«Une espèce exotique peut être positive pour l’environnement»
La renouée du Japon, la moule quagga ou encore la punaise diabolique: les espèces exotiques invasives se multiplient en Suisse. Les autorités tentent d’endiguer leur prolifération, en appelant la population à la vigilance. Sont-elles toutes néfastes pour l’environnement pour autant?
Ce n’est pas aussi simple. Depuis 2020, un système existe pour aider les autorités à agir dans le monde, l’EICAT (Environmental Impact Classification of Alien Taxa), car la présence et l’expansion rapide de ces spécimens suscitent parfois un sentiment de panique. L’écrevisse de Louisiane (Procambarus clarkii) s’est par exemple révélée dévastatrice pour la faune, tandis que des plantes exotiques peuvent être très allergisantes en plus d’entrer en compétition avec les indigènes. Mais d’autres végétaux améliorent la chimie du sol ou celle de l’eau. Jusqu’à présent, l’EICAT ne prenait pas en compte les possibles effets positifs de ces espèces, faute d’études sur le sujet.
Comment expliquer que ces aspects n’ont pas été mesurés?
Dans la grande majorité des cas, l’impact réel de ces spécimens exotiques est en effet négatif, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne génèrent aucun bénéfice à leur nouveau milieu. C’est un véritable changement de paradigme. On estime qu’il existe entre 7000 et 12’000 plantes invasives dans le monde ainsi qu’environ un millier de vertébrés, amphibiens ou reptiles jugés envahissants. Or certains peuvent fournir de la nourriture ou un habitat qui conviennent à une espèce indigène sur le déclin.
En quoi peuvent-ils avoir un effet bénéfique pour la biodiversité?
On les évalue selon cinq scénarios, EICAT+ fonctionnant comme le système mesurant la consommation énergétique des appareils électroniques. On n’en est encore qu’au début, avec une centaine d’espèces listées et 60 impacts bénéfiques repérés. L’effet peut être jugé moyennement positif quand un spécimen exotique favorise l’augmentation de la population d’une plante ou d’un animal indigènes. Il pourrait être qualifié de majeur s’il empêchait une extinction, à l’image de la tortue géante des Seychelles. Elle a été réintroduite sur les îles Mascareignes, à l’est de Madagascar.
Les tortues indigènes qui y vivaient avaient disparu à cause de la chasse, or elles jouaient un rôle primordial en dispersant les graines des végétaux dont elles se nourrissaient sur l’île. En faisant de même, sa cousine des Seychelles a permis d’éviter l’extinction de variétés locales. Que penser encore du robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia) présent en Suisse depuis 1601, après la découverte des Amériques? Cet arbre entre, certes, en rivalité avec d’autres plantes, mais il est aussi prisé par les insectes pollinisateurs, alors, dans quelle case le placer? L’outil que l’on a développé permet de comprendre la complexité de l’intégration de ces spécimens dans un écosystème, de nuancer leur impact global. On veut proposer une vision plus holistique de la situation afin que les autorités puissent agir selon les intérêts propres à leur pays.
Une menace qui évolue sans cesse
L’Office fédéral de l’environnement a publié début octobre son rapport sur les espèces exotiques envahissantes, considérées comme l’une des «plus grandes menaces pour l’environnement et l’économie» par l’Union internationale pour la conservation de la nature. L’OFEV confirme que leur nombre ne cesse de croître, comme leurs dégâts. «On dénombre actuellement 1305 espèces exotiques connues en Suisse (430 animaux, 730 plantes, 145 champignons).» Et de préciser que 15% d’entre elles sont considérées comme envahissantes.
Des insectes sont parfois introduits volontairement pour lutter contre des nuisibles causant des dégâts aux cultures notamment. Est-ce dangereux?
C’est risqué. En Suisse, on n’a pas recours à ces agents de biocontrôle, contrairement à l’Italie, par exemple. La guêpe samouraï y a été introduite officiellement afin de lutter contre l’invasion de punaises diaboliques, un parasite venu de Chine s’attaquant aux récoltes. Ces invasifs peuvent être un atout, mais il faut absolument se renseigner sur les effets collatéraux possibles. La recherche a beaucoup avancé et on peut empêcher des catastrophes difficilement réversibles. En 1935, l’Australie a introduit le crapaud-buffle pour dévorer un scarabée ravageant les champs de cannes à sucre. Mais le fait que le cycle de vie de ces insectes les mettait à l’abri du batracien n’a pas été pris en compte. La population de ces crapauds a alors crû de manière exponentielle et ils sont devenus, au fil des ans, nuisibles à leur tour. Nous voulons à tout prix éviter de reproduire les erreurs du passé.
Avec le changement climatique, certains spécimens migrent tout seuls alors que d’autres sont importés à notre insu. En quoi est-ce important de sauvegarder les espèces locales coûte que coûte?
La biodiversité mondiale est d’une très grande richesse. On pourrait décider de ne rien faire, au risque que certaines espèces prennent le dessus et se généralisent, ce qui causerait la perte de milliers de biotopes uniques. L’homme a modifié son environnement, mais il faut toutefois qu’on tente de limiter notre impact, car on en a les moyens.
Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste, vu les combats à mener?
Je suis réaliste. On a obtenu de bons résultats par le passé et il y a encore peu de temps, nous n’avions pas toutes ces données à disposition. En Europe et en Suisse, la situation générale n’est pas mauvaise. En revanche, elle est problématique en Amérique du Sud, en Afrique ou encore en Asie. Il y a des problèmes spécifiques dans chaque pays, liés notamment aux moyens financiers de chacun. La biodiversité est menacée par le changement climatique, les pollutions, les espèces invasives. On doit se renseigner et connaître les impacts réels de ces spécimens afin que les autorités prennent des mesures en toute connaissance de cause.
Bio express
Chercheur dans le groupe de Sven Bacher au Département de biologie de l’Université de Fribourg, Giovanni Vimercati a dirigé l’élaboration de la nouvelle méthodologie de classification EICAT+, qui intègre les effets positifs des espèces invasives, contrairement au système EICAT de base. Ce nouveau modèle a été présenté récemment dans la revue «PLOS Biology».
+ d’infos
www.bafu.admin.ch
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