Viticulture
Les gelées noires ont décimé sans aucune pitié les vignes valaisannes

C’est tout simplement du jamais vu. Les gelées noires du 19 au 22 avril ont ravagé près de la moitié du vignoble valaisan. Les viticulteurs concernés font face, avec courage et dignité.

Les gelées noires ont décimé sans aucune pitié les vignes valaisannes

Apocalyptique! Le terme n’est pas exagéré pour décrire le paysage quand on traverse le Valais. De Fully à Miège, le vert tendre du printemps a laissé place à des feuilles brunies, des inflorescences desséchées et des rameaux gris. La végétation a été tout simplement anéantie par plusieurs nuits de gelées noires. Les estimations du canton laissent pantois: sur les 4875 hectares de vigne, 1000 sont détruits à 100% et 1000 autres à plus de 70%, réduisant considérablement le potentiel de récolte en 2017. Tant en plaine que sur les coteaux, les vignes ont souffert de masses d’air froid polaires. Les températures, en l’absence de tout courant et par des ciels parfaitement dégagés, sont descendues sous la barre des -5°C, créant un véritable désastre dans un vignoble sorti plus tôt que d’habitude de sa dormance.
À Sierre, sur le domaine Denis Mercier, le spectacle est difficilement soutenable. Sous les yeux du vigneron, une parcelle de cornalin, cépage emblématique de la cave, est totalement brunie, grillée par le froid. Les fils soutiennent des feuilles desséchées qui pendent lamentablement. Le Sierrois, à la tête de l’exploitation avec sa fille Madeleine et son épouse Anne-Catherine, résume avec fatalisme la situation: «Voilà ce que c’est que de vivre avec la nature.» Son domaine de 7 hectares a été largement affecté par ces gelées exceptionnelles.

Un coup de massue
«La vigne avait débourré fin mars. Le stade quatre à cinq feuilles étalées était atteint à bien des places et les grappes bien visibles, raconte le Sierrois. La végétation avait deux semaines d’avance par rapport à la moyenne décennale.» Au domaine Mercier, l’heure est à l’embouteillage lorsque surviennent les alertes de gel. «On a eu le temps de placer les bougies dans les parcelles qu’on savait gélives, notamment celle située devant la maison, encépagée en galotta et pinot blanc. Vu le printemps précoce, j’avais anticipé en achetant de quoi lutter deux nuits.» Denis et Madeleine Mercier se relaient heure après heure, observant avec inquiétude et impuissance la chute spectaculaire des températures. À aucun moment ils ne se doutent cependant du spectacle qui les attendra au lever du jour. Pendant que sa fille poursuit l’embouteillage, le vigneron parcourt avec appréhension son domaine, prenant conscience en même temps que ses collègues voisins de l’ampleur des dégâts. «J’ai reçu un véritable coup de massue. J’ai pourtant l’habitude des gels de printemps qui affectent de petites surfaces et nous font serrer le poing. Mais là, c’est un véritable désastre! Les collines habituellement protégées sont dévastées. C’est au-delà de que j’aurais pu imaginer.»
Un tel scénario n’était tout simplement pas concevable dans l’esprit du vigneron, qui une fois le choc passé, s’efforce de reprendre courage. Près de la moitié de ses vignes ne seront clairement pas vendangées. «Et pourtant, il faudra continuer d’aller y travailler dans les mois à venir, poursuit Denis Mercier. Effectuer les travaux de feuille, passer et repasser dans les rangs pour ébourgeonner ce qui n’a pas trop souffert sera primordial pour préparer 2018. En attendant, l’été sera compliqué.»

