Au Naturéum, les spécimens racontent et font science sous nos yeux

Elle devait durer jusqu'en mars. À Lausanne, la première exposition mise sur pied par le Naturéum s'offre une prolongation jusqu'au 24 août 2025. À la clé, ateliers, soirées et surtout zoom sur les collections.
27 février 2025 Milena Michoud
L'exposition «Spécimens 24» permet 
d'informer le public sur l'utilité des 7 millions de spécimens détenus par le Naturéum.
© Gabrielle Lechevallier/Stefan Ansermet
L'exposition «Spécimens 24» permet 
d'informer le public sur l'utilité des 7 millions de spécimens détenus par le Naturéum.
© Gabrielle Lechevallier/Stefan Ansermet
L'exposition «Spécimens 24» permet 
d'informer le public sur l'utilité des 7 millions de spécimens détenus par le Naturéum.
© Gabrielle Lechevallier/Stefan Ansermet
L'exposition «Spécimens 24» permet 
d'informer le public sur l'utilité des 7 millions de spécimens détenus par le Naturéum.
© Gabrielle Lechevallier/Stefan Ansermet

À Lausanne, depuis quelques mois, le palais de Rumine est caché derrière les travaux d’assainissement de la place de la Riponne. Mais les courageux qui contourneront le chantier puis monteront quelques marches pour accéder à l’imposant bâtiment ne seront pas déçus. Car jusqu’en août de cette année, ils pourront arpenter les allées de la première exposition temporaire du Naturéum – le musée cantonal vaudois des sciences naturelles. Son nom? «Spécimens 24».

S’il peut paraître cryptique, il est en réalité purement descriptif. «Le chiffre est pour 2024, l’année du vernissage de l’exposition», contextualise son directeur Nadir Alvarez.

Une date et un lieu

Le parcours débute justement par un sas où toutes sortes de spécimens doivent leur regroupement à… leur étiquetage comportant le chiffre 24. Se réunissent donc en vrac, pour n’en citer que quelques-uns, un mollusque américain, un singe d’Éthiopie ou une pièce de monnaie en cuivre.

À cette étape, on commence déjà à mesurer l’ampleur de la tâche de récolte et de collection dévolue aux musées de sciences naturelles tels le Naturéum. Mais si l’on en revient d’abord au nom de l’exposition, à quoi se rapporte le «spécimen»? «Il s’agit d’un échantillon d’origine naturelle, que l’on préserve à des fins d’études ou patrimoniales», explique Nadir Alvarez. Comprenez que cela peut être aussi bien un rhinocéros entier qu’une feuille d’érable.

Néanmoins, pour être considérés comme des spécimens, les végétaux, animaux ou minéraux doivent tout de même remplir certains critères, comme le fait qu’ils soient rattachés à une date et à un lieu. Alors, quel rapport avec l’exposition qui se tient actuellement dans les salles du palais de Rumine? «Elle a justement vocation à montrer au public à quoi peuvent servir les 7 millions de spécimens que nous détenons», explique Nadir Alvarez.

Pour tous les goûts

Il faudrait passer plusieurs jours dans l’exposition pour bénéficier de tout ce qu’elle a à offrir. Les touche-à-tout qui aiment farfouiller y trouveront leur compte puisqu’ils sont autorisés à ouvrir une trentaine de tiroirs abritant collections d’abeilles, de pierres précieuses ou de coléoptères, entre autres. Et celles et ceux qui n’ont pas peur des grandeurs pourront s’atteler à la lecture d’une vertigineuse fresque de 10 m de long, retranscrivant en un seul endroit l’arbre généalogique de tous les vertébrés… sur plus de 500 millions d’années. Attention, on peut s’y perdre!

Une histoire de la science

Au cœur de l’exposition se trouvent donc les spécimens, sortis pour l’occasion des dépôts dans lesquelles ils sont conservés, qui ici tissent un récit. «Nous avons choisi de sous-titrer l’exposition «Nos collections racontent», mais ça aurait tout aussi bien pu être «La Science raconte», s’amuse le directeur.

