Décrytage
Les youtubeurs sont-ils les nouveaux défenseurs de la biodiversité?

Le contenu dédié à l’environnement fleurit sur les plateformes de partage de vidéos et les réseaux sociaux. Des Romands sont aux avant-postes de cette tendance qui vise à alerter, émerveiller et instruire.

Les youtubeurs sont-ils les nouveaux défenseurs de la biodiversité?

«Salut à tous, bienvenue sur ma chaîne pour cette nouvelle vidéo!» En général, cette phrase introduit un sketch humoristique, un tuto beauté ou une chronique de jeu vidéo. Mais pas uniquement: depuis quelques années, un nouveau type de contenu se développe sur YouTube. On y suit des photographes animaliers, des passionnés de faune ou des scientifiques. Expédition au grand air, construction d’un affût, plongée en eaux troubles, ces documentaires au format court métrage sont conçus pour attirer l’œil, intriguer et amuser tout en mettant en lumière une problématique environnementale. «On balance du rêve, on donne envie aux gens de sortir.» Caméraman indépendant genevois, Fabien Wohlschlag sait de quoi il parle: avec 140’000 abonnés et des vidéos cumulant jusqu’à 700’000 visionnages, celui qui se fait appeler FabWildPix est un pionnier des youtubeurs nature. Sa dernière vidéo en date? La remontée à la nage d’une rivière en pleine nuit pour positionner un affût. «Il y a quelque chose de très spontané dans ces films, dit-il. La qualité de l’image importe moins que ce qu’on y partage en termes d’expérience de terrain. C’est une démarche personnelle: chaque youtubeur parle de ce qu’il aime. Moi, c’est être seul en pleine nature.»

Nouvelles stars d’internet
Dans le sillage de Fabien Wohlschlag, de nombreux amoureux de nature se lancent sur YouTube. La plupart sont des photographes, comme Antoine Lavorel, qui partage en vidéo ses astuces de terrain et ses connaissances naturalistes. Mais on voit aussi apparaître des profils plus singuliers, comme le trio d’étudiants lausannois de la chaîne Trash Talk, qui abordent la thématique des déchets en Suisse, ou encore le rédacteur en chef de La Salamandre, Julien Perrot: «Je ne suis ni caméraman ni acteur, mais j’avais envie de tester ce format court pour proposer un rendez-vous hebdomadaire autour des plantes et des animaux qui nous entourent», explique celui qui a déjà tourné 230 épisodes.

Outre leur tempo rapide et leur ton intimiste, le point commun entre toutes ces vidéos est le fait de se mettre en scène: le youtubeur ne se contente pas de commenter des images, il en est l’acteur principal. «Ce n’est pas si évident de parler face à la caméra, confie Antoine Lavorel. Mais c’est un excellent exercice pour apprendre à s’exprimer distinctement. Et puisque tout ça vise à sensibiliser, la fin justifie les moyens!»

Un public à conquérir
Mais au fait, qui regarde les clips partagés sur YouTube? «Les jeunes, selon Timothée Steiner, de Trash Talk. Ceux qui visionnent nos contenus ont pour la plupart entre 20 et 30 ans.» Même évidence chez les autres vidéastes, qui calibrent leur ton pour captiver une frange de la population échappant souvent aux canaux traditionnels de la communication environnementale. «On va les chercher sur leur propre terrain», résume Fabien Wohlschlag. Et peu importe si la démarche des youtubeurs est parfois critiquée par certains cinéastes naturalistes: «Plus on parle d’environnement, plus les gens y sont attentifs. Même si cela ne doit pousser que 10% de mon public à agir pour la biodiversité, c’est déjà génial. Je n’ai pas la prétention de changer les comportements du jour au lendemain, mais on a un rôle à jouer sur le long terme, en intégrant des informations scientifiques dans un contenu divertissant. Il faut voir la vidéo YouTube comme un produit d’appel, un moyen d’attirer l’attention d’un public profane.»

Les médias classiques ne s’y trompent pas, et la RTS lance même ses propres opérations de séduction: «Animalis», avec Fabien Wohlschlag et Le Grand JD, puis «Alerte bleue», qui consiste à envoyer des stars de YouTube sur le terrain aux côtés du reporter Bernard Genier. Ces capsules rencontrent un franc succès… et montrent l’intérêt de ce canal de communication pour des diffuseurs qui rêvent de rajeunir leur audience.

Le pouvoir de la vidéo
En Suisse, à plus forte raison dans le créneau environnemental, on ne vit pas de son compte YouTube: un millier de vues ne rapportent que quelques centimes. S’ils y consacrent autant d’énergie, c’est parce que les youtubeurs sont convaincus d’avoir un rôle à jouer dans la sensibilisation aux enjeux environnementaux. «La vidéo n’est pas le seul moyen de faire passer un message, note Antoine Lavorel. Mais elle n’a pas son pareil pour partager des émotions.» Son autre atout est lié à sa dimension communautaire: «Je reçois beaucoup de commentaires et de questions. C’est génial de se sentir utile.» Un aspect qui contribue aussi à la qualité des contenus, la force du collectif permettant de corriger rapidement un propos scientifiquement incorrect.

Ces nouveaux messagers de la biodiversité comptent de belles réussites, à l’instar de l’opération #Wearetheorca. Lancée en 2018 par six vidéastes francophones pour attirer l’attention sur la situation désastreuse d’une colonie d’orques près des côtes canadiennes, elle permet de lever des dizaines de milliers de dollars et de faire pression sur le gouvernement. Ou de ces étudiants qui appellent Fabien Wohlschlag pour lui dire que ses vidéos les ont encouragés à embrasser une carrière scientifique: «Quand j’entends ça, j’ai le sentiment d’avoir fait mon job.»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Ces Romands qui cartonnent

La Minute Nature
64’100 abonnés, 233 vidéos
Chaque semaine, Julien Perrot distille conseils d’observation, savoir naturaliste et astuces pour favoriser la biodiversité près de chez nous.

Trash Talk
1990 abonnés, 8 vidéos
La Suisse est-elle aussi «propre en ordre» qu’on le pense? Enéa Cordoba, Marc Prébandier et Timothée Steiner arpentent le pays pour le savoir.

Antoine Lavorel
850 abonnés, 9 vidéos
Le jeune photographe vaudois nous emmène avec lui dans ses expéditions. Ton intimiste et images esthétiques garantis.

Questions à...

Stéphanie Martin-Vavasseur, assistante-doctorante à l’Académie du journalisme et des médias de Neuchâtel

Quelles sont les caractéristiques d’une vidéo YouTube?
Ces contenus sont associés à l’idée de liberté d’expression, de transparence et de partage d’information. Ce sont des formats courts et dynamiques, avec un ton humoristique, un caractère ludique, qui s’affranchissent des «contraintes» des médias traditionnels.

Le succès de ces vidéos est-il un constat d’échec de la communication traditionnelle des ONG écologistes, par exemple?
Pas forcément, mais la vidéo destinée aux réseaux sociaux est un moyen de mobiliser l’opinion très vite, très largement et pour un coût inférieur aux campagnes traditionnelles.

Sur YouTube, on peut passer d’un contenu scientifique à une vidéo militante, voire à un clip sponsorisé, sans s’en rendre compte. Ce flou n’est-il pas dangereux?
Oui. Entre médias, journalistes engagés, youtubeurs militants ou associés à des marques, il faut savoir faire la différence entre contenus sérieux, sourcés, fake news et contenus publicitaires. Dans ce contexte, l’éducation aux médias est primordiale: les jeunes doivent apprendre à confronter diverses sources et à se faire leur propre opinion.