Les vignerons font face
«Il y aura autant si ce n’est plus de travail dans les vignes cette année, bien qu’elles ne portent pas de raisin, confirme Laurent Puttalaz, dont la trentaine d’hectares entre Chamoson et Ardon a été particulièrement touchée: tout ce qui est en plaine est foutu. Les coteaux sont partiellement sauvés.» Contrairement à certains de ses collègues, il a décidé de ne pas renvoyer son personnel au lendemain de la catastrophe climatique. «Sur certaines lignes, la moitié des ceps devront être attachés et l’autre pas. Le travail s’annonce fastidieux et compliqué à organiser, nécessitant de nombreux passages et beaucoup d’heures de travail pour des résultats quasi nuls. Ça va être dur pour le moral.» Malgré les sentiments mêlés de colère, d’abattement et d’injustice, Laurent Puttalaz a retrouvé avec son équipe le chemin des vignes, pour ébourgeonner les parcelles les plus hautes, épargnées. «Il faut bien s’occuper l’esprit, en attendant que la végétation reprenne ailleurs!»
Si au niveau cantonal, on peine encore à estimer les pertes en termes de récoltes, Laurent Puttalaz s’attend quant à lui à ne livrer que la moitié d’une vendange habituelle. À la différence des vignerons-encaveurs, le Chamosard ne vinifie pas. Il ne peut donc pas compter sur la vente de vin pour limiter ses pertes financières. «Je sais qu’on va au-devant de mois difficiles, appréhende-t-il. On va repousser l’achat de machines et essayer d’obtenir des reports de charges. Mais ça va être dur. On compte un peu sur la solidarité des acteurs de la branche. Du vigneron à la cave coopérative, on est tous dans la même galère.»
C’est avec pudeur et retenue que les viticulteurs interrogés évoquent les difficultés de trésorerie à venir. «Le pressoir a 35 ans, on devait le changer cette année. Eh bien ça attendra!», indique Denis Mercier. Dans la famille Maye à Saint-Pierre-de-Clages, on se prépare également à «se serrer la ceinture». Des 11,5 hectares qu’il cultive sur le cône d’alluvions de Chamoson-Leytron et sur le coteau d’Ardon, épicentre de la première nuit de gel, Jean-François Maye a seulement pu sauver 2 hectares. «Chardonnay, humagne, merlot, cornalin: il ne reste rien», témoigne le vigneron qui encave uniquement sa propre récolte et se dit désormais tiraillé entre l’attente et l’inquiétude. «Je tiens le coup moralement car je suis en plein dans la période de vente. On n’a pas le droit de se laisser aller, on doit se bagarrer.»
Et le vigneron d’espérer désormais ne pas subir de nouveaux gels, ou un été pourri. «Estimons-nous heureux, ce ne sont pas des gels d’hiver et les ceps ne sont pas morts, relativise Denis Mercier. La vigne va repartir. On nous prédit depuis quinze ans des excès climatiques et des accidents plus fréquents. Cette fois, c’est arriv

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Bise et humidité: le vignoble du Vully anéanti

«Les températures étaient effectivement annoncées négatives, mais nous pensions franchement que la bise empêcherait le froid de stagner, raconte Louis Bovard, vigneron-encaveur au Château de Praz (FR). Mais c’était compter sans ce mélange pluie-neige tombé dans la nuit, qui a humidifié l’air. Les rafales de bise ont dès lors accentué le froid, provoquant d’importants dégâts dans tout le vignoble.» Louis Bovard estime que son vignoble de 12 hectares encépagés à 80% en blanc est touché à  95%. «En attendant que la végétation reprenne, on plante des piquets et des échalas. Et on cogite désormais sur la stratégie à adopter pour les mois à venir.» À l’échelle des 150 hectares que compte le vignoble du Vully, il est pour l’heure difficile de mesurer précisément les pertes. «La saison est encore longue et j’ai bon espoir que les bourgeons secondaires engendrent tout de même du raisin, glisse Claude Besson, vigneron à Bellerive (VD) et président de l’Interprofession des vins du Vully. Personne ne sait comment va réagir la vigne, on n’a jamais vécu ce genre de catastrophe climatique.» L’agriculteur-viticulteur se prépare quoi qu’il en soit à faire le gros dos dans les mois à venir. «J’espère qu’on obtiendra des reports de charges. Dans l’immédiat, ce qui me préoccupe, c’est comment gérer correctement cette vigne qui va repousser, pour préparer au mieux les saisons à venir.» Pour Claude Besson comme pour ses collègues, il faut dans tous les cas aller de l’avant.

Dernier état des lieux

La dernière vague de froid, survenue dans la nuit du 28 au 29 avril, a touché de plein fouet les vignes genevoises. Des domaines ont été touchés aux trois quarts, du côté de Russin, Dardagny Peissy, Sézenove, Bernex et Hermance. Si le vignoble romand va donc payer un lourd tribut à ces gels tardifs, il en va de même côté alémanique: les vignobles argoviens, thurgoviens et zurichois sont touchés aux deux tiers. La situation au Tessin n’est guère meilleure, puisqu’une centaine d’hectares ont été touchés.