Reportage
Vers et charbon végétal purifient les eaux usées d’un immeuble

Chaque mois, nous vous faisons découvrir des habitats exemplaires sur le plan environnemental. À Genève, deux coopératives ont construit leur propre station d’épuration pour économiser l’eau et faire du compost.

Vers et charbon végétal purifient les eaux usées d’un immeuble

La visite du jour commence sous terre, avec des habitants plus nombreux et moins vertébrés qu’à l’accoutumée. Nous sommes dans la ministation d’épuration des coopératives genevoises Équilibre et Luciole, qui ont mis en place un système pionnier d’assainissement des eaux usées grâce à une bonne dose d’ingéniosité et de… lombrics. Dans le jardin de cet immeuble situé à Genève, rue Soubeyran, une trappe en bois abrite un filtre de huit mètres de diamètre composé de charbon végétal et de compost garni de vers, assainissant les eaux des toilettes. «L’idée était d’imiter ce qui se passe dans un champ quand il pleut. Les bouses de vache sont dispersées par l’eau, transformées en humus par la faune puis filtrées avant d’arriver dans les nappes phréatiques», image Olivier Krumm, le représentant du maître d’ouvrage, en descendant dans la fosse. «Des grenouilles y ont même élu domicile. C’est un petit monde en soi! Pour éviter les odeurs, nous recouvrons le tout de paille.»

Tirer la chasse et arroser
Deux filtres plus petits épurent les eaux des douches, éviers et machines à laver. La totalité du liquide, y compris les eaux de pluie, est ensuite stockée dans une cuve de 26’000 litres qui alimente les chasses d’eau et les tuyaux d’arrosage. «Grâce à ce circuit fermé, nous n’utilisons que 90 litres d’eau par personne, contre 140 litres en moyenne en Suisse», se félicite-t-il. En parallèle, près de 1500 litres de compost sont produits chaque année grâce aux déjections, servant d’engrais pour les arbustes. «On oublie souvent qu’au début du XXe siècle, la moitié de la matière fécale des Parisiens servait à fertiliser les champs alentour. Aujourd’hui, à Genève, les eaux usées sont toutes traitées dans une station d’épuration centrale qui recourt à un procédé énergivore, avant d’être rejetées dans le Rhône. Cela gaspille les ressources et rompt le cycle des nutriments», regrette celui qui entretient l’installation avec trois autres habitants. En parallèle, un travail de doctorat en cours vise à étudier la capacité de traitement des micropolluants sur place.

Le logement, un levier politique
De retour à la surface, la visite continue à l’intérieur du bâtiment, dans lequel vivent une centaine de personnes. Ces dernières ont toutes acheté des parts sociales pour devenir coopératrices, afin de fonder un lieu de vie où l’on prône la construction durable, la mutualisation des ressources et le vivre-ensemble. Tout a commencé il y a plus de dix ans avec des réunions et chantiers participatifs pour construire l’isolation en paille locale. Si les murs porteurs sont en béton brut, le plancher est omniprésent, de façon à «donner l’impression d’être chez soi partout», dit Olivier Krumm. Pari réussi. Dans l’entrée, une table de ping-pong jouxte une bibliothèque et une grande salle commune. Outre les balcons communicants, chambres d’amis, toit-terrasse, local de bricolage et voitures partagées – fréquents dans ce type d’habitation –, on trouve un économat destiné au stockage des achats en gros de produits alimentaires et de nettoyage, ainsi que trois pièces indépendantes pouvant être louées périodiquement pour faire un bureau ou une chambre d’adolescent. «Le logement est un besoin fondamental et politique. Il est nécessaire de se le réapproprier. De plus, ce modèle économique à but non lucratif permet des loyers environ deux fois moins chers que les tarifs genevois», précise-t-il.

Au bout du lac, l’initiative essaime. Ces prochaines années, plusieurs immeubles sortiront de terre à Presinge et Plan-les-Ouates sous l’impulsion de plusieurs coopératives, inspirées du fonctionnement et du système novateur de Soubeyran.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): DR

Habitant et pilier

Genevois d’origine, Olivier Krumm a effectué des études d’architecture à Grenoble (F). En parallèle de son activité d’indépendant, il est devenu représentant du maître d’ouvrage de la coopérative Équilibre pour l’immeuble de Soubeyran, tout en en assurant la gérance technique. Tous les deux mois, ce père de deux enfants organise également des visites destinées au public ainsi qu’aux communes et coopératives intéressées.

En chiffres

  • 1 immeuble pour 2 coopératives.
  • 2017, l’année d’emménagement.
  • 38 logements au total.
  • 4700 m2 de surface, dont de nombreux espaces partagés.
  • 2000 bottes de paille issues de fermes genevoises sont utilisées pour l’isolation.
  • 1 fosse de 80 m2 dans le jardin accueille la ministation d’épuration.
  • 180 m2 de panneaux solaires photovoltaïques sur le toit et 2 pompes à chaleur.