8 innovations pour rendre le vin plus durable

Loin de l’idée que la durabilité en viticulture consisterait simplement à ne rien mettre sur les plants, de nombreux viticulteurs, entourés par des chercheurs, se lancent dans des expérimentations. En voici quelques-unes.
11 novembre 2024 Milena Michoud / Lila Erard
Au Domaine des Dryades, à Rivaz (VD), arbres fruitiers, buissons, plantes aromatiques et légumes côtoient la vigne.
© Joachim Sommer

Les membres de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), – ou «l’ONU du vin» – l’ont précisé sur le plan mondial: les défis auxquels doit faire face la vigne sont amplifiés par les effets du réchauffement. À l’échelle de la Suisse, l’institut de recherche Agroscope a placé au cœur de son programme d’activité 2022-2025 ces défis posés par le changement climatique à l’agriculture et à la filière alimentaire. D’autres organismes, comme le FiBL ou encore la commission des vins de Bio Suisse, y travaillent depuis des années.

Rester l’expression d’un terroir

Mais ces innovations concernant le vivant doivent quitter le champ de la théorie pour être testées dans la pratique. C’est pourquoi les expérimentations présentées ici sont en grande partie réalisées par les professionnels de la vigne dans leur pratique quotidienne. Certaines réussissent mieux que d’autres, certaines sont de portée réduite, d’autres durables, mais toutes sont le reflet de vignerons et de viticulteurs qui cherchent des solutions. Des synergies existent d’ailleurs entre ces expérimentations et entre les professionnels.

Ceux-ci se prêtent des outils de mesure, s’éduquent entre pairs à travers des visites de leurs domaines respectifs, et en discutant tant de leurs réussites que de leurs échecs – «qui ne devraient pas être négligés, pour que les prochains puissent en tirer des enseignements», comme le précise David Marchand, conseiller en viticulture biologique au FiBL. Avec, en toile de fond, un enjeu bien résumé par la vigneronne Noémie Graff: «On doit déterminer, pour chaque endroit et chaque moment, quelle est la problématique écologique, et comment faire pour que, face à ces changements, nos vins restent l’expression de notre terroir.»

