Quelles sont les réponses de la flore alpine au réchauffement?

Dans le cadre du projet GLORIA, qui vise à étudier l’impact du changement climatique en zone de haute altitude, une équipe de botanistes a récolté des données en Valais (VS).
10 août 2023 Camille Saladin
Camille Saladin

Affairées sur les pentes escarpées du Mont-Brûlé (VS), comme perdues dans l’immensité montagnarde, quatre silhouettes se déplacent, faisant craquer sous leurs pas une couverture de lichens asséchés. Posées à même le sol, des bandelettes blanches, divisées en neuf carrés égaux, morcellent la végétation qui s’y trouve. Par groupes de deux, un livret à la main, quatre botanistes de générations académiques différentes s’entretiennent avec passion de leurs découvertes respectives, l’index posé sur la verdure. Leur mission: faire un inventaire des espèces végétales locales, tous les cinq à sept ans, dans le cadre du projet GLORIA.

Lancée par l’Université de Vienne en 2001, l’initiative vise à étudier les conséquences du changement climatique en zone de haute altitude. Avec plus de 138 sites sur les cinq continents, de l’Amérique du Sud à l’Atlas, en passant par les Rocheuses, l’Alaska ou encore le Groenland, elle permet de donner une vision d’ensemble des modifications de la flore alpine. Pour les quatre scientifiques, c’est un rendez-vous à ne pas manquer. «Plus on va en altitude, plus le réchauffement est important. Dans les hautes latitudes, on observe un phénomène d’amplification similaire. Ces endroits sont des zones sentinelles du climat. Les variations y sont vécues plus rapidement et plus fortement», indique Christophe Randin, directeur du jardin botanique alpin Flore-Alpe et du Centre alpien de phytogéographie.

Capacité d’adaptation

En Suisse, trois zones comportant quatre sommets chacun, situées en Valais et dans les Grisons, sont étudiées à la période optimale de floraison. Des équipes scientifiques y comptabilisent les espèces végétales aux quatre expositions, à différentes distances de la cime. Un travail de fourmi, qui dure une quinzaine de jours sur chaque site.

L’étage alpin occupe 3% du territoire européen, mais abrite 24% de ses espèces végétales. Des formes de vie extrêmement bien adaptées qui utilisent nombre de stratégies de manière à se découpler du climat. Un cahier posé sur une cuisse, le stylo prêt pour écrire, Christophe Randin observe le périmètre qu’il a délimité avec son coéquipier Florian Perraudin. Sur la page ouverte, il rajoute soudain une ligne d’annotations à la vingtaine présente, tandis que son collègue l’informe de ses observations. Contre un rocher, la joubarbe des montagnes se dore au soleil, tandis que l’orage gronde au loin et assombrit les pics alentour.

«En été, elle vit avec 40 à 50 degrés d’amplitude pendant la journée et 70 degrés pendant l’année», explique à son tour le chercheur émérite Jean-Paul Theurillat, avant de désigner du doigt une petite plante en coussin se faisant recouvrir par de l’airelle à petites feuilles, comme une illustration des transformations à venir. «Là, on voit un silène, c’est un champion toutes catégories. Sa forme sphérique lui permet d’atteindre des conditions tropicales sous les feuilles: 25°C et 100% d’humidité! En hiver, il durcit pour résister aux températures extrêmes. On a même démontré qu’il pouvait survivre à -180°C!» s’émerveille-t-il.

Un enjeu important

Certaines plantes, quant à elles, s’affranchissent de ces adaptations coûteuses et profitent de la couverture neigeuse afin de pousser là où elle les dispense de se confronter au gel tardif, mais en contrepartie, elles raccourcissent leur cycle de vie. «Elles doivent être extrêmement efficaces pour la photosynthèse par rapport à la plaine où le processus est quasi continu. On passe de neuf mois à six semaines, mais elles font le job comme les autres», relève Pascal Vittoz, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne.

Outre le fait de satisfaire la curiosité des chercheurs, cet échantillonnage est essentiel pour comprendre la tendance générale de la croissance et des déplacements des végétaux en altitude, ainsi que pour identifier les gagnants et les perdants face au réchauffement. Avec le relâchement de la pression engendrée par le froid, les zones de végétation alpines, jusque-là peu favorables au développement de certaines espèces, augmentent en biodiversité.

Celles-ci accueillent des plantes plus thermophiles et souvent très compétitives, qui peuvent alors occuper tout l’espace et en faire disparaître d’autres, jusque-là adaptées aux conditions très spécifiques du milieu. «En montagne, l’enjeu est conséquent, car la progression des buissons limite les surfaces d’estive et ferme rapidement les prairies et les pelouses alpines. C’est une problématique qui nécessitera des mesures d’adaptation pour soutenir l’agriculture et l’élevage», précise le botaniste.

Biodiversité boostée

Quelques tendances générales se dégagent déjà des relevés du site (quatre sommets valaisans), même si les résultats sont encore en cours d’analyse. Le nombre total d’espèces a augmenté, passant de 135 à 162 en l’espace de vingt ans (+20%), ce qui corrobore les prédictions d’augmentation de la biodiversité. Assez spectaculaire, l’expansion de certains buissons, en particulier la myrtille, l’airelle des marais et l’airelle rouge, va dans le sens d’une fermeture des pelouses alpines par les landes. En parallèle, certaines plantes spécifiques ont disparu ou ne sont presque plus présentes; c’est le cas de la marguerite des Alpes, de l’androsace carnée, de l’androsace à feuilles obtuses, et de la véronique fausse pâquerette. Les lichens terricoles, opportunistes, sont en augmentation. Si la tendance se maintient, dans vingt ou trente ans, l’embuissonnement aura pris de l’ampleur, et la limite climatique de la forêt aura largement dépassé le sommet du Mont-Brûlé (2550 m).

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