L’agricultrice qui va à la rencontre des randonneurs et des campeurs

Pour la deuxième année consécutive, Rahel Burger endosse le rôle de «ranger» aux Prés-d’Orvin (BE). La paysanne rappelle aux promeneurs les bons comportements à adopter lors de balades dans les pâturages boisés.
29 avril 2021 Marjorie Spart
Guy Perrenoud

Sous le ciel mitigé et, par moments, très sombre des Prés-d’Orvin, sa présence est bien voyante. Emmitouflée dans une veste rose foncé et arborant un bandana aux mêmes couleurs, Rahel Burger chemine à la rencontre des badauds. Sur le sentier pédestre qui relie le lieu-dit la place Centrale à la métairie d’Évilard, elle aborde avec un sourire deux femmes, qui font une pause pour casser la croûte. Ces dernières ont emporté leur pique-nique dans des boîtes obturées par un couvercle.

«Je vois que vous êtes bien équipées, relève Rahel Burger à l’attention des deux promeneuses. Je n’ai donc pas besoin de vous rappeler d’emporter vos déchets avec vous en partant d’ici.» Expliquer les bons comportements à suivre dans les pâturages fait partie du mandat qu’a confié le Parc naturel régional Chasseral à cette dynamique quadragénaire. «Je dis parfois que je suis une sorte de ranger de la bonne conduite», rigole-t-elle, résumant ainsi son activité.

Depuis l’été 2020, Rahel Burger arpente en effet les pâturages boisés entre les Colisses-du-Bas, la métairie d’Évilard et la métairie du Bois-Raiguel avec pour mission de sensibiliser les randonneurs à la nature qui les entoure. Une activité qui l’occupe 12 heures par semaine et qui complète son travail d’enseignante et de paysanne dans l’exploitation agricole La Citerne qu’elle possède avec son mari. Le domaine familial est idéalement situé au centre de son périmètre d’action.

Trop d’incivilités

Le costume qu’endosse Rahel Burger fait suite à un gros ras-le-bol généré par les mauvais comportements de certains promeneurs le printemps dernier. «Lors du premier semi-confinement, la région a été très fréquentée par des gens qui ne sont pas familiers de la randonnée en pleine nature. Cette pression touristique s’est ressentie dans nos pâturages, car ces nouveaux randonneurs faisaient parfois preuve de peu de respect.» Parmi les comportements indésirables observés, elle cite notamment le camping et les toilettes sauvages ainsi que le stationnement anarchique de véhicules, les déchets abandonnés, les chiens qui se baignaient dans les abreuvoirs des vaches ou les personnes qui détruisaient les murs en pierres sèches et ceux qui ramassaient des sacs entiers de jonquilles avec leur bulbe. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la concentration d’une vingtaine de camping-cars sur le petit parking de la place Centrale qui appartient à la famille de Rahel Burger.

«Cette situation ne pouvait plus durer. Je suis allée demander de l’aide aux responsables du Parc Chasseral», résume l’agricultrice. La solution trouvée a été la médiation et la sensibilisation auprès de ces touristes. «Nous avons mandaté Rahel Burger pour effectuer ce travail parce qu’elle est directement concernée par ces problèmes, mais surtout parce qu’elle sait aborder ce genre de situation avec diplomatie et qu’elle a le contact facile», explique Lucas Wolfer, responsable Espèces et Habitats du Parc Chasseral. La quadragénaire a accepté le mandat «Pour retrouver la sérénité. Et comme, de toute manière, je me promène très souvent sur les 85 hectares de notre domaine, cela me permet de joindre l’utile à l’agréable.»

