Point fort
Les produits de contrefaçon sont partout, même au fond du jardin

Si la copie de biens de luxe, comme les montres, est connue en Suisse, celle d’outils de jardinage est plus discrète. Elle écorne toutefois l’image des marques, qui, comme Felco, luttent au quotidien contre ce fléau.

Les produits de contrefaçon sont partout, même au fond du jardin

L’histoire prête à sourire, elle est pourtant l’exemple d’un phénomène en plein essor touchant les entreprises suisses. En décembre dernier, l’entreprise Felco a annoncé la destruction de près de 400 sécateurs contrefaits, interceptés en Hongrie par hasard. «Il s’agit d’un incroyable coup de chance, commente le codirecteur général de la marque des Geneveys-sur-Coffrane (NE), Stéphane Poggi. Un douanier passionné de jardinage a ouvert un conteneur en provenance de Chine. Il a tout de suite remarqué que les sécateurs qu’il contenait n’étaient pas de vrais Felco, lui-même en possédant un.» L’homme alerte sa hiérarchie, la marchandise est confisquée dans la foulée. Felco envoie sur place un de ses experts, qui confirme l’intuition du douanier. Les outils sont finalement détruits cinq mois après la découverte de la cargaison frauduleuse.

Espionnage industriel
Ce n’est pas la première fois que l’entreprise neuchâteloise est victime de fraudes. La cible privilégiée des pirates est son produit iconique, le Felco 2. «Il a été imaginé en 1950 et n’est plus protégé par un brevet depuis longtemps, indique Stéphane Poggi. Il est particulier. Il a même reçu en 2018 le Grand Prix suisse de design.»

Utilisé tant par les amateurs que les professionnels, il est massivement copié, notamment aux États-Unis. «On lutte contre les contrefaçons depuis plus de vingt ans, signale le codirecteur général. On s’est même rendus dans des foires en Chine pour faire fermer des stands.» Felco a également fait appel à une société spécialisée pour infiltrer une usine chinoise fabriquant des copies de sécateurs à son nom au milieu des années 2000. Elle a pu stopper la production avec l’aide du gouvernement.

Lutte sur le web
Depuis l’essor de la vente en ligne, le combat s’est complexifié. «On découvre qu’il y a eu contrefaçon lorsque l’on reçoit des plaintes de clients, poursuit Stéphane Poggi. Nos sécateurs sont souvent les produits d’appel sur internet, ils sont vendus en moyenne 30% moins cher que l’original (ndlr: environ 67 fr.). On lutte pour préserver notre image de marque, même si cela nous coûte plus cher que l’impact réel de ces copies au niveau mondial.» L’entreprise estime avoir perdu ainsi environ 150’000 francs ces dernières années, mais ne compte pas se laisser faire, étant la seule à pouvoir se défendre. «Le contrôle de la contrefaçon incombe aux entreprises, confirme Erich Rava, chef de la communication de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI). C’est à elles que revient la responsabilité de protéger leurs produits et de surveiller les marchés.»

De réels risques
L’Administration fédérale des douanes effectue de son côté des contrôles aléatoires dans les aéroports, aux postes de douane routiers et dans les gares, afin d’intercepter des contrefaçons de toutes marques confondues. En 2019, près de 3000 colis suspects d’une valeur totale de plus de 30 millions de francs ont été retenus à la frontière, y compris des envois postaux, alors que 2800 contrefaçons ont été saisies auprès de touristes, indique l’IPI. Il s’agissait rarement d’outils. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, les trois produits suisses les plus contrefaits sont les montres, la maroquinerie et les chaussures. La contrefaçon d’outils représente 3,3% des cas. Cela ne signifie pas qu’elle soit sans risque pour autant. «Nos tronçonneuses sont souvent imitées, reconnaît Thomas Bollhalder, responsable des produits de la marque Stihl. Il faut se méfier des bonnes affaires, car elles peuvent coûter cher.» Il arrive notamment que le niveau de sécurité des copies soit mauvais, rendant les tronçonneuses dangereuses.

Intelligence artificielle à l’aide
Alors Felco a décidé de se battre en s’inspirant des techniques développées en horlogerie, à la pointe dans ce domaine. Elle a recours à une société espagnole qui scanne, grâce à l’intelligence artificielle, tous les sites de vente en ligne, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elle lui envoie ensuite une liste de produits potentiellement contrefaits. Trois employés se chargent d’analyser la liste à la recherche de malfaçons. Depuis avril 2019, plus de 50 sites internet ont été fermés et plus de 10000 cas litigieux ont ainsi été repérés.

Ces prochaines années, la Suisse prévoit de renforcer le contrôle aux frontières en ciblant des marques durement impactées par la contrefaçon et en formant ses douaniers à leurs spécificités. En attendant, les entreprises misent sur la sensibilisation des clients pour tenter d’enrayer ce phénomène mondial.

+ D’infos Plateforme: www.stop-piracy.ch.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Felco

Fromages ciblés

Les fromages suisses sont aussi victimes de contrefaçon! Agroscope a développé en 2008 une méthode pour repérer les bonnes meules des copies en y infiltrant des espions microscopiques. Il a utilisé à cet effet des bactéries lactiques d’origine naturelle comme marqueurs pour certifier l’origine, notamment, de l’emmentaler AOP. La séquence génétique unique de la bactérie traceuse peut être isolée dans quelques grammes de fromage seulement, même s’il a été râpé. Depuis janvier 2021, des bactéries pouvant protéger les fromages à pâte extradure au-delà de 26 mois d’affinage et dans des mélanges à fondue, par exemple, sont aussi proposées aux fromagers. Pour y parvenir, le centre de recherches a dû tester plus de 2000 souches bactériennes avant de trouver les candidates idéales, ne modifiant surtout pas le goût des spécialités.

+ D’infos www.agrarforschungschweiz.ch