Sur ses 9,5 hectares à Begnins, la viticultrice et vigneronne Noémie Graff cherche depuis 2018 à réintroduire une forme de polyculture dans son vignoble à travers la vitiforesterie. «C’est un dérivé de l’agroforesterie qui consiste à placer des arbres au sein de la vigne. En réalité, avant qu’on en fasse une monoculture – en particulier quand on a tout arraché pour lutter contre le phylloxéra –, la vigne a toujours eu pour élément naturel la forêt.» Le procédé demande donc, en bordure ou en milieu de ses lignes, de planter des arbres. «Le choix de l’essence et de son emplacement dépend des objectifs recherchés par chacun, explique la vigneronne. Le compagnonnage vigne-arbre rend différents services agronomiques. Il peut notamment servir, outre la diversification des cultures, à diminuer les écarts dans les variations extrêmes de températures ou à lutter contre l’érosion.» Certaines essences, comme l’épine-vinette, accueillent des prédateurs utiles contre les acariens et les thrips nuisant au vignoble. Si elle devait citer un exemple de coplantation réussi? «Étant attachée au pinot noir, je citerais les ronces laciniées, répond Noémie Graff. Elles augmentent la teneur en polyphénols de ce cépage.»
Dans une tendance inverse à celle de la monoculture, la syntropie tend à complexifier au maximum le milieu du plant de vigne. «Plus le système est complexe, moins il sera fragile», précise André Bélard. Sur son domaine des Dryades, à Rivaz, arbres fruitiers, buissons d’une trentaine d’essences différentes, légumes ou plantes aromatiques côtoient ses vignes depuis trois ans. Avec le recul, il constate: «Le sol est plus riche en mycorhizes, grâce aux champignons actifs qui agissent en réseau avec les racines des plants de vignes sous la terre.» Un réseau qu’il alimente dans le but de créer un maximum de biomasse dans sa terre. «Je pars du postulat que plus un sol est fertile, plus les plantes pourront se nourrir correctement et meilleur sera le produit fini.» Et pour celui qui considère avoir «tout intérêt à travailler avec les champignons», ce système porte ses fruits. «Cette année, c’est flagrant: les feuilles de mes vignes sont vertes, même à la base. Au contraire, d’autres à proximité sont jaunes car, à cause de problèmes d’absorption, elles souffrent de carences.» Si André Bélard a vu sa vigne devenir plus vigoureuse, quels sont les effets sur sa production? «J’ai des résultats sur les rendements. J’arrive largement au quota vaudois, mais, en plus, je produis des fruits, des légumes, et de la biomasse qui séquestre entre 1 et 1,5tonne de CO2 à l’hectare par année.» Convaincu, l’homme qui a commencé sur une parcelle test va progressivement adopter ce système pour toute sa production.
«En bio, face aux coûts élevés d’entretien du sol, il faut trouver des moyens de semer qui permettent de faucher le moins possible tout en évitant les plantes invasives», note David Marchand, conseiller en viticulture biologique au FiBL. Encore faut-il choisir le bon couvert végétal. «Il existe une centaine d’enherbements aux conséquences variées, dont certains peuvent servir comme engrais vert ou pour limiter la fauche.» Un mélange de semis incluant du brome des toits permet, par exemple, de profiter des cycles naturels de la plante, car elle puise peu d’eau et n’entre pas en concurrence avec la vigne. «Le brome se développe au printemps, fane en créant un petit mulch pendant la saison d’activité de la vigne, et redevient vert en automne.» À Sion, Bruno Luyet, chef de culture du domaine du Mont d’Or, en a fait l’expérience. «Mon vignoble est en terrasses, donc impossible d’y aller avec les machines, relève-t-il. Quand on s’est reconvertis en bio et qu’on a arrêté les herbicides il y a neuf ans, on a eu du sol nu.» Une terre très appréciée par la vergerette du Canada ou la morelle noire. Problème: ces plantes indésirables se multiplient rapidement, grimpent dans les ceps en entraînant une pourriture du raisin et une moins bonne pénétration des produits de traitement, et concurrencent la vigne pour l’eau, nécessitant un fauchage trois ou quatre fois par an. En coordination avec le FiBL, Bruno Luyet a donc fait le test sur quelques parcelles: remplacer les adventices invasives en semant des plantes plus désirables, comme le brome des toits. Résultat: «Elles commencent à se ressemer spontanément dans le reste de nos vignes!»
Pas question de parler de viticulture durable sans mentionner une ressource essentielle qui pourrait, même en Suisse, venir à manquer dans le futur: l’eau. C’est sur cet élément que travaille Planet Horizons Technologies, société basée à Sierre et mandatée par la commune valaisanne de Salquenen depuis 2022 dans le cadre d’un projet d’envergure, soutenu par la Confédération. Testée sur plusieurs parcelles de pinot noir, la technologie Aqua4D permet d’améliorer la pénétration de l’eau dans les sols et le passage des éléments nutritifs minéraux vers les racines de la vigne. «Par une basse fréquence émise dans l’eau, nous modifions sa structure moléculaire, précise Thierry Koch, responsable en paysage de la société. À l’intérieur, le calcium modifié structurellement rend à l’eau sa mobilité et permet de mieux la stocker dans les microporosités du sol.» Mêlée à un arrosage moins fréquent qui pousse le plant de vigne à aller s’abreuver et à développer un meilleur système racinaire, cette technologie a permis une diminution de 26% d’utilisation d’eau. «Le rendement a aussi augmenté de 10% dès la deuxième année du projet.»
