Deux artistes changent un jardin botanique en galerie au grand air

Le jardin botanique alpin Flore-Alpe de Champex (VS) invite Cecile Giovannini et Jolan Chappaz à une résidence artistique. Intitulé «À la fin, donc aujourd'hui, je t'aime», leur projet s'y déploie jusqu'en octobre.
18 juillet 2024 Clément Grandjean
Jolan Chappaz et Cecile Giovannini passeront une bonne partie de leur été au jardin botanique Flore-Alpe de Champex. Dans le cadre d’une résidence artistique, ils exposent des œuvres inédites qui résonnent avec la riche collec tion de végétaux alpins du lieu. © Clément Grandjean
Jolan Chappaz et Cecile Giovannini passeront une bonne partie de leur été au jardin botanique Flore-Alpe de Champex. Dans le cadre d’une résidence artistique, ils exposent des œuvres inédites qui résonnent avec la riche collec tion de végétaux alpins du lieu. © Clément Grandjean
Jolan Chappaz et Cecile Giovannini passeront une bonne partie de leur été au jardin botanique Flore-Alpe de Champex. Dans le cadre d’une résidence artistique, ils exposent des œuvres inédites qui résonnent avec la riche collec tion de végétaux alpins du lieu. © Clément Grandjean

Il pleut sur Flore-Alpe. Sous un ciel lourd, les fleurs qui parsèment cette parcelle d’un hectare accrochée au flanc du Catogne éclaboussent de leurs couleurs le camaïeu de verts. Une grande pierre plate attire l’œil à peine le portail franchi, sa surface de calcaire gravée de quelques mots. «Je peux venir arroser ton cœur et embrasser ta fleur?» Le ton est donné: cet été, le lieu se réinvente sous l’angle de la sensualité.

Les installations qui truffent le jardin botanique sont l’œuvre d’un duo d’artistes invité à nouer un dialogue avec les lieux durant toute la belle saison dans le cadre du programme de résidence mis sur pied par l’institution (lire l’encadré ci-contre). La porte du grand chalet s’ouvre, une odeur de café frais s’échappe tandis que Cecile Giovannini et Jolan Chappaz sortent dans l’air humide du début de matinée.

Cinq mois en altitude

Elle est artiste-plasticienne, partage son temps entre l’Italie et son Valais natal. Lui est poète, adepte de formats courts: des textes affûtés et sensibles souvent écrits dans les trains qui le mènent de Villars-sur-Ollon (VD) à Zurich, où il travaille dans le domaine de la promotion culturelle. Cousins, ils sont les descendants du couple mythique de la littérature valaisanne que formaient Corinna Bille et Maurice Chappaz. Ils ont entamé durant la période du Covid un échange artistique dans lequel la relation à la nature tient un rôle central.

Le 1er mai dernier, le duo débarque à Champex avec ses bagages, de la peinture, du papier, des crayons et des pinceaux. Tout commence par la visite des lieux avec Jean-Luc Poligné, l’intarissable jardinier. Puis s’entame la réflexion sur le placement des œuvres réalisées en amont, et la création des nouvelles, largement inspirées du foisonnement végétal qui les entoure, mais aussi du patrimoine architectural alpin.

Au fil de leurs séjours dans ce petit paradis perché à 1500 mètres, les deux artistes peignent, écrivent, construisent une exposition en constante évolution. Elle est le fruit de leur rencontre avec le site et avec celles et ceux qui l’habitent: personnel, civilistes et scientifiques se côtoient sur ce terrain de recherche où l’on étudie notamment les effets du changement climatique sur la répartition des plantes de l’étage alpin.

Un jardin à l'écoute du climat

Joubarbes, saxifrages, rhododendrons, gentianes et androsaces règnent en maîtres sur les 6000 m2 du jardin botanique alpin Flore-Alpe. Créé il y a près d’un siècle par l’industriel vaudois Jean-Marcel Aubert, il constitue aujourd’hui le siège du Centre alpin de phytogéographie (CAP), dont les recherches portent notamment sur l’impact du changement climatique sur les milieux et leur diversité.

