Terroir
Les marchés du soir se multiplient en Romandie

De nombreuses manifestations nocturnes sont lancées, souvent près des gares, pour faciliter l’accès au terroir, animer les quartiers et redynamiser les ventes. Mais le succès de ce modèle n’est pas forcément garanti.

Les marchés du soir se multiplient en Romandie

Il est 18 h et les pendulaires sont nombreux à descendre du train à Gland (VD), leur sac à commissions en main. Prochain arrêt: le marché. Depuis 2015, fromager, maraîcher, vigneron, boucher et autres traiteurs s’installent en face de la gare, tous les mercredis soir. Si une trentaine de producteurs sont présents jusqu’à 20 h durant la belle saison, la version hivernale est un peu plus restreinte, mais tout aussi sympathique. En témoigne Joëlle Miserez Bolis, une habituée: «Pour moi, c’est idéal, car je ne peux jamais venir aux marchés du matin en raison de mon travail, raconte cette informaticienne dans le milieu bancaire, qui travaille à Genève et Lausanne. En plus de faire mes courses, j’y retrouve des amis pour boire un verre. C’est devenu un rendez-vous incontournable!»

Du côté des marchands, l’enthousiasme est également palpable. Pour la boulangère Clémence Boulloud, c’est l’horaire rêvé. «La clientèle est très variée, elle vient prendre le goûter dès 16 h, acheter du pain avant de rentrer ou boire l’apéro en mangeant une focaccia, détaille celle qui vend son assortiment dans sa camionnette ”Les pains de Clémence”. De plus, comme mon mari et moi produisons le matin, nous n’arrivons pas à assurer les marchés diurnes, qui sont trop tôt. Ce rythme nous correspond bien.» La Commune est ravie de cet engouement. «L’idée était de capter les travailleurs, promouvoir les circuits courts et créer un lieu de vie à Gland, qui n’a pas vraiment de centre-ville. Suivant la saison, on organise des concerts, des concours de confitures ou des raclettes. Il y a aussi des buvettes, pour l’afterwork. Parfois, il y a près de 500 personnes!» se félicite Sébastien Martin, collaborateur au Service de la population.

Un défi de communication

Ces dernières années, plusieurs initiatives similaires ont été lancées en Romandie, autant à la campagne qu’en milieu urbain, notamment dans le quartier lausannois de La Sallaz, tous les jeudis jusqu’à 19 h, à Carouge (GE) le même jour, ainsi qu’à Glovelier (JU), un vendredi par mois depuis deux ans. D’autres communes y réfléchissent. Du côté de Morges (VD), en septembre dernier, le groupe PLR a déposé un postulat afin de proposer un marché nocturne dans le récent quartier des Halles, qui peine à attirer les habitants. À Nyon (VD), un préavis municipal datant de 2021 vise à imaginer, parmi d’autres mesures, une manifestation de ce type devant la gare. «L’idée est en stand-by, mais elle n’a pas été abandonnée, précise Lionel Thorens, délégué à l’économie de la Ville. Pour l’instant, nous préférons concentrer nos efforts sur le marché du samedi matin. Proposer un nouveau rendez-vous aux habitants nécessite un grand travail d’organisation et de communication. Ce n’est pas facile.»

D’ailleurs, certains événements de fin de journée n’ont pas rencontré le succès escompté. C’est le cas de celui de la Neuveville, créé peu de temps après la pandémie en Basse-Ville de Fribourg, qui a récemment dû s’arrêter faute de marchands disponibles. Idem pour celui de Rolle (VD), qui a eu lieu en 2017 et 2018 près de l’office du tourisme. «Les producteurs avaient peu de disponibilités, car il y a beaucoup d’événements en lien avec le terroir sur La Côte. Il était donc difficile de fidéliser la clientèle. Peut-être qu’un emplacement avec davantage de passage aurait mieux fonctionné», analyse la syndique Monique Choulat Pugnale. À Lausanne, le constat est le même sous-gare, où un marché se tient depuis trois ans dans le parc de Milan. S’il a bien fonctionné à ses débuts, il ne compte aujourd’hui… qu’un seul stand.

Commander puis venir chercher

Comment expliquer un tel déclin? «De manière générale, on a constaté une baisse de fréquentation des marchés traditionnels et de la vente directe à la suite de la pandémie. L’inflation de ces derniers mois a également eu un impact sur les ventes, expose Sylvain Chevalley, coprésident de l’Association romande Marché paysan. Dans ce contexte, une version du soir doit se situer sur un axe stratégique passant, comme la sortie d’une gare, pour intéresser la clientèle et les producteurs. Il est vital de s’adapter au quotidien des consommateurs.»

À Grolley, un autre modèle a été imaginé afin de répondre à la demande. Dans ce village fribourgeois, la commission culturelle organise chaque vendredi dès 17 h 30 un marché primeur en collaboration avec la plateforme de vente en ligne «La Ruche qui dit oui», spécialisée dans le terroir local. Ainsi, depuis trois ans, une trentaine d’habitants précommandent leurs courses sur le site et viennent les chercher auprès des 24 producteurs venus pour l’occasion. «Avant, il y avait un autre marché à ce même horaire, mais la fréquentation était variable, ce qui démotivait les marchands et générait du gaspillage. Aujourd’hui, ce fonctionnement permet aux vendeurs de prévoir les bonnes quantités et aux clients d’acheter facilement des denrées locales. De plus, nous proposons des animations en soirée avec des food trucks, bars et concerts, ce qui permet de séduire d’autres consommateurs, relate la responsable du projet Emmanuelle Baudin. C’est un bon compromis.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Olivier Vogelsang

Exemple inspirant à Genève

Véritable institution au bout du lac, le marché des Grottes a lieu derrière la gare Cornavin depuis 2010 et rassemble chaque jeudi une vingtaine de producteurs et revendeurs. De 16 h à 20 h, des centaines d’habitants de tous âges viennent y faire leurs courses, se réunir après le travail ou simplement boire un verre aux stands tenus par les vignerons et les brasseurs. Une affluence telle que les nuisances sonores de ce rendez-vous hebdomadaire font débat depuis plusieurs années. «Comme tous les lieux animés, il peut y avoir quelques débordements. Pour y remédier, la police municipale a renforcé sa surveillance afin d’assurer la tranquillité des riverains une fois le marché terminé», informe Cédric Waelti, chargé de communication à la Ville.

C’est justement dans le but de «soulager la pression exercée sur ce quartier» que les élus genevois Alain de Kalbermatten et Matthias Erhardt – tous deux membres de l’association Projet Genève, qui milite pour une cité plus animée – ont déposé une motion au Conseil municipal en juin dernier demandant le développement d’autres marchés gourmands nocturnes. «L’objectif est de renforcer les circuits courts et le lien social. À l’échelle d’un quartier, ces événements conviviaux permettent de diminuer les tensions, faire se côtoyer les générations et améliorer le vivre-ensemble, déclare Alain de Kalbermatten. Il y a presque 200 000 habitants à Genève. Un seul marché du soir, c’est trop peu!»