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Les franches-montagnes ne se rassembleront pas à Saignelégier

Rendez-vous incontournable de l’été jurassien, le traditionnel marché-concours dédié à l’unique race suisse ne se tiendra pas ce week-end, victime de la crise du coronavirus. L’impact sur les éleveurs est considérable.

Les franches-montagnes ne se rassembleront pas à Saignelégier

Depuis plusieurs semaines, un sentiment étrange règne dans les montagnes jurassiennes. Le traditionnel Marché-Concours de Saignelégier, qui aurait dû se tenir ce week-end, n’aura pas lieu, pandémie oblige. Plusieurs dizaines de milliers de spectateurs font habituellement le déplacement, toute une région vibrant alors au rythme du franches-montagnes. Si éleveurs, cavaliers, atteleurs et autres amateurs de l’unique race suisse comprennent et acceptent cette annulation, l’impact émotionnel est important. Car cette manifestation représente le rendez-vous incontournable de l’été. On y vient pour son ambiance festive unique, ainsi que pour la possibilité de rencontrer et d’échanger avec d’autres amoureux du franches-montagnes.

«Depuis mon enfance, je n’ai manqué aucune édition, souligne Pierre-Alain Waefler, éleveur à La Ferrière (BE). Je peine à exprimer ce que je ressens, il est si étrange de ne pas pouvoir y participer cette année.» Si la fête a lieu le temps d’un week-end, la préparation en amont est considérable. Le printemps a donc été bien calme pour toutes les personnes actives dans l’élevage et la promotion de la race – condition sine qua non pour y présenter un cheval – qui se sont retrouvées sans équidés à bichonner et entraîner. «Normalement, je commence à atteler en mai, fait remarquer Pierre-Alain Waefler, qui a remporté à de multiples reprises les courses de chars romains à quatre chevaux. L’objectif est de parfaire la condition physique de mes athlètes. Cinq fois par semaine, j’avais ainsi pour habitude de sillonner la campagne avec ma compagne Sandrine après les travaux d’écurie.»

Trouver sa monture

Indépendamment de l’aspect sentimental, les conséquences économiques sur le marché du franches-montagnes risquent d’être importantes. Le marché-concours est en effet une fabuleuse vitrine pour ce cheval suisse. On y vient pour présenter ses plus beaux chevaux, les comparer avec ceux du voisin ou choisir un futur étalon pour sa jument. Éleveurs et acheteurs potentiels peuvent s’y rencontrer. Une tente réservée aux sujets à vendre permet à chaque personne intéressée d’essayer sa future monture. Bien que le nombre d’affaires réalisées le week-end même soit modeste, des contacts se créent, débouchant souvent sur une vente dans les semaines qui suivent.

«Chaque année, j’expose cinq ou six sujets, explique Dominique Odiet, de Bourrignon (JU). Si internet permet désormais facilement de promouvoir son élevage, rien ne remplace un échange direct. Les clients aiment de plus en plus rencontrer les éleveurs pour savoir d’où vient le cheval, quel est son parcours.» Pour les instances officielles, cette occasion de nouer de nouveaux contacts avec des personnes qui s’intéressent à la race va également manquer. «Nous profitions aussi de la fête pour entretenir les relations avec nos partenaires étrangers», ajoute Pierre Berthold, président de la Fédération jurassienne d’élevage chevalin.

Craintes pour le futur

Si l’annulation du marché-concours reste un coup dur, nombre d’éleveurs sont encore plus inquiets pour l’avenir. «Ces prochaines années risquent d’être difficiles, témoigne l’un d’eux. Le franches-montagnes est un cheval de loisir ou de sport familial. La baisse de la conjoncture et la crainte du chômage risquent d’inciter d’éventuels acheteurs à limiter les dépenses non indispensables.»

Malgré les incertitudes qui planent sur la branche, aucun des professionnels contactés n’a réduit pour autant le nombre de juments saillies ce printemps. Tout au plus évoquent-ils la nécessité d’être encore plus pointus sur la sélection des poulains. L’enthousiasme des éleveurs pour «leur» race: voilà le meilleur atout de ce cheval suisse.

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Nicolas de Neve

Qualité garantie

Les tests en terrain ont repris en juin, après plus de deux mois d’arrêt. Ce redémarrage a permis de commercialiser à nouveau de jeunes chevaux. Car si les tests ne sont pas obligatoires pour réaliser une vente, ils sont néanmoins fortement recommandés par la Fédération suisse du franches-montagnes, qui les organise à travers toute la Suisse en collaboration avec les syndicats d’élevage. Ils assurent en effet un label de qualité minimum. Réservés aux sujets âgés de 3 ans, ils permettent d’apprécier le modèle et les allures de l’animal. L’aptitude à la selle et à l’attelage est également jugée. Un test de comportement est intégré à chaque épreuve partielle. À noter que le National FM, organisé en septembre à Avenches (VD), ne verra pas de finales «Sport et loisir» cette année. Les épreuves d’élevage et la vente de poulains devraient être cependant maintenues.

Questions à Gérard Queloz, président du Marché-Concours de Saignelégier (JU)

Cette situation exceptionnelle s’est-elle déjà produite par le passé?

En 1918, un autre virus – celui de la grippe espagnole – avait provoqué l’annulation de la manifestation. Puis, au début de la Seconde Guerre mondiale, le marché-concours n’a pas eu lieu deux ans d’affilée. À ces rares exceptions près, le franches-montagnes a été célébré chaque année depuis 1897. Pour moi comme pour tous mes amis éleveurs et amateurs de ce cheval, il s’agira de la première année où nous ne vivrons pas cet événement. Le jour J, il y aura certainement beaucoup de nostalgie.

Quel impact aura cette annulation?

Le franches-montagnes ne pourra pas bénéficier cette année de la manifestation pour être mis en valeur. En temps normal, de multiples représentations – parade de 400 chevaux, courses campagnardes, cortège folklorique – contribuent à montrer la polyvalence et la facilité d’utilisation de la race. Nous devons donner envie aux cavaliers et atteleurs de travailler avec notre cheval! De plus, le marché-concours est une occasion unique pour les éleveurs de favoriser la commercialisation de leurs sujets, notamment auprès de délégations étrangères. Nombreux sont les Français, Belges et Allemands à faire le déplacement jusqu’à Saignelégier pour cela.