Après avoir suivi un cours chez Éric Petiot, spécialiste français en agriculture biologique, Fabien Vallélian a choisi d’appliquer les enseignements à sa pratique. Résultat: il a répandu il y a quatre ans du basalte – une roche noire issue de magma de volcan refroidi – au pied des vignes qu’il cultive à Saint-Saphorin en Lavaux. «On s’est rendu compte que les vignobles situés sur les volcans allaient beaucoup mieux que les autres», relève le vigneron. Avant d’apporter une explication plus locale en vulgarisant: «Chez nous, les sols ont tout ce qu’il faut, mais à l’intérieur ça ne communique pas.» En agissant comme une multitude d’aimants, le basalte augmente la capacité d’échange cationique, et donc la communication entre les éléments nutritifs du sol et l’eau. «La vigne peut alors s’abreuver à une eau particulièrement chargée en ions, bénéfiques pour son développement.» Une méthode «terre à terre» appréciée par Fabien Vallélian, qui en a versé 4tonnes par hectare durant quatre ans sur une parcelle d’essai. La capacité d’échange cationique de sa terre a été évaluée à 35 avant le basalte; celui-ci étant maintenant épandu, le vigneron vise un résultat de 100 lors des prochaines mesures. Il a aussi pu diminuer de moitié ses traitements sur cette parcelle. «Il faut du temps avant de voir comment le sol réagit et, évidemment, c’est couplé à énormément de paramètres. Mais même lors de la difficile année 2021, ma récolte n’était pas moins bonne qu’ailleurs, ce qui est un bon indicateur.»
Depuis les dégâts causés par le phylloxéra, les cépages suisses se plantent sur des porte-greffes, soit des pieds de vignes plus robustes, issus des États-Unis. Si certaines expérimentations visent à introduire de nouveaux cépages résistants (lire en page 12), des études réalisées à l’école du vin de Changins cherchent des innovations du côté des porte-greffes. «Certains, fréquemment utilisés dans le bassin méditerranéen, permettraient un meilleur enracinement en conditions sèches, indique Jean-Philippe Burdet, responsable en recherche et développement à Changins. Ils pourraient aider nos vignes à résister aux sécheresses et à des conditions arides.» Cette solution a l’avantage de pouvoir être couplée tant avec de nouveaux cépages qu’avec les anciens, chers à nos patrimoines viticoles. «Nous faisons actuellement des tests avec du chasselas et du gamaret», ajoute Jean-Philippe Burdet. Grâce à des subventions fédérales, Changins lancera aussi un essai d’envergure au printemps 2025: vingt porte-greffes différents afin de déterminer les meilleurs pour le pinot noir. Les premiers résultats ne seront connus qu’en 2026, voire 2028 pour une récolte complète.
«En Suisse, seule une faible proportion du budget fédéral pour la recherche scientifique est allouée à la viticulture biologique, en comparaison aux techniques non bios. Nous voulons y remédier et viser la neutralité carbone, avec un minimum d’intrants extérieurs.» Tel est le point de départ de l’association Vigne&Avenir, fondée en 2023 par sept viticulteurs et encaveurs vaudois. Pour faire évoluer les pratiques, ce réseau participe à différents essais en lien avec la résilience des sols et des plantes face aux changements climatiques. Parmi ceux-ci, on peut citer l’élevage de micro-organismes grâce à la production de lombricompost, destiné à favoriser la mycorhization des sols. «Il s’agit d’identifier et de réintroduire des champignons et micro-arthropodes utiles qui ont disparu, notamment grâce au prélèvement de leur séquence ADN, explique Guy Cousin, vigneron à Concise (VD). Grâce à notre statut officiel, nous pouvons désormais chercher des partenaires comme des universités, des cantons, des associations et des entreprises pour nous accompagner. Certains viennent également nous trouver, c’est encourageant!» En parallèle, l’équipe met au point une boisson innovante dont la commercialisation en 2025 permettra de dénicher des fonds complémentaires. «Nous voulons montrer que l’on peut être rentable et productif tout en étant bio. D’ailleurs, cet automne, je bats des records de quantité de raisin récolté, ce qui est loin d’être le cas de tous les vignerons du pays.»
En mars dernier, la Cave des viticulteurs de Bonvillars, coopérative d’une trentaine de producteurs fondée en 1943, a inauguré ses nouvelles installations d’optimisation énergétique. Résultat: une pompe à chaleur air/eau et des panneaux solaires améliorent son autosuffisance et réduisent la consommation d’énergie de 40%. «Aujourd’hui, nous produisons 60MWh par an, complétés par l’achat d’électricité suisse. En pleine crise climatique, il était indispensable de repenser notre fonctionnement et changer la vieille chaudière à mazout», estime le directeur Olivier Robert, qui ajoute que la production de vin est très énergivore. «Je pense notamment aux étapes de refroidissement des cuves pendant la vinification et au stockage des bouteilles, qui doivent être maintenues entre 16 et 18°C à l’année.» Une solution innovante de production d’eau ozonée a également été mise en place pour la désinfection de l’embouteilleuse, réduisant la consommation d’eau chaude de 20000litres par année. Ces investissements d’environ un million de francs devraient être financés en moins de dix ans, grâce aux économies d’énergie réalisées.

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