Genève sonde son sous-sol à la recherche d’eau pour se chauffer

Chaque nuit d’octobre, des camions vibreurs effectuent des mesures 3D au bout du lac dans le cadre d’une campagne pour la géothermie. Encore peu exploitée en Suisse, cette énergie durable commence à se développer.
7 octobre 2021 Lila Erard
Nicolas Righetti/Lundi13

Entre la Jonction et Bel-Air, un étrange cortège sillonne le centre-ville de Genève en pleine nuit. Escorté par deux voitures, un camion blanc et jaune s’arrête quelques minutes, puis repart, en émettant une drôle de vibration. Depuis trois semaines et jusqu’à la fin du mois d’octobre, une dizaine de ces véhicules parcourent le canton et quelques communes de France voisine, de 21 h à 6 h, dans le cadre d’une campagne de prospection inédite pilotée par l’État, mise en œuvre par les Services industriels de Genève et financée majoritairement par la Confédération. Le but: cartographier le sous-sol en effectuant des mesures 3D afin de localiser les endroits les plus favorables à la géothermie, soit l’exploitation des réservoirs souterrains d’eau chaude.

«Aujourd’hui, nos besoins thermiques sont essentiellement couverts par des combustibles fossiles. Cette énergie d’avenir pourrait permettre de réduire nos émissions de CO2, car elle est propre, locale et disponible toute l’année», expose Nathalie Andenmatten Berthoud, cheffe du projet et présidente de la faîtière Géothermie Suisse. En 2018, un forage exploratoire à Satigny (GE) avait permis de confirmer la présence d’une eau à 33 degrés à plus de 700 mètres de profondeur, avec un débit de 50 litres par seconde. «Cela correspond à une énergie de 20 à 30 GWh par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle en chauffage et eau chaude de 2000 à 3000 ménages. C’est très prometteur!»

Cartographier les profondeurs

Ces dernières semaines, 20000 capteurs ont été posés tous les vingt mètres sur les routes, ainsi qu’en zones forestière et agricole. À chaque point, les camions émettent une vibration d’une minute comprise entre 5 et 100 hertz, à l’aide d’une plaque fixée entre les roues. Ces ondes se réfléchissent sur les couches géologiques profondes, puis leur écho est enregistré afin de déterminer la nature du sous-sol jusqu’à cinq kilomètres plus bas. «Il n’y a qu’un passage par adresse et cela ne provoque aucune nuisance majeure», tient à souligner Michel Meyer, responsable de la géothermie aux SIG. Un dispositif au fond du lac a aussi été mis en place. Une fois récoltées, ces données seront agrégées puis traitées informatiquement durant un an. Des forages ciblés pourront ensuite être effectués.

La campagne porte principalement sur la géothermie de moyenne profondeur, située entre 1000 et 3000 mètres, afin d’alimenter le réseau de chauffage à distance des quartiers d’habitation, zones industrielles et serres maraîchères. «Cette énergie pourrait couvrir 20% des besoins thermiques du canton d’ici 2035, dans le but d’atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément au Plan climat cantonal», informe Nathalie Andenmatten Berthoud. Si la géothermie de faible profondeur – soit les pompes à chaleur individuelles pour chauffer ou rafraîchir les habitations – est très développée en Suisse, la géothermie profonde pour la production de chaleur et d’électricité en est à ses balbutiements.

 

Actuellement, seule une installation pionnière est en activité à Riehen (BS) depuis vingt-sept ans, pour un réseau de chauffage à distance de 8500 habitants. À titre de comparaison, la région Île-de-France compte 36 installations, mises en œuvre dans les années 1970 et 1980, contre une vingtaine en Bavière, en Allemagne. Comment expliquer un tel retard? «En Suisse, le sous-sol a peu été exploré, car il n’y a pas de production de pétrole ou de gaz. Ainsi, on le connaît très mal», explique Nicole Lupi, spécialiste en géothermie à l’Office fédéral de l’énergie.

Sept projets suisses en cours

Depuis la création de nouvelles subventions fédérales en 2018, la géothermie profonde connaît toutefois un nouvel essor.Sept projets sont actuellement subventionnés. Parmi ceux-ci, un forage à Vinzel (VD) pour chauffer un écoquartier ainsi qu’une large campagne de prospection à La Côte (VD), qui s’est tenue en août dernier. À Lavey-les-Bains (VD), un forage sera aussi creusé le mois prochain afin de produire 4,2 GWh d’électricité par an, tout en alimentant les bains thermaux. «Face à l’urgence climatique, il y a une prise de conscience du potentiel de la géothermie. Mais nous avons besoin de plus d’installations effectives pour convaincre les cantons et la population», estime Nicole Lupi.

Justement, à Genève, l’opération s’accompagne d’une vaste campagne de communication, avec des stands d’information, des conférences et une ligne téléphonique dédiée pour répondre aux questions des habitants. «Il est important de montrer que le sous-sol n’est pas un bloc gris uniforme, mais un environnement varié, conclut Nathalie Andenmatten Berthoud. Les Suisses doivent prendre conscience de la richesse qu’ils ont sous leurs pieds.»

Pour les serres

Si le projet genevois vise, à terme, à alimenter les serres maraîchères du canton, l’entreprise Stoll Frères, à Montagny-près-Yverdon (VD), s’apprête aussi à sauter le pas. Début 2022, un forage d’environ 1100 mètres de profondeur sera creusé pour chauffer la grande serre de 8,5 hectares. Ce projet pionnier permettra d’exploiter un réservoir d’eau chaude comprise entre 45 et 50 degrés sans pompe à chaleur, avec un débit de 50 à 100 litres par seconde. Des tomates au bilan carbone neutre pourront ainsi être produites tout au long de l’année.

+ d’infos
www.geothermies.ch

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