Claudio Beretta, propose de modifier notre façon de voir la péremption des denrées.

À l’heure actuelle, il existe deux systèmes de datation. Tout d’abord la date limite de consommation (DLC), qui indique qu’un dépassement comporte des risques pour la santé. Présentée sous la forme «à consommer avant le», on la retrouve généralement sur la viande, le poisson ou les pâtisseries. Quant à la date de durabilité minimale (DDM), signalée par la formule «à consommer de préférence avant le», elle garantit la qualité gustative du produit, mais une date expirée ne présente aucun danger pour la santé. «Peu de gens sont conscients de cette différence», regrette Claudio Beretta.

 

Passées de date, pas avariées

Sous mandat de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), Foodsave2025 a donc mis au point une série de guides pour aider les consommateurs et les producteurs à s’y retrouver. Le groupe de recherche a également introduit la notion de date de durabilité minimale plus (DDM+). «Il s’agit de la période suivant l’expiration, durant laquelle la nourriture reste pleinement consommable, précise Urs Vollmer, responsable développement durable à Fenaco et membre de Foodsave2025. Elle offre la possibilité de manger sans risque des denrées périmées, mais qui sont loin d’être avariées.»

 

Faire confiance à ses sens

À titre d’exemple, les pâtes et le riz, la farine, le sucre ou le chocolat sont encore bons jusqu’à 360 jours après leur date de péremption; les huiles, les conserves et les céréales, jusqu’à 120 jours. «Les produits secs contenant peu d’eau sont moins sensibles aux organismes problématiques pour la santé, analyse Claudio Beretta. Pareil pour les denrées acides.» Ainsi, le fromage, les yaourts et les produits de boulangerie sont consommables quatorze jours après leur date limite, tandis que le lait et les œufs frais, eux, seulement six jours. «Le meilleur moyen de savoir si un aliment est bon est d’utiliser ses sens, conseille le chercheur. Si votre nez, vos yeux et vos papilles vous donnent le feu vert, alors vous ne risquez rien.» La date limite, elle, peut être étendue de 90 jours si les vivres sont congelés avant le dépassement indiqué. La viande, le poisson ou le fromage râpé sont ainsi conservés plus longtemps. Cependant, en cas de décongélation, ils doivent tout de même être consommés dans la journée qui suit afin d’éviter tout risque.

 

De la production à la vente

Au-delà des particuliers, Foodsave2025 cible aussi la production et la distribution de nourriture. «L’OSAV exige que nos guides s’appliquent à l’ensemble de la chaîne, explique Urs Vollmer. À partir de cette année, nous allons demander à ces acteurs d’utiliser ces nouvelles directives.» Actuellement, la DDM+ n’est en effet pas homologuée au niveau légal en raison de problèmes de compatibilité avec l’Union européenne. Elle pourra néanmoins être utilisée par les producteurs, les inspecteurs et chimistes cantonaux, ainsi que les magasins. Le commerce de détail produit à lui seul 100000tonnes de déchets par an. Une grande partie de ces pertes pourrait être évitée avec l’instauration des mesures préconisées par Foodsave2025.

«L’idée serait par exemple de favoriser la vente de denrées périmées à prix réduit», continue Urs Vollmer. Cette nourriture pourrait aussi être redistribuée à des associations d’aide alimentaire. D’ici à 2030, la Suisse s’est engagée auprès de l’ONU à réduire de 50% son gaspillage dans ce domaine, passant de 2,8 millions de tonnes jetées par an à 1,4. «C’est une quantité énorme, commente Urs Vollmer. Les lignes directrices de Foodsave2025 constituent donc une première base pour atteindre cet objectif. Il est encore difficile d’articuler les chiffres exacts de l’impact de ces changements, mais il faudra que tous les acteurs de l’alimentation jouent le jeu.»

+ d’infos www.foodwaste.ch/trucs-astuces

Texte(s): Mattia Pillonel
Photo(s): DR

Souvent bon après...

Introduite dans notre pays en 1967 par Migros, la datation des aliments emballés est régulée par la loi depuis les années 1980. En 2014, la Confédération publie un guide destiné aux producteurs pour les aider à différencier la DLC et la DDM. Depuis 2018, la start-up Too Good to Go, en partenariat avec Emmi, Cailler et Knorr, pousse le monde industriel à clarifier encore plus cette différence.
Ils introduisent notamment l’étiquette «souvent bon après…» à côté de la DDM pour sensibiliser les consommateurs à ne pas jeter les denrées périmées.

Questions à Alex Stähli, directeur de l’association Table couvre-toi et initiateur de Foodsave2025.

Pourquoi avoir lancé ce projet?

J’ai constitué ce groupe de travail en réunissant cinq experts bénévoles, tous issus de la science ou de l’industrie alimentaire. Mon but est de faire de la recherche pour lutter contre le gaspillage et assurer la sécurité alimentaire. L’instauration de ces guides sur la péremption nous permet de clarifier une zone jusqu’alors grise de l’alimentation, ce qui est bénéfique pour tous les acteurs de la chaîne, sans être bloqué dans un débat politique.

Qu’apporteront ces directives aux banques alimentaires?

Ces dernières années, nous avons constaté une baisse de dons de nourriture. La prolongation des dates nous aidera à redistribuer des aliments périmés, mais encore consommables, ce qui nous laisse plus de marge de manœuvre. Le plus gros avantage pour nous sera la congélation des produits qui ont une date limite de consommation. Cela nous permettra de conserver et redistribuer une grande quantité de denrées ayant une empreinte carbone importante, comme la viande ou le poisson.

+ d’infos www.tischlein.ch