Car c’est bien l’histoire de la Science et la manière dont celle-ci s’est construite au fil du temps que relatent libellules, chat sauvage ou autres herbiers que l’on rencontre au fur et à mesure que l’on avance dans les espaces aménagés du Naturéum. «Ce qui nous distingue d’un science center ou d’une université, c’est que les collections sont au cœur de notre institution, et que nous pouvons les mettre en scène pour illustrer un propos.»

Entrée symbolique durant les travaux

En s’appuyant continuellement sur les collections du musée, l’exposition s’attelle donc à la colossale tâche de raconter à quoi peut bien servir le travail de bon nombre de ses collaborateurs: le fait de continuer à collectionner et à décrire des spécimens. Elle le réalise en trois étapes: la première se rapporte au souvenir des développements de la Science permis par les collections au fil du temps. La deuxième considère les études et les recherches actuelles menées, tous les jours, grâce aux spécimens. Cerise sur le gâteau, la dernière tire des conclusions pour nos sociétés contemporaines afin que ces connaissances puissent se transmettre aux générations futures.

Pour le récent Naturéum, créé en 2023, mettre sur pied cette exposition a aussi permis de réunir une nouvelle équipe autour d’un projet commun. L’équipe commissaire d’exposition s’est alors organisée en petits groupes réunissant scientifiques et médiateurs.

«C’était l’occasion de s’asseoir pour la première fois autour d’une table et de réfléchir ensemble à ce que l’on voulait raconter au public», se remémore le directeur. Qui espère, par la prolongation de «Spécimens 24», toucher un public d’écoliers. Et si les travaux de la Riponne devaient avoir une autre utilité: l’entrée de l’exposition coûte seulement 1 franc pendant toute la durée du chantier…

Un programme bien fourni

Initialement prévue jusqu’en mars, l’exposition «Spécimens 24» est prolongée jusqu’au 24 août. Le Naturéum ne s’arrête pas non plus aux murs du Palais de Rumine. Jusqu’en juin, les trois lieux que sont le Palais, le jardin botanique de Lausanne – où l’on peut découvrir l’univers des tourbières dans le volet «Spécimens entourbés» – et le jardin alpin cantonal de Pont-de-Nant accueilleront jeunes et moins jeunes pour des ateliers, soirées et visites accompagnées. Pour n’en donner qu’une sélection, un café scientifique sur le rôle des systématiciens dans la conservation de la biodiversité se tiendra le soir du 6 mars, des dimanches accompagnés permettront au public de choisir des spécimens à se faire décrire les 9 mars, 13 et 27 avril et 18 mai, un atelier apprendra aux enfants à créer une loupe les 16 mars, 4 et 24 mai, et des «midis botaniques» se dérouleront encore au Jardin entre 12h15 et 13h les premiers mardis de chaque mois jusqu’en juin.