Un travail de sensibilisation

En ce frais samedi d’avril, les randonneurs sont peu nombreux. Une couple, appareil photo en main, immortalise un parterre de jonquilles. Rahel Burger rappelle que s’ils désirent cueillir ses fleurs, ils n’ont droit qu’à un bouquet par personne. Ils ignoraient cette règle, mais ne comptaient cependant pas partir les mains pleines, affirment-ils. La surveillante aborde habituellement les promeneurs installés pour griller leur viande ou manger leur pique-nique. Moins celles qui sont de passage. «Le problème avec les personnes qui s’installent sur de larges couvertures est qu’elles piétinent l’herbe sur de grandes surfaces.

Et nous, agriculteurs, avons besoin de ce fourrage pour nos bêtes.» Plus loin, un joli banc en bois sculpté fait face à un non moins attrayant paysage montagneux. Juste devant lui s’élève un énorme foyer en pierre aménagé pour la grillade. Si cette installation ne pose pas de problème à cet endroit, la construction de deux autres petits foyers côtoyant le premier l’interpelle. «Pourquoi en construire plusieurs alors que la place est aménagée? s’interroge-t-elle.

D’une manière générale, Rahel Burger constate une méconnaissance de la nature et une certaine désinvolture face au travail des agriculteurs. Un exemple? «Des tourniquets sont installés pour que les randonneurs puissent pénétrer dans les pâturages et poursuivre ainsi leur balade. Mais je surprends régulièrement des personnes qui écartent les fils des barrières pour passer à travers. Ces pratiques endommagent notre matériel et nous donnent un surplus de travail», soupire-t-elle.

Promeneurs compréhensifs

Rahel Burger tire un bilan positif de son action. «Les tensions entre agriculteurs et promeneurs se sont apaisées alors que les relations entre les habitants de la région se sont renforcées. Du côté des promeneurs, je les trouve assez compréhensifs. Ils me remercient pour les informations données.» Les seuls points de friction qu’elle a vécus concernaient les chiens, qui doivent être tenus en laisse et sous contrôle notamment pour ne pas déranger l’alouette lulu, qui niche au sol.

Rahel Burger va poursuivre son travail de sensibilisation jusqu’en automne. Mais elle ne compte pas en rester là. Pour compléter son action, elle va distribuer des dépliants et installer aux quatre coins de son domaine des affiches rappelant les bons gestes à acquérir: fermer les clédars, garder ses distances avec les vaches, rester sur le sentier pédestre, ne faire des feux que dans les foyers existants, ramasser ses déchets et les crottes de son chien. Des comportements qui bientôt couleront de source, espère l’ange gardien des Prés-d’Orvin.

Les cantons se mobilisent

Depuis les restrictions de voyager imposées par la crise du coronavirus, la pression touristique se ressent fortement sur la nature en Suisse. Plusieurs régions romandes ont pris des mesures pour faire face à l’afflux de promeneurs. Ainsi, le canton du Jura a déployé une signalisation aux entrées des sites les plus prisés rappelant les comportements à adopter.
Le canton de Genève s’est fendu d’une vidéo intitulée «Pas d’incivilités en campagne», dans laquelle il dénonce les chiens qui s’attaquent à la faune, les promeneurs qui piétinent les cultures, ou encore les voitures garées dans les champs. Autant de comportements punissables par la loi. Au bord du Léman, Lavaux patrimoine mondial a formé des médiateurs bénévoles: «Les vignerons sont fatigués de retrouver des déchets dans leurs vignes, justifie Vincent Bailly, directeur de l’association. Les médiateurs, actifs surtout le week-end et lors des soirées d’été, expliquent aux gens qu’il est interdit d’entrer dans les vignes.» Un travail de prévention qui perdurera au-delà de la crise sanitaire. Le canton de Neuchâtel a embauché un ranger diplômé qui effectue, avec les gardes forestiers, un travail de sensibilisation. Il envisage d’engager des auxiliaires si la fréquentation des sites naturels augmente encore. Du côté de Fribourg, des parkings supplémentaires et des aires de repos pour camping-cars ont été aménagés dans les lieux les plus fréquentés pour éviter le stationnement sauvage.

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