Reportage
Les fleurs des massifs neuchâtelois sont cultivées en bio

L’établissement horticole de la Ville est en reconversion depuis cette année, à l’image d’autres serres communales romandes. Un défi qui implique une grande anticipation et davantage de travail manuel.

Les fleurs des massifs neuchâtelois sont cultivées en bio

Dans les serres horticoles de la Ville de Neuchâtel, le printemps est la période la plus intense de l’année. Concentrés, sept employés alignent des dizaines d’ipomées et de catharanthus sur des chariots, qu’ils disposent à la chaîne dans un camion, direction le centre-ville. Une fois mises en terre, ces plantes d’ornement embelliront de leurs couleurs gaies les quais, le cimetière et les ronds-points, pour le plus grand plaisir des habitants et des touristes. Si ces derniers peuvent dès maintenant en profiter, ces massifs fleuris sont le résultat d’un travail commencé il y a six mois dans les 5000 mètres carrés de cultures situées sur le site d’Evologia, à Cernier (NE), où le contremaître Romain Loup nous accueille, malgré sa journée chargée. «Nous devons toujours avoir un temps d’avance. Nous avons commandé les graines en novembre et commencé les semis dès janvier, notamment pour les annuelles telles que les bégonias. Si la plupart des plantes sont destinées aux zones urbaines, d’autres sont conservées sur place pour être multipliées, explique-t-il. À la fin de l’été, les premières seront déracinées afin de préparer les massifs d’automne, avec des chrysanthèmes, pensées et pâquerettes.»

Tuer larves et champignons
Si cette organisation cyclique est bien rodée depuis la création de l’établissement en 1996, un changement de taille a récemment bousculé le quotidien des horticulteurs: la reconversion bio de la production depuis le début de l’année, qui aboutira une labellisation Bio Suisse d’ici à deux ans. «Nous étions déjà engagés dans cette dynamique depuis longtemps, mais nous souhaitions aller au bout de la démarche et valoriser nos efforts, relate le responsable. C’est un beau challenge, mais qui demande de l’anticipation, de la surveillance et davantage de travail manuel, ce qui est assez lourd.»
Premièrement, il a fallu trouver des alternatives aux produits phytosanitaires de synthèse, auparavant employés en cas de maladies fongiques et d’attaques de ravageurs. «On doit désormais miser sur des traitements préventifs. Par exemple, nous utilisons du soufre, de l’huile de fenouil et du thé de compost fabriqué sur place afin d’éviter le développement de champignons. On peut aussi enlever les feuilles malades à la main et aérer davantage les serres pour empêcher la propagation de la rouille, qui aime l’humidité», détaille-t-il.

Les larves de mouches du terreau – ou sciarides –, sont les autres ennemis à abattre, car elles mangent les racines, ralentissant, voire stoppant la croissance des plantes, dit-il en montrant les milliers d’insectes piégés sur des feuilles autocollantes entre les cultures. «Avant, un traitement par arrosage permettait de les éradiquer. Aujourd’hui, nous appliquons des nématodes, soit des vers microscopiques qui les parasitent. Ces auxiliaires ont sauvé nos semis en février, mais nous avons eu deux semaines de retard.»

Exemple à donner
Le même problème se pose avec le recours au terreau bio, qui décale la floraison de certains végétaux comme les catharanthus. «Il faut également faire attention à ne pas trop arroser les plantes depuis que nous n’utilisons plus de tourbe, car ce substrat permettait d’assécher plus vite la terre et de limiter le développement de pourriture. Tout est question d’équilibre», souligne-t-il. De plus, un essai est actuellement mené avec des copeaux de miscanthus – une graminée ornementale –, afin d’aérer la terre en proposant une alternative locale à la fibre de coco. Quant aux engrais organiques bios, ils sont moins réactifs pour nourrir les végétaux que leurs homologues minéraux. «Ainsi, il faut enrichir le substrat en amont, par exemple avec des raclures de cornes, qui apportent de l’azote.»

Si cet établissement est l’un des premiers de cette envergure à passer au bio en Suisse romande, de plus en plus de serres horticoles communales suivent la même direction (lire l’encadré). À Neuchâtel, ce
processus s’inscrit dans une conception plus générale de l’environnement en milieu urbain. «Il y a sept ans, nous avions déjà commencé à réduire l’usage de produits phytosanitaires lors de l’entretien des espaces verts. De plus, les domaines viticoles et agricoles de la Ville se sont tous progressivement reconvertis en bio. Il s’agit ici de la suite logique, dans une volonté de cohérence et de durabilité, pour agir face à la perte de la biodiversité», expose Mauro Moruzzi, conseiller communal chargé du développement durable. L’objectif est aussi d’inciter les particuliers à adopter un mode de culture plus respectueux de la nature. «En ville, 60% des espaces verts appartiennent à des privés. Il nous faut montrer l’exemple.»

Du côté de Cernier, le défi est relevé, cependant de nombreux tests sont encore à effectuer. «Certaines plantes se sont facilement adaptées, comme les impatientes ou les coléus, mais la reconversion est plus difficile pour d’autres telles que les bégonias ou les piments d’ornement, précise Romain Loup. Nous devons persévérer. C’est un travail de tous les jours.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Matthieu Spohn

D’autres communes sautent le pas

Outre Neuchâtel, plusieurs villes romandes, comme Carouge (GE), reconvertissent actuellement leurs serres en bio. D’autres ont déjà terminé le processus, à l’instar de Meyrin (GE) ou de Martigny (VS), dont l’entièreté de la section des parcs, jardins et serres a été labellisée Bio Suisse en avril dernier. «Afin de tendre vers l’autonomie, un grand nombre de boutures et de semis sont faits sur place et notre équipe de jardiniers fabrique un compost avec les anciennes fleurs déracinées. Pour le reste, nous achetons au maximum des plantes bios et locales», relate Nicolas Fehlmann, chef de la section de la Ville de Martigny. Mais ce n’est pas parce que certains établissements horticoles tendent vers plus de durabilité qu’ils passent forcément en bio certifié. C’est le cas de celui de Lausanne, l’un des plus grands du pays avec une trentaine de serres et une vingtaine de collaborateurs. «Actuellement, nous allons même plus loin que les directives Bio Suisse, car nous n’utilisons pas de tourbe et nous réalisons nos propres infusions, extraits fermentés et purins pour les cultures, notamment à base d’ortie, raconte Etienne Balestra, chef du Service des parcs et domaines. Toutefois, il n’y a pas de nécessité commerciale derrière notre production, contrairement aux domaines viticoles de la Ville par exemple. La labellisation n’est donc pas une priorité, même si nous
y viendrons sûrement un jour.»