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Même en mode bio, tout n’est pas rose dans la production porcine

En cas de oui à l’initiative, l’élevage bio pourrait devenir le modèle de base dans notre pays. Mais en quoi diffère-t-il du système conventionnel? Visite sur le terrain, dans l’exploitation de la famille Cuenin, à Épauvillers (JU).

Même en mode bio, tout n’est pas rose dans la production porcine

Le chemin de campagne se hisse sur les hauteurs du Clos-du-Doubs (JU). Au-dessus d’Épauvillers se niche le domaine de la Pâturatte. Comme le lieu-dit et le relief le laissent présager, les cultures sont assez rares alentour, le paysage étant vert de pâturages. Dans cet endroit reculé, Josué Cuenin et son fils Geoffrey, qui représente la cinquième génération, font vivre l’exploitation familiale. Un vieux chien boiteux accueille les visiteurs, escorté par quelques poules qui s’égaillent en liberté. Mais là s’arrête la comparaison avec l’image d’Épinal de la ferme de grand-papa. En attestent les grands blocs de béton qui s’empilent dans la cour.

«Nous sommes en pleins travaux, indique le père. Nous aménageons des sorties individuelles pour les truies et leurs nichées.» Car le naissage est la spécialité de l’exploitation, qui comprend également des bovins. Auparavant certifié IP-Suisse, le domaine est bio depuis 2020, après une reconversion entamée en 2018. Toute l’alimentation des porcs est désormais Bourgeon. «Nous ne produisons pas leur nourriture, les terrains montagneux réduisant les possibilités de cultures. C’est toutefois compensé par nos collègues de la plaine.»

Transformations régulières
Pour les vaches aussi, l’affouragement est bio, mais leur élevage ne diffère guère du conventionnel, si ce n’est pour l’entretien des pâturages, où chardons et rumex sont éliminés manuellement. Quand il s’agit d’expliquer ce qui a motivé le passage au bio, Geoffrey prend la parole: «Plusieurs raisons nous y ont poussés. Nous voulions nous passer de produits de synthèse; j’ai d’ailleurs souffert de quelques soucis pulmonaires en les utilisant. Les prix plus élevés et plus stables en bio compensent les rendements plus faibles dus à l’abandon des traitements. Et puis, nous souhaitons également que nos animaux se sentent bien.»

Un bien-être synonyme de davantage d’espace pour les bêtes. Le nombre de truies va ainsi passer de 120 à 84. «Il faut aussi de la place pour élever les remontes (ndlr: jeunes truies sélectionnées pour devenir mères)», souligne Josué. Les box de mise bas dépassent désormais les 7 m2 requis par les directives bios. «Nous avons pris un peu de marge, vu les changements réguliers auxquels nous devons nous adapter, soupire l’exploitant, qui a investi plus de 2,5 millions de francs depuis qu’il détient la ferme. Les normes évoluent sans cesse, c’est parfois dur pour le moral. Les gens ne se rendent pas compte des exigences, souvent dictées sans véritable connaissance de la pratique.»

La santé complexe à gérer
Des nids à thermostat gardent les porcelets au chaud. «À la naissance, les petits sont fragiles, explique Geoffrey. Ils ont besoin d’une température de 40 °C, abaissée progressivement de façon automatisée.» Le cahier des charges bio prévoit que la portée, une fois âgée de trois semaines, ait accès au plein air. Les sorties s’effectuent ici par groupes de cinq truies accompagnées de leurs jeunes. Mais avec l’expérience, les éleveurs ont opté pour des enclos individuels, d’où les travaux en cours. «Nous espérons éviter ainsi certaines infections, relève Josué Cuenin. La maladie des quartiers notamment peut se transmettre par les porcelets. Il suffit que l’un tète une truie infectée, puis revienne vers sa mère. Une coche qui a trois ou quatre trayons irrécupérables finit à la boucherie.»

La question sanitaire se pose également lors du sevrage, vers cinquante jours à la Pâturatte. C’est l’un des revers de l’élevage bio qu’ont constaté les deux agriculteurs. «Le passage à la nourriture solide est un moment délicat, note le fils. Les acides aminés synthétiques donnés comme compléments en conventionnel sont bannis en bio. Et certains composants sont absents des denrées autorisées. La protéine de pomme de terre, par exemple, ne peut être obtenue que par l’importation et sera supprimée par Bio Suisse. Il n’y a rien pour compenser afin d’équilibrer l’alimentation et éviter les problèmes intestinaux. Nos porcelets ont donc parfois la diarrhée et doivent être soignés avec des antibiotiques. C’est pourquoi nous construisons huit box de trente-quatre porcelets pour améliorer le confort et réduire la charge virale.»

Séparés de leurs génitrices, les jeunes rejoignent des exploitations d’engraissement une fois qu’ils pèsent 25 kg, excepté les futures truies mères. Les coches partent en extérieur, où une zone de fouille est requise. Elles retrouvent le verrat en vue de nouvelles portées. Elles en auront cinq à huit, avant l’abattage. Geoffrey regarde affectueusement ses bêtes: «Le plus rentable est de les garder le plus longtemps possible.»

Texte(s): Isabelle Chapatte
Photo(s): Nicolas de Neve

Des normes en constante évolution

En cas de oui le 25 septembre, les directives Bio Suisse 2018 deviendraient le minimum requis. «Ces normes suivent les principes fondamentaux du Bourgeon, souligne David Herrmann, responsable médias chez Bio Suisse. Elles reposent sur le bien-être animal grâce à une alimentation et à des conditions d’élevage respectueuses.» Les règles Bio Suisse sont par ailleurs plus exigeantes que les programmes SRPA (Sorties régulières en plein air) et SST (Systèmes de stabulation particulièrement respectueux des animaux), sur lesquels elles s’appuient. Par exemple, les transports sont contrôlés par la Protection suisse des animaux et l’utilisation préventive d’antibiotiques est interdite. Ces normes évoluent pour le label Bourgeon. Depuis cette année, le fourrage des ruminants doit être d’origine helvétique et ne contenir pas plus que 10% d’aliments concentrés. Dès 2026, il sera interdit de tuer les poussins mâles.