Plongée dans les trésors de l’herbier cantonal vaudois
C’est au milieu des compactus, ces grandes armoires mobiles grises dans lesquelles repose une importante partie de l’herbier cantonal, que Patrice Descombes, conservateur en chef du département de botanique du Naturéum, nous fait découvrir sa pièce préférée: un chardon bleu des Alpes, cueilli au-dessus de Montreux en 1951. Comme les autres, il a été pressé et séché avant d’être monté sur une planche en papier, accompagné d’une étiquette mentionnant le nom de l’espèce, du collecteur ainsi que le lieu et la date du prélèvement.
Et le travail a été bien fait: la couleur violacée du végétal ressort encore sur le papier jauni. Preuve que les spécimens les plus impressionnants gardés au Jardin botanique de Montriond ne se trouvent pas tous en plein air… Difficile de le savoir, cependant. Car pour des raisons de conservation, impossible d’ouvrir au public ce lieu situé dans les sous-sols.
Fragile et délicat
Cette collection est à l’abri des regards, et surtout des insectes: «Ils sont un véritable fléau pour les herbiers, note Patrice Descombes, signalant un système à phéromones servant à tromper les ravageurs. Au fond des salles, des pièges à lumière UV permettent de les attraper et de faire un suivi de leur prolifération.» Le taux d’humidité, autour des 40%, ainsi que la température, d’environ 20°C, sont également contrôlés. «D’ailleurs, veillez à bien fermer les portes derrière vous», prie le biologiste, en enfilant ses gants. Des précautions appliquées au quotidien.
Avec 1,1 million de spécimens, l’herbier vaudois est le troisième de Suisse, derrière ceux de Genève et Zurich. Cette collection comprend toutes sortes de végétaux, comme des champignons, des mousses et des lichens. Environ 500’000 d’entre eux proviennent de Suisse, dont 130’000 ont été récoltés en terres vaudoises, de 1806 à nos jours. «Les herbiers étaient très tendance aux XIXe et XXe siècles. Il était bien vu d’en avoir un dans sa bibliothèque. Nous en avons donc beaucoup de cette époque», précise le conservateur.
Forte valeur scientifique
Une particularité de ces pièces de collection est qu’elles proviennent, pour beaucoup, de chercheurs ou biologistes, mais aussi de passionnés de botanique. «Encore aujourd’hui, nous recevons quelque 2000 spécimens par année, estime Patrice Descombes. Certaines personnes en retrouvent, par exemple, qui datent de leurs études. Ne sachant qu’en faire, elles nous les transmettent.»
Ces dons, l’établissement les accepte volontiers. Si les herbiers ont été étiquetés correctement, en plus d’être la trace d’un patrimoine culturel important, leur valeur historique et scientifique s’avère précieuse. «Là, par exemple, on voit que cet edelweiss était à la Dôle le 17 juillet 1848. Cela permet, historiquement, de retracer où étaient présentes les espèces. Si on envoyait un botaniste à cet endroit aujourd’hui, la retrouverait-il? C’est ce qui est intéressant d’un point de vue scientifique», relève Patrice Descombes.
Cet edelweiss en l’occurrence pousse toujours à la Dôle de nos jours. Mais pour les végétaux disparus, les herbiers se veulent des témoins de premier ordre, des archives de la biodiversité dans l’espace et le temps. «Ils sont utiles à différents travaux de recherche, qui utilisent de plus en plus les outils de la génétique. Pour les espèces que nous avons en suffisance, des prélèvements sont régulièrement demandés par des chercheurs suisses ou internationaux».
Le défi de la numérisation
Pour répondre à ces demandes, la numérisation constitue un enjeu essentiel. «Un envoi électronique permet à la fois d’éviter un déplacement aux intéressés, qui viennent parfois de l’étranger, mais aussi d’économiser des manipulations, chacune représentant un risque de dégât», indique Patrice Descombes. Sans compter la sécurité d’en avoir une trace, au cas où une catastrophe telle qu’un incendie ou une inondation surviendrait. Malheureusement, cette tâche, qui implique également un processus minutieux de restauration des spécimens, prend du temps et n’est effectuée que sur le 12% de la collection.
Une priorité a été mise sur les herbiers collectés dans le canton. Au rythme actuel, Patrice Descombes estime qu’il faudra entre cinquante et septante ans pour finaliser la restauration et la numérisation complète de la collection. En attendant, tout ce beau patrimoine reste stocké et soigné comme il se doit, sous l’œil attentif du conservateur en chef. «On ne le dirait peut-être pas comme ça, mais en ouvrant ces boîtes, nous ne sommes jamais à l’abri de trouver des surprises. C’est ce qui rend ce lieu et ce travail d’autant plus passionnants!»
L’herbier peint de Rosalie de Constant
Le Naturéum doit son herbier le plus précieux à une femme: Rosalie de Constant, qui évoluait au sein de l’élite intellectuelle genevoise et vaudoise. À son époque, les sciences, qui la passionnaient, étaient encore l’affaire des hommes. Elle a alors choisi d’exprimer son intérêt pour la botanique par l’art, en peignant un herbier de près de 1300 planches, réalisé entre 1795 et 1832. Rosalie de Constant a annoté au dos de ses œuvres la classification des espèces représentées selon un système précis: celui de Linné, de Jussieu et de Candolle, trois savants de cette période. Les vertus médicinales des spécimens dessinés sont aussi décrites. Un travail complet et remarquable, qui peut se targuer aujourd’hui de réunir l’art et la science en un seul chef-d’œuvre, tout en étant la pièce maîtresse d’une institution scientifique. Une belle revanche!
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