Exposition vivante

Les tasses sont vides, la pluie s’est calmée mais elle laisse sa trace sur les œuvres, mouchetées de gouttelettes d’eau. «Elles sont chaque jour différentes, sourit Jolan Chappaz en se lançant à l’assaut de la pente. La végétation pousse, la lumière change au gré de l’heure et de la météo. Dans un jardin, c’est la nature qui dicte son rythme. Et dans notre société où l’on veut toujours aller plus vite, cela fait du bien de laisser les choses se faire, de sentir cette vie qui se déploie autour de nous.»

Une douzaine de toiles, d’installations et d’impressions, du très grand format au petit dessin, s’inscrivent dans les lieux, parfois bien visibles, parfois camouflées. «Nous avions envie de créer une rencontre entre le jardin et notre travail, note Cecile Giovannini. De sortir de la relation froide que le spectateur entretient avec des tableaux dans un musée, de désacraliser l’art et de remettre en question l’ego des artistes.»

Au fil des sentiers qui serpentent entre étangs et massifs, on ouvre l’œil pour repérer les interventions du duo dans une visite aux airs de jeu de piste. Ici, c’est une vasque de grès rouge ornée d’un court vers. Là, un portrait mi-humain mi-végétal sur une plaque de plexiglas. Là encore, on pénètre dans une petite grotte, héritage du romantisme qui imprègne les jardins du XIXe siècle, où l’on découvre une toile à la lueur d’une lampe de poche.

Savoir brouiller les pistes

Sous le ciel qui s’éclaire, un visiteur se penche pour déchiffrer un poème tracé à la craie sur un banc de pierre. Mêler art et science, c’est l’objectif des résidences organisées depuis 2020 par le jardin Flore-Alpe. La première artiste à en profiter avait été la photographe Laurence Piaget-Dubuis. «Elle devait rester un mois, et a finalement travaillé une année à Champex, raconte Lucienne Roh, médiatrice culturelle et scientifique.

Cette approche permet de jeter une autre lumière sur le jardin, de provoquer une rencontre entre des publics qui ne se côtoieraient pas forcément ailleurs.» Laisser carte blanche à des artistes, c’est se laisser surprendre par la manière dont ils s’approprient les lieux. Se laisser brusquer aussi, parfois, comme cela a été le cas avec cette stèle de granit façon pierre tombale plantée face au panorama.

Devant le chalet, Cecile Giovannini sort une peinture à laquelle elle doit apporter les dernières touches. Lieu de vie, d’échanges et de création, le jardin inspire les deux artistes, qui continuent d’étoffer cet accrochage sauvage et voluptueux. Pour un résultat qui ne cessera d’évoluer au fil de la saison et de la croissance des végétaux. Un musée décidément pas comme les autres.

Art, environnement et paradoxes

Les artistes peuvent-ils jouer un rôle dans la préservation de l’environnement? De la mise en lumière de l’urgence climatique au choix de matériaux durables en passant par une grande liberté de ton, le champ artistique semble tout désigné pour jouer les porte-paroles des grandes causes, des luttes sociales aux enjeux environnementaux. Ce n’est pas si simple: «On a l’impression que le monde de l’art est très libre, mais ce n’est pas le cas, estime Cecile Giovannini. Pour vivre, vous devez produire, exposer, répondre aux attentes des galeries et des acheteurs, et vous ne pouvez pas vraiment remettre en question votre pratique. La thématique environnementale illustre bien cette tension: les œuvres qui parlent d’écologie se vendent à prix d’or à Art Basel. L’engagement fait vendre.» Un paradoxe que souhaitent remettre en question Cecile Giovannini et Jolan Chappaz en s’affranchissant du cadre classique de la galerie.

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