Reportage
Les vendanges réunissent plusieurs générations autour des grappes

Lundi dernier, une dizaine de personnes, dont de nombreux enfants, étaient à l’œuvre sur les hauts de Concise (VD). Pour la famille Chabloz, la récolte du raisin est un rendez-vous auquel on tient mordicus.

Les vendanges réunissent plusieurs générations autour des grappes

Il y a de l’animation, ce lundi matin sur les hauts de Concise (VD). Un bidon et des sécateurs à la main, des vendangeurs s’en donnent à cœur joie. Les grappes de gamaret remplissent les brantes à un rythme soutenu. Il ne faudra que quelques heures pour s’occuper de l’intégralité des 5200 mètres carrés surplombant la ligne ferroviaire du pied du Jura et le scintillant lac de Neuchâtel. «Il y a peu de raisins cette année, commente Pierre-Alain Chabloz, accoudé à son tracteur. Mais, au moins, la qualité est bonne!» Le patriarche n’aurait loupé cette journée pour rien au monde, quitte à ne dormir que quelques heures avant de prendre le chemin des vignes. Il est rentré de la Route du Poisson la veille, exténué d’avoir participé à l’organisation de cette course d’attelage. Mais ce lundi matin, il est bel et bien au volant du Massey Ferguson pour épauler sa fille, Aurore Sauser, désormais à la tête du vignoble familial.

Tout au long de l’année, elle roule des heures entières entre sa ferme du Brouillet, dans la vallée de la Brévine (NE), et les rivages du lac où se trouvent ses vignes, réparties entre Bonvillars et Concise. «Même si j’ai diminué la taille de mon vignoble, je ne renoncerai jamais aux vendanges ni aux spaghetti bolognese préparés par ma sœur à midi, confie Aurore Sauser en souriant. J’aime ce moment, d’autant plus quand on le partage avec les siens. Il fait partie de notre folklore!»

Des aides bienvenues
Comme les Chabloz, des milliers de famille se retrouvent quelques heures à la fin de l’été au milieu des parchets. C’est surtout l’occasion de festoyer tous ensemble (lire l’encadré). Cette année, pour récolter le fruit d’un an de travail, Aurore Sauser a demandé à des amis de venir l’épauler – la date étant imposée par la Cave de Bonvillars dont elle est sociétaire. «Cette aide est essentielle, car nous n’avons pas assez de terres pour engager du personnel le jour où il faut livrer tel ou tel cépage à la coopérative, indique-t-elle. On pourrait utiliser une machine. Je ne suis pas contre, mais je garderai toujours une parcelle à vendanger à la main, pour le plaisir.»

Les participants ne boudent pas leur plaisir. Ils ne chôment pas, se ruant sur les brantards pour se délester de leur récolte avant de repartir dans leur ligne respective. «Je participais aux vendanges chez mes grands-parents quand j’étais petite, ça me rappelle de bons souvenirs, glisse Sabine Vuillermet, amie de longue date d’Aurore. Les enfants apprécient également de pouvoir travailler comme des grands.»

Apprentissage en autodidacte
Entre les ceps de gamaret, les Chabloz s’affairent dans la bonne humeur depuis 1973. «Cette année-là, ma femme et moi avons décidé de reprendre le vignoble de son père, qui ne pouvait plus s’en occuper à la suite de problèmes de santé. Il y tenait beaucoup, se rappelle Pierre-Alain Chabloz, mécanicien sur avions de métier. On a tout appris en autodidacte et on y a vite pris goût!»

Un jeu d’enfants
Au bout d’une ligne, la fille d’Aurore, Heidi, tout juste un an, déguste le raisin, alors que ses cousines se retroussent les manches. La relève apprécie visiblement déjà ce moment de partage. «On fait la course pour savoir qui récolte le plus de grappes, explique Laura Jeanneret. On a l’habitude, ce n’est pas la première fois que l’on donne un coup de main. C’est chouette!»

Taille, effeuillage, fauche de l’herbe poussant entre les lignes et vendanges, leurs filles ont toujours participé aux travaux annuels de la vigne. À tel point qu’en cours de CFC de polygraphe, Aurore décide finalement de devenir vigneronne. Son parrain lui a ensuite cédé des parchets du côté de Bonvillars, s’ajoutant à ceux dont elle s’occupe déjà à Concise. «Autant faire quelque chose que l’on aime vraiment! ajoute la jeune maman. Aujourd’hui, on compte sur notre exploitation de quarante vaches pour vivre et non sur le revenu du vignoble, trop incertain. L’an dernier, 90% des ceps ont été grêlés, on n’a cueilli que 304 kilos de raisins contre les trois tonnes attendues! Cet été, la récolte est aussi maigre, la vigne se remet de l’an dernier et a été impactée par la sécheresse. C’est comme ça, c’est la nature qui décide.»

Après une courte pause autour d’un thé, l’équipe se remet au travail. À la fin de l’après-midi, les vendanges seront terminées pour cette année. La famille livrera l’intégralité de sa production à la Cave de Bonvillars (lire l’encadré). Elle se donnera rendez-vous l’an prochain au pied des ceps, afin de perpétuer cette tradition à laquelle les Chabloz tiennent tant.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Matthieu Spohn

Tradition en perte de vitesse

Combien de familles se retrouvent entre les lignes à l’occasion des vendanges? Difficile à estimer. La taille des vignes concernées complexifie leur comptage, admettent les services romands de la viticulture. «Toute parcelle supérieure à 200 mètres carrés doit être signalée auprès de la Viticulture vaudoise, précise Olivier Dessimoz, porte-parole du Département des finances et de l’agriculture. Il n’existe ni relevés ni statistiques pour les parchets familiaux inférieurs à cette surface.» C’est toutefois en terres valaisannes que le phénomène s’avère le plus courant. «Nous dénombrons plus de 20′000 propriétaires de vigne, dont 8300 fournisseurs de vendanges. Quelque 1150 d’entre eux sont inscrits aux paiements directs et sont donc considérés comme des professionnels, précise Cynthia Chabbey, directrice adjointe de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais. On estime donc qu’il existe environ 7150 personnes que l’on peut qualifier de vignerons du dimanche dans le canton.» Partout en Suisse romande, les vendanges par tradition familiale ont toutefois tendance à s’essouffler. «Leur nombre diminue d’année en année, l’exploitation non professionnelle des vignobles n’étant guère rentable, constate Johannes Rösti, directeur de la station viticole du canton de Neuchâtel. Elle est semée d’embûches administratives et réglementaires.»

Pluie bienvenue

Fondée en 1943, la Cave de Bonvillars est l’une des huit appellations du canton de Vaud. Elle occupe 190 hectares et plus de 100 sociétaires en font partie. «On est passé par tous les états d’âme cette année, mais la pluie de ces dernières semaines a vraiment fait du bien, détaille Olivier Robert, œnologue directeur de la cave. Le taux de sucre et l’intensité aromatique du raisin sont bons, et la maturité des tanins suit une belle évolution.» À la moitié des vendanges, le volume encavé est moyen, les vignes grêlées l’an dernier produisant encore peu cet été.

+ d’infos www.cavedebonvillars.ch