Les rivières suisses n’échapperont pas au réchauffement
Le château d’eau de l’Europe. Abritant plus de 5% des réserves d’eau douce du continent alors qu’elle représente 0,4% de sa superficie, la Suisse a bien mérité ce surnom. Mais ce patrimoine aquatique est menacé par la crise climatique, comme le montre le rapport Hydro-
CH2018, réalisé sur mandat de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Adrien Michel, hydrologiste à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), y a participé en modélisant l’évolution des températures de nos rivières jusqu’à la fin du siècle. Les résultats sont clairs: elles vont se réchauffer, comme notre atmosphère.
Trois scénarios
«Avant le début des années 1990, nous récoltions peu d’informations sur le réchauffement des cours d’eau, déplore Adrien Michel. On se concentrait surtout sur le débit, qui était plus important pour le secteur hydroélectrique. C’est aussi pour cette raison que j’ai réalisé ce travail: il n’y a jamais eu de recherches approfondies sur le sujet.» Le spécialiste a intégré dans son étude des prévisions de construction du manteau neigeux, de précipitations, d’infiltration dans les sols et de températures atmosphériques.
Comparées ensuite à trois scénarios climatiques élaborés par Météo Suisse, ces estimations lui ont permis d’établir un modèle hydrologique pour analyser sept rivières du Plateau suisse et cinq des régions alpines. «L’idée n’est pas d’avoir des prédictions précises pour chacune d’entre elles, mais de montrer une tendance générale.»
Sans trop de surprises, elles seront victimes du changement climatique, «même si elles sont légèrement moins sensibles que l’atmosphère», note Adrien Michel. Ainsi, si l’Accord de Paris est atteint par exemple, l’augmentation moyenne de température de ces cours d’eau serait de 1° d’ici à la fin du siècle. Dans le pire des cas, celui où rien n’est mis en place pour lutter contre la crise, les aggravations seraient de l’ordre de 4° en basse altitude et 5° en montagne.
Ces changements conduiront à une saison hivernale inondée par des précipitations, principalement sous forme de pluie, et des étés de plus en plus secs. Il y aura un décalage de la période d’étiage. «Le pic de fonte dans les Alpes s’avancera de juillet et août aux mois de mai ou juin, expose l’hydrologiste. Les rivières atteindront leur plus bas niveau avant la fin de l’été, alors que normalement, c’est en automne.» La diminution des réserves de neige mènera également à d’importantes pertes de débit durant la période chaude, qui pourraient aller jusqu’à un tiers dans les scénarios les plus catastrophiques.
Hausse de la faune thermophile
Alors que, dans le monde, la biodiversité des cours d’eau semble s’appauvrir, une étude récente du WSL a démontré que ce n’était pas le cas en Suisse. Au contraire, le nombre d’insectes qui aiment la chaleur serait en augmentation, tandis que les populations adaptées au froid demeurent stables. Selon les résultats, cette croissance serait liée au réchauffement. Il faut tout de même savoir que notre faune aquatique reste relativement basse en raison des multiples rivières canalisées et de la pollution industrielle du siècle dernier.
Pénuries en prévision
Évidemment, ces températures provoqueront de nombreuses pressions sur notre environnement, comme des modifications de nos écosystèmes (lire l’encadré ci-contre), des épidémies chez la faune aquatique ou des baisses de production électrique. «À chaque degré supplémentaire, on augmente la probabilité de tels incidents, explique Adrien Michel. On a déjà eu des soucis pour refroidir nos centrales nucléaires en été, comme à Mühleberg, où la production a été stoppée pendant un mois lors de la canicule de 2018. Ce sont des effets à prendre en compte dans les stratégies énergétiques des années à venir.»
Tobias Wechsler, doctorant en hydrologie à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL et à l’Université de Berne, appuie les propos du scientifique: «Mes recherches se concentrent sur les centrales hydroélectriques au fil de l’eau, détaille-t-il. N’ayant pas la possibilité de stocker des réserves comme les barrages, celles-ci seront particulièrement affectées par les perturbations climatiques. Malgré une croissance du débit lors de la saison hivernale, on estime à environ 7% les pertes d’ici à la fin du siècle si nous n’agissons pas pour réduire notre empreinte carbone.»
Cette diminution pourrait être compensée grâce aux barrages en haute altitude. Mais pour Adrien Michel, en vidant ces réservoirs, on se retrouve face à un conflit d’intérêts. «Déverser régulièrement ces eaux pendant l’été permettrait toutefois de diminuer la température des rivières en aval.» Pour Tobias Wechsler, l’hydroélectrique ne jouera alors plus seulement un rôle de producteur, mais aussi de régulateur: «Face aux risques de pénuries, les barrages peuvent fournir ce dont nous avons besoin.» Le Bernois ajoute que d’autres solutions se trouvent dans la nature. Les eaux souterraines, par exemple, restent les réservoirs les plus importants. Mais il faut avant tout les protéger. «Dans tous les cas, mettre en place des mesures suffisantes pour mitiger le réchauffement reste la meilleure chose que l’on puisse faire.»
Questions à Petra Schmocker-Fackel, de la division Hydrologie de l’OFEV
Quels sont les objectifs de la Suisse après l’échec de la loi CO2?
En ratifiant l’Accord de Paris le 6 octobre 2017, la Suisse s’est engagée à adopter des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique qui doivent être mises en œuvre dans le droit national. Pour ce faire, le Conseil fédéral a proposé une révision totale de la loi sur le CO2 qui a été rejetée en votation populaire. Elle vise la réduction des émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici à 2030 et, ainsi, l’atteinte de l’objectif climatique fixé. La consultation concernant cette révision pour la période allant de 2025 à 2030 a été ouverte en décembre 2021 et s’est terminée ce lundi.
Est-ce que l’OFEV possède des plans d’action pour les périodes de pénurie?
En tant que détenteurs de la souveraineté sur l’eau, les cantons ont la responsabilité directe de garantir sa gestion durable. Pour les périodes de sécheresse, nous avons mis à leur disposition trois modules de base. Ils couvrent l’identification des zones à risque avec la création d’une carte synoptique, la gestion à long terme des ressources en eau, ainsi qu’une boîte à outils pour faire face aux situations exceptionnelles. Depuis les canicules de 2003, 2015 et 2018, la moitié des cantons ont mis en œuvre une planification régionale de l’eau.
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