L'écloserie où naissent chaque jour des papillons du monde entier

Les insectes aux couleurs chatoyantes virevoltent dans une bulle chauffée au cœur du Seeland. Depuis plus de vingt ans, ils jouent le rôle d'ambassadeurs de la biodiversité, en Suisse et dans le monde entier.
10 février 2025 Céline Duruz
Des papillons tout juste sortis de leur chrysalide sont libérés quotidiennement dans la serre du Papiliorama. Les biologistes Nathalie Bovet et Matthias Röösli prennent soin de leurs pensionnaires venus des tropiques.
© Pierre-Yves Massot
Des papillons tout juste sortis de leur chrysalide sont libérés quotidiennement dans la serre du Papiliorama. Les biologistes Nathalie Bovet et Matthias Röösli prennent soin de leurs pensionnaires venus des tropiques.
© Pierre-Yves Massot

Chaque matin, l’équipe du Papiliorama de Chiètres (FR) attend de précieux colis, livrés dans des camionnettes. «La première chose que l’on fait en arrivant, c’est déballer les paquets reçus avec beaucoup de précaution. Il s’agit de notre priorité», confie en souriant la biologiste Nathalie Bovet. Délicatement, elle les ouvre un à un, extrayant du polystyrène expansé et de la ouate des chrysalides venant du monde entier. Elle en réceptionne en moyenne 400 par semaine.

Vertes, brunes ou dorées, ces pépites dissimulent des papillons prêts à éclore, après avoir passé une dizaine de jours dans leur enveloppe. Certains spécimens ont traversé la planète entière dans des cartons, réfrigérés l’été et chauffés l’hiver à 18°C. Une mesure vitale pour assurer la survie de ces insectes, provenant d’élevages du Costa Rica, du Kenya ou des Philippines, tous membres de l’Association internationale des exposants et fournisseurs de papillons (IABES), respectueuse de l’environnement.

Un lâcher très attendu

Patiemment, la biologiste détermine leur espèce – aucune n’est menacée –, les compte et cherche de potentiels parasites pouvant nuire au développement futur des lépidoptères. Puis elle fixe les chrysalides avec un point de colle, la tête en bas, sur des baguettes métalliques. Elles seront déposées dans l’écloserie, un lieu reproduisant les conditions climatiques des forêts tropicales, à l’entrée de la bulle centrale du Papiliorama, jusqu’à ce que les papillons s’en échappent en quelques battements d’ailes. Ce matin-là, plusieurs morphos bleus se reposent au chaud derrière les vitres, attendant qu’on les délivre.

À 10h30, c’est la libération tant attendue: les visiteurs s’amassent près de la nurserie pour assister au premier envol de ces papillons. Nathalie Bovet ouvre les vitrines, laisse les insectes s’échapper un à un dans la serre chauffée. Des spécimens azur, en provenance du Costa Rica, éblouissent les spectateurs, qui suivent leurs loopings des yeux. Un moment magique, mais aussi parfois impressionnant pour les enfants, confrontés à ces lépidoptères aux premiers coups d’ailes parfois maladroits.

«Quand leurs ailes sont sèches, les papillons s’envolent sans problème, commente le biologiste Matthias Röösli. Dans cette serre de 1200 m2, on trouve des végétaux venant d’Afrique ou d’Amérique du Sud. Il n’est pas rare que leurs feuilles soient grignotées, au grand désespoir de nos jardiniers. Mais c’est le but, elles servent de nourriture aux quelque 1000 papillons qui y virevoltent.»

En chiffres

Entre 1000 et 1200 papillons volent en permanence au Papiliorama.

1200 m2, la superficie du dôme qui accueille 120 espèces.

6 mois, la durée de vie de certains spécimens.

Environ 100 000 francs sont investis chaque année dans l’achat de chrysalides.

1988, l’année de fondation du Papiliorama, 
à Marin (NE). Entièrement détruite par un incendie en 1995, l’institution a été reconstruite en 2003 à Chiètres (FR).

L’envol du fantôme

Les insectes les moins fringants se dissimulent dans les fougères, alors que d’autres s’amassent sur le tronc d’arbre le plus proche. Ils peuvent s’y reposer, immobiles, pendant des heures, attendant parfois que la luminosité baisse pour aller explorer les environs. Certains préfèrent siroter le nectar des fleurs ou celui mis à leur disposition par le personnel pour se requinquer, ou se chamailler avec leurs congénères, certains spécimens étant territoriaux.

Leurs ailes multicolores attirent tous les regards. En revanche, une fois posés, les papillons se fondent dans le paysage. Il arrive qu’ils s’y accouplent, se reproduisant ainsi naturellement à des milliers de kilomètres de chez eux. En soulevant des feuilles, on peut découvrir des œufs ou des chenilles d’une taille parfois impressionnante. «On ne tient pas de statistiques sur le taux de reproduction ici, ce serait trop fastidieux à réaliser, poursuit Matthias Röösli, en nous montrant un petit papillon aux ailes transparentes originaire du Mexique, le fantôme de la forêt ou «Greta oto», son préféré. Chaque espèce a une durée de vie différente. Certains vivent jusqu’à six mois.»

Une mort nourricière

Une fois morts, les spécimens sont laissés sur place et se décomposent rapidement. Ils enrichiront l’humus de la serre. Ceux qui sont retrouvés intacts peuvent servir de matériel didactique pour les écoles ou sont parfois transmis à des scientifiques pour leurs travaux. «Les papillons sont les meilleurs ambassadeurs pour la sauvegarde de la biodiversité à l’échelle mondiale, souligne Matthias Röösli. Les gens les apprécient pour leur beauté, mais ils ignorent souvent que leur survie dépend de la qualité de leur environnement, de la déforestation ou encore de l’usage de pesticides. Nous avons à cœur de sensibiliser nos visiteurs sur ce point.»

En proposant au public des espèces colorées venant de la planète entière, le Papiliorama veut avant tout rendre attentif à la fragilité de la nature, mais son engagement va plus loin. L’institution s’investit aussi dans la préservation de plus de 400 km2 de forêt tropicale au Belize, sans négliger les insectes indigènes pour autant. Depuis sa construction dans le Seeland en 2003, le Papiliorama aménage ses abords pour accueillir la faune et la flore locale. Il a ainsi revitalisé près de la moitié des surfaces qui l’entourent. Aujourd’hui, des prairies fleuries et des zones inondables offrent un habitat de choix à plusieurs oiseaux rares ainsi qu’à quelques-unes des 220 espèces de papillons helvétiques, que l’institution a également pris sous son aile.

Laisser faire la nature

Les espèces indigènes ont aussi leur place au Papiliorama. L’espace extérieur, autour des bulles chauffées, a entièrement été réaménagé et surtout renaturé pour accueillir les représentants des quelques espèces de papillons que compte la Suisse. Certains sont même élevés par les biologistes de la structure. «Les spécimens présents chez nous ont développé plusieurs stratégies pour passer l’hiver, sous la forme d’œuf, de chenille ou encore de chrysalide, détaille le biologiste Matthias Röösli. Si on en trouve dans notre jardin, il est important de les laisser dehors, au froid, et non de les rentrer à la maison. Au chaud, leur développement se poursuit. Or quand des machaons, par exemple, sortent de leur chrysalide à Noël, ils n’ont rien pour se nourrir.» Le Papiliorama reçoit plusieurs appels chaque année de jardiniers amateurs n’osant relâcher les beaux insectes dans le froid. Il arrive que l’institution recueille ces papillons nés hors saison, afin d’assurer leur survie.

+ d’infos www.papiliorama.ch

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