+ d’infos Inscriptions, horaires et tarifs sur www.natureum.ch

Trois points forts

Si les collections sont les témoins de l'évolution des connaissances sur le plan humain, les spécimens peuvent aussi représenter l'évolution du monde vivant ou géologique. En matière d'évolution, une classe de mollusques est particulièrement représentative: l'ammonite. Dans l'exposition, au centre de la première pièce, un bac lumineux en accueille cinq, réparties selon une ligne du temps sur une durée de quatre millions d'années. Leur particularité? Durant ce laps de temps, leur coquille a évolué pour passer d'une forme relativement rectiligne à une silhouette enroulée de plus en plus petite, en fonction des modifications de leur environnement. «Du point de vue géologique, il s'agit d'une évolution très rapide, s'amuse Antoine Pictet, paléontologue au Naturéum et spécialiste de ce mollusque. En collectant des spécimens d'une strate à l'autre, on a 
pu constater qu'au fur et à mesure des générations, la coquille la plus adaptée est celle qui était de plus en plus enroulée.» Pour le scientifique, leur plasticité morphologique rend les ammonites particulièrement intéressantes à étudier: «Grâce à elles, nous avons accès à un outil de datation extraordinaire.» En effet, en se sédimentant sur les fonds marins, leur coquille s'est fichée dans les strates successives qui peuvent ainsi être datées. «Nous avons donc des millions d'instantanés qui nous permettent de suivre l'histoire géologique sur des millions d'années. Les grandes crises climatiques ont par exemple pu être mieux datées grâce à elles.» Jusqu'à leur extinction il y a 66 millions d'années, leur abondance, leur répartition dans presque toutes les mers et océans du globe, ainsi que leur grande diversité ont ainsi fait de ces fossiles l'outil biostratigraphique – datation des strates géologiques – parfait.
Les collections du musée attirent universitaires ou scientifiques, qui viennent y puiser des connaissances. «Elles représentent une mine d'information: des chercheurs d'Afrique du Nord, d'Israël, de Thaïlande ou des Philippines viennent même ici bénéficier 
de nos infrastructures et comparer leurs spécimens aux nôtres, explique Jean-Luc Gattolliat, entomologiste au département 
de zoologie du Naturéum. C'est une chose d'étudier une espèce à partir de descriptions écrites, mais une autre d'avoir le spécimen sous les yeux». L'entomologiste fait d'ailleurs partie d'une équipe de chercheurs ayant décrit et nommé près de 350 nouvelles espèces d'éphémères, son sujet de prédilection: «Même s'il s'agit du plus ancien ordre d'insecte ailé, il n'en existe que 4000 espèces connues dans le monde. Et la moitié ont été décrites ces quarante dernières années». Comme en botanique, de nombreuses espèces d'insectes sont encore découvertes à l'heure actuelle. Il s'agit d'une des missions centrales de la systématique: «Pour pouvoir délimiter et nommer de nouvelles espèces, nous faisons des analyses, montons des insectes sur des lames pour photographier les caractéristiques qui les rapprochent ou les différencient des autres, et proposons des clés d'identification pour que les prochains scientifiques puissent les reconnaître», détaille l'entomologiste. Depuis quelques années, cette approche dite morphologique – observation et description de caractères visibles à l'œil nu ou au microscope – est complétée par des analyses génétiques. «Grâce à elles, on peut reconstruire une phylogénie, soit la généalogie d'un groupe d'organismes. On peut alors séparer les populations en espèces.» La description d'une espèce passe aussi obligatoirement par la sélection de spécimens-types: «Ce sont les mètres-
étalons, les spécimens de référence.» 
À nouvelle espèce nommée, est donc déterminé un porte-nom de cette espèce-là.
Et si le plastique devenait un objet d'étude pour les sciences naturelles? L'idée n'a aujourd'hui plus rien de fantaisiste. Conséquence directe de la surproduction, ce matériau est devenu un fléau. «La quantité produite à ce jour dépasse la biomasse vivante sur Terre», contextualise Olivier Glaizot, conservateur en chef du département de zoologie du musée qui s'est penché sur des dizaines d'études pour traiter de la question. Utilisé à grande échelle dans l'industrie depuis 1945, le plastique est l'un des représentants des changements profonds et rapides assénés par l'être humain à son environnement. «Le rapport entre son usage et sa durée de vie est intéressant: près de 40% de la production mondiale de plastique – principalement les emballages – ne dépasse pas vingt minutes d'utilisation, s'anime Olivier Glaizot. Et 81% deviennent des déchets au bout d'une année.» Puisqu'aucun organisme ou presque ne parvient à le dégrader du fait de sa composition très résistante, il se transforme en micro- et en nanoparticules, ingérées ou absorbées ensuite par la faune, les humains et les plantes, principalement à travers l'eau, vers laquelle terminent la plupart des déchets. Si le plastique n'a pas encore été un enjeu de recherche au muséum cantonal, il pourrait bien le devenir. Toujours plus d'études internationales s'appuient sur des spécimens muséaux pour mettre en évidence les modifications environnementales qui se sont réalisées au cours du temps. Les résultats de ces recherches: une multiplication par plus de dix des microplastiques dans des éponges brésiliennes entre 1981 et 2017, une proportion de matériel de fabrication humaine dans des nids d'oiseaux australiens passée de 4 à 30% entre 1832 et 2018 ou encore un retard généralisé de germination des plantes dû aux particules. De quoi intéresser les biologistes… et le public.

Dans le cadre d’un partenariat, Terre&Nature vous propose une série d’articles et de reportages pour mettre en lumière de façon originale le Naturéum et ses collaborateurs. www.natureum.ch

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