Reportage
Manipuler les bovins sans stress grâce à une méthode «magique»

La technique de Michel et Benoît Souvignet fait ses preuves depuis plus de vingt ans. Basés dans le Cantal(F), ces éleveurs partagent leur savoir-faire alliant bien-être animal et sécurité, notamment avec des Romands.

Manipuler les bovins sans stress grâce à une méthode «magique»

Tout en calme et en maîtrise, Benoît Souvignet s’approche de la première génisse limousine attachée pour la démonstration. La bête ayant une vue panoramique à 330°, sauf à l’arrière et droit devant son nez, il l’aborde par les trois quarts sur la droite. L’éleveur du Cantal (F) pose délicatement mais franchement la paume de sa main gauche sur l’épi dorsal de l’animal, un centre nerveux, ce qui a pour effet de le tranquilliser. Puis il effectue une légère pression derrière l’oreille, masse l’œil et place sa main sous la langue, trois gestes qui apaisent aussi le veau et qui ont pour but d’améliorer la manipulation du bétail et la gestion du troupeau.

Ensuite, Benoît Souvignet s’adosse à la génisse, au niveau du creux du cou et de l’avant de l’épaule. «Cet appui total avec les pieds au sol garantit la sécurité, permet de sentir le mouvement et de faire bloc avec la bête afin de la calmer.» Puis il montre comment réaliser un licol avec la corde de dressage qu’il boucle grâce à un nœud spécifique, facile à faire et à défaire en cas de danger. «La corde ne doit pas être trop fine, mesurer quatre mètres de long et idéalement être constituée de plastique et de sisal pour éviter de brûler les mains, mais avoir une bonne solidité.»

Du dressage au bien-être animal
C’est accompagné de son père Michel Souvignet, 76 ans, que Benoît intervient lors de deux formations d’une journée organisées par Proconseil à la ferme du Château-Blanc, à Gingins, dans le canton de Vaud (lire l’encadré ci-dessous). Le paysan partage un savoir-faire précis acquis à force d’observer les limousines du groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) familial, situé dans le Massif central. Rodé, le tandem forme des éleveurs depuis plus de vingt ans, ayant sillonné une soixantaine de départements français, mais aussi la Suisse, la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne. «Les bêtes nous ont tout appris, souligne Michel. La méthode Souvignet a beaucoup évolué, à force de visiter de nombreux élevages à la rencontre de 4000 à 5000 professionnels. Au départ, c’était du dressage, puis c’est devenu du bien-être animal.» L’acclimatation à l’humain permet notamment d’optimiser les soins futurs.

Au tour d’une bonne vingtaine de Romands d’entrer dans l’arène. La technique fonctionne bien pour les allaitantes, plus délicate à maîtriser que les laitières traditionnelles chez nous. Avec notamment
un marché de la viande porteur et moins d’astreintes comme la traite, les élevages allaitants – souvent petits – représentent actuellement 25% du cheptel.

Le sevrage, un moment décisif
Benoît prévient: «La méthode Souvignet se base sur de nombreux détails qui font la différence.» La première clé réside dans le moment du dressage des veaux. «Il s’agit de la période de sevrage, vers 7 à 12 mois, lors de la perte de repères due à la séparation d’avec la mère», précise Michel. S’ensuivent alors plusieurs étapes. Le respect de la corde consiste à attacher l’animal tout juste sevré environ deux fois huit heures afin de l’habituer à la corde. Puis le respect de l’humain s’acquiert en faisant marcher la bête dans un couloir d’environ 15 m sur 3, à deux personnes; le meneur se positionne à l’avant en tenant le licol serré, tandis que le pousseur se tient à l’arrière toujours dans le champ de vision de l’animal.

Et c’est là que la «magie» opère, grâce à un positionnement et à des ordres précis. En un quart d’heure, chaque binôme de participants parvient à dresser son bovin en le faisant marcher calmement dans le couloir, puis dans un espace servant de ring et enfin à l’extérieur. Au total, sans compter les heures d’attache, environ trois heures de présence active suffisent pour tisser une relation de confiance avec l’Homme qui perdurera pendant des années. Sans compter que de génération en génération «les petits profitent de l’expérience de la mère».

Toutes les races s’avèrent réceptives à la méthode Souvignet (même si elle n’a pour l’heure pas été testée sur la rouge des prés et la highland). Au rayon des statistiques, le duo père-fils estime à 60% les animaux «normaux» pouvant être dressés en quinze minutes, à 30% ceux demandant plus de temps et à 10% les caractériels ne pouvant être dressés (à éliminer du troupeau). Et du côté des humains? «Entre 40 et 50% des éleveurs qui s’en donnent les moyens y arrivent, 20% ont besoin de plus d’efforts et les autres n’auront pas le feeling.» En Suisse, il faudra aussi veiller à concilier ce procédé avec certaines exigences propres aux labels ou des bâtiments peu adaptés, comme les anciennes petites écuries laitières.

+ d’infos www.gaec-souvignet.fr – pour le DVD, contacter e.lemaitre@prometerre.ch

Texte(s): Réane Ahmad
Photo(s): Réane Ahmad

Une technique sous la loupe

Voici ce qu’il ressort des cours:
Points forts: mise en œuvre assez facile, rapide et peu coûteuse, obtention d’un troupeau calme, gain de temps et de sécurité dans la manipulation du troupeau, atout pour détecter et soigner les problèmes sanitaires, repérage précoce et élimination des animaux caractériels, atout pour la vente et la présentation lors de concours, pas de stress à l’abattage et viande tendre.
Points faibles: investissement en temps lors du dressage, présence de deux personnes
pour la sécurité.
Conditions de réussite: se former avec un éleveur expérimenté, être calme et prendre son temps, réaliser le dressage dans les quinze jours suivant le sevrage, avoir un lieu pour attacher les animaux et un couloir d’environ 15×3m pour l’apprentissage de la marche, utiliser un licol en corde spécifique.

Questions à...

Laura Weber Moser, de la ferme du Château-Blanc à Gingins (VD)

Qu’est-ce que la méthode Souvignet a changé pour vous en six ans?
Beaucoup de choses! Je tiens à ne pas avoir peur de certaines bêtes difficiles. En tant que femme, cette technique permet vraiment de maîtriser le troupeau sans force. J’ai énormément de plaisir avec les vaches, qui sont comme des animaux de compagnie. Cela nous a amené de la simplicité dans le travail, du plaisir et davantage de sérénité. En découvrant la pédagogie animale, on se découvre aussi soi-même.

Quels conseils donneriez-vous aux éleveurs pour se lancer?
Il faut persévérer! Après trois ou quatre ans, quand les génisses dressées deviennent mères, on voit l’efficacité de la méthode. S’il y a un problème, c’est rarement la faute du bovin, mais plutôt du placement de l’éleveur ou de l’environnement. On devrait enseigner cette technique dans les écoles d’agriculture.

Est-ce un argument marketing pour la vente de vos produits et de vos bêtes?
Oui, nous mettons toujours en avant notre méthode d’élevage, en parlons avec nos clients et faisons volontiers visiter l’exploitation. Avoir un troupeau calme s’avère super important pour la confiance avec les acheteurs; nous n’avons que des retours positifs.