Quand la ville se fait éponge 
pour résister aux canicules

Le très minéral «jardin de la circulation» où les petits Lausannois apprennent à rouler sur deux roues gagne en perméabilité grâce à Lausanne Jardins 24. Une manière de répondre au défi climatique en milieu urbain.
11 juillet 2024 Marjorie Spart
L'architecte paysagiste Vincent Osselin photographié à la Vallée de la jeunesse, à Lausanne. © Olivier Vogelsang
L'architecte paysagiste Vincent Osselin photographié à la Vallée de la jeunesse, à Lausanne. © Olivier Vogelsang
L'architecte paysagiste Vincent Osselin photographié à la Vallée de la jeunesse, à Lausanne. © Olivier Vogelsang

D’étroits trottoirs longent encore les routes d’apprentissage des cyclistes débutants. Le tracé des voies permet toujours de réviser la palette complète des règles de circulation. Les feux de signalisation fonctionnent et la police veille toujours au grain.

Pourtant, l’ambiance a considérablement changé au jardin de la circulation de la Vallée de la Jeunesse, à Lausanne. Désormais, les enfants et les instructeurs souffriront moins de la chaleur. Le site a en effet fait l’objet d’un subtil et durable réaménagement pour se transformer en ville éponge.

Evolution des mentalités

«Construit pour l’Expo nationale de 1964, ce lieu correspondait à l’urbanisme de l’époque, dominé par le «tout béton»: routes goudronnées, peu de végétation et de nombreuses grilles d’évacuation de l’eau. Tous les ingrédients qui en ont fait un îlot de chaleur. Réaménagé selon le concept de la ville éponge, il est aujourd’hui plus vert, plus frais et plus convivial», résume Vincent Osselin, architecte-paysagiste, en charge du suivi de ces travaux, effectués dans le cadre de la manifestation Lausanne Jardins 24.

L’idée principale de ce réaménagement, élaboré par une équipe de l’Institut d’architecture de l’EPFL, est de considérer l’eau de pluie comme une ressource et non plus une contrainte à éliminer. «Chaque goutte d’eau a son utilité. Il s’agissait de trouver où et comment l’utiliser pour rendre le site plus résilient», poursuit Vincent Osselin.

Lausanne Jardins 24

Lausanne Jardins 24 est une manifestation culturelle mêlant questions paysagères et réflexions sur la ville. «C’est un laboratoire urbain permettant de tester de nouvelles pratiques», indique Monique Keller, commissaire de Lausanne Jardins. L’édition 2024 adopte pour thème «Entre l’eau et nous». Tout au long des rives lausannoises, elle met en lumière une quarantaine de projets en lien avec l’élément liquide. La manifestation se visite librement jusqu’au 5 octobre. Des visites guidées sont organisées le week-end.

Mieux retenir l’eau

Rendre les sols plus perméables et retenir l’eau, pour qu’elle ne finisse pas directement dans les canalisations, ont été les deux grands axes du projet. La première étape pour conserver l’eau sur le site a été de créer une noue d’infiltration. «Nous avons légèrement creusé un des terrains plats pour qu’il puisse recueillir l’eau. Nous avons dévié les chambres de récolte vers la noue pour que l’eau ne soit plus directement rejetée dans les canalisations», explique l’architecte-paysagiste.

La terre excavée a servi à consolider la butte qui surplombe le jardin et à en faire un petit verger. Des pommiers y ont été plantés pour ajouter à la diversité du site. «La police m’a dit qu’elle serait heureuse de pouvoir, à terme, servir du jus de pomme issu du jardin aux apprentis cyclistes», sourit Vincent Osselin.

En finir avec le bitume

Dans la lutte contre la chaleur, les concepteurs du projet ont éliminé un maximum d’asphalte, au profit de revêtements plus perméables. La grande place utilisée pour l’apprentissage du vélo a été complètement repensée. Le bitume a cédé la place à une surface de couleur claire, recouvrant un mélange de terre-pierre. Profonde d’un mètre, cette fosse de Stockholm permet l’infiltration de l’eau dans le sol et offre un espace de développement aux racines des arbres qui entourent désormais la place.

«Un réservoir d’eau pour la végétation qui en profitera même lors de la saison sèche», assure l’architecte-paysagiste. Autre énorme avantage de cette transformation: la température y est plus basse grâce à son sol clair et, bientôt, à l’ombrage des pins et chênes récemment plantés. La place est devenue si agréable que des bancs ont été installés tout autour. «Auparavant, on n’avait qu’une seule envie: la fuir au plus vite», commente Vincent Osselin.

Un défi pour le futur

Rendre les villes plus résilientes face aux canicules et aux intempéries est un enjeu majeur de l’urbanisme actuel. «Par ce réaménagement du jardin de la circulation, nous voulons montrer qu’il est possible d’agir pour rendre la vie en ville plus supportable dans ce contexte de changement climatique. Ce jardin prouve que des solutions existent et que la gestion de l’eau en est une des clés», plaide l’architecte-paysagiste.

L’assureur La Mobilière, qui a constaté que le ruissellement de surface est à l’origine de deux tiers des dommages dus aux inondations, a soutenu financièrement le projet. La transformation des zones urbaines en ville éponge paraît donc souhaitable à plus d’un titre. Fermé au public en semaine, le jardin de la circulation s’ouvre à l’occasion de visites guidées.

Un modèle pour s'adapter au changement climatique

Le concept de ville éponge est apparu dans les années 2000 en Chine. «Il s’agit d’une série de stratégies et mesures pour gérer l’eau de pluie sur un site sans l’évacuer», indique Tommaso Pietropolli du Centre de recherche Habitat de l’EPFL (HRC – ENAC), qui a élaboré le projet de transformation du jardin de la circulation avec l’équipe dirigée par Paola Viganò. Si le concept a émergé pour faire face aux défis climatiques – inondations, îlots de chaleur, pénurie de la ressource en eau –, la plupart des stratégies qu’il propose pour le ralentissement et la gestion naturelle des eaux de pluie étaient déjà bien connues des architectes-paysagistes. «Il s’est popularisé il y a une dizaine d’années, lorsque les autorités politiques et les ingénieurs hydrauliques ont commencé à s’intéresser au sujet de la résilience des villes, notamment depuis qu’elles sont confrontées aux inondations», détaille Tommaso Pietropolli. Pour le chercheur, la ville éponge doit interagir avec d’autres stratégies, par exemple celle visant à renforcer la biodiversité ou le taux de canopée. «Voilà pourquoi il était important, dans le jardin