En biodynamie, on laisse les colonies œuvrer le plus naturellement possible
À peine arrivé sur notre lieu de rendez-vous, Mélanie Baudet nous emmène à travers champs dans son véhicule tout-terrain. Destination un de ses ruchers, niché derrière un épais bosquet à deux pas de la douane de Chavannes-de-Bogis (VD).
Par chance, le soleil brille en cet après-midi d’été, les abeilles sont donc en activité. On entend leur bourdonnement, puis on les distingue entrant et sortant des ruches, une quinzaine sur cet emplacement.
Des formes étonnantes
Celles-ci sont de couleurs et surtout de formes différentes. L’une, très allongée et coiffée d’un toit à deux pans, est une ruche kenyane. Une autre a une forme encore plus inhabituelle: ovale et construite en paille, elle est suspendue à la verticale à l’aide d’un cadre.
«C’est une ruche solaire, la ruche biodynamique par excellence, imaginée par Rudolf Steiner, le fondateur de l’anthroposophie et de la biodynamie, explique l’apicultrice basée à Céligny (GE). L’arrondi est une forme qui se base sur la façon de travailler des abeilles: elles bâtissent leurs alvéoles en rond et les reines pondent en rond. Mettre les butineuses dans le carré de la ruche classique ne prend pas en compte cet aspect, même si pour l’apiculteur c’est plus pratique.»
Comprendre et accompagner l’instinct naturel de l’abeille plutôt que la forcer à effectuer quelque chose qu’elle n’a pas envie de faire, voilà comment Mélanie Baudet, qui a choisi il y a quelques années de se lancer dans l’apiculture biodynamique, définit son approche. «Il faut avoir confiance en elles, car elles savent mieux que nous ce dont elles ont besoin.» On ne saurait donner meilleure définition de l’apiculture biodynamique.
Il faut avoir confiance
en nos abeilles, car elles savent mieux que nous ce dont elles
ont besoin.
Faire fi des préjugés
Si cette approche est déjà pratiquée dans de nombreux types d’agriculture, la viticulture en tête de peloton, elle n’en reste pas moins l’objet encore de quelques préjugés dans le monde apicole. Quand elle a décidé de passer du conventionnel au biodynamique, Mélanie Baudet en a fait les frais: on lui prédisait des butineuses plus agressives et une baisse des récoltes. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit. L’apicultrice travaille le plus souvent sans voile et, dit-elle, ses récoltes sont tout aussi bonnes, voire meilleures, que celles d’avant sa transition.
De trois ruches derrière sa maison, son cheptel s’est agrandi pour atteindre aujourd’hui une centaine de colonies. Celles-ci donnent un miel issu d’une flore diversifiée (fruitiers, colza, acacias, robiniers, tilleuls, châtaigniers, ronces, fleurs d’été…). Il est extrait artisanalement et certifié Demeter.
Rayons construits de A à Z
Comme elle le relève d’emblée, l’un des piliers de cette approche, ce sont les bâtisses naturelles. «En conventionnel, on met une feuille de cire gaufrée à partir de laquelle les abeilles élargissent les cellules qui sont préconstruites sur la feuille. En biodynamie, on les laisse au contraire construire la totalité de leurs rayons, comme elles le feraient à l’état sauvage.» Un processus qui prend toutefois davantage de temps et implique qu’une partie du miel est consommée par les ouvrières dans la production de la cire.
L’essaim, qui comprend entre 10 000 et 20 000 individus, est l’entité la plus biodynamique d’une colonie. C’est lui qui traduit l’instinct naturel de se reproduire et de se multiplier. Aussi est-il nécessaire, pour créer une nouvelle colonie selon les préceptes de la pratique, d’attendre que les abeilles manifestent naturellement l’envie de se diviser, ce qu’on appelle l’instinct d’essaimage.
En outre, l’élevage artificiel de reines n’est pas autorisé par le cahier des charges Demeter (il l’est en bio). La colonie doit par conséquent décider par elle-même de produire les cellules royales destinées à accueillir les nouvelles reines. Mélanie Baudet parle davantage de symbiose que d’exploitation pour décrire son activité.
Cadres remplis de nectar
La récolte d’été approchant, la jeune apicultrice a hâte de visiter ses ruches pour voir la qualité du couvain, soit l’ensemble des œufs, larves et nymphes, qui constitue un bon indicateur de la santé de la colonie. Après avoir enlevé le couvercle de la hausse, elle soulève de ses mains nues le cadre et observe les centaines d’ouvrières à l’œuvre.
Au milieu des alvéoles, une reine est en train de pondre. Les cadres sont remplis de nectar, ce qui réjouit Mélanie Baudet, et annonce une récolte de miel d’été plutôt bonne, malgré la météo maussade des dernières semaines. Celle-ci sera mise en pots, puis proposée en vente directe à la miellerie de Céligny par l’apicultrice elle-même.
Veiller à l'environnement du rucher
Le rucher visité voisine en grande partie avec des parcelles Demeter. Cette situation n’est pas le fruit du hasard. L’environnement de la ruche étant très important, Mélanie Baudet choisit minutieusement chaque emplacement. Les cahiers des charges Demeter et bio exigent en effet que dans un périmètre de 3 km autour des ruchers, les surfaces soient à 50% en bio ou biodynamie, en prestations écologiques requises (PER) ou couvertes de forêts. Ce point est vérifié chaque année par l’organisme de contrôle et certification, Bio Inspecta. «Ce taux de 50% n’est pas parfait, mais c’est mieux que rien», estime l’apicultrice. Une situation pas toujours facile à gérer. Si une contamination accidentelle survient – à la suite par exemple de l’usage de glyphosate sur une exploitation voisine –, le miel peut être déclassé, ce qui se traduit par une perte sèche pour l’artisan. Mélanie Baudet applique régulièrement des préparations biodynamiques – bouse de corne et silice de corne – sur les sols autour de ses ruches pour renforcer la vigueur des plantes qui y poussent, et indirectement celle de la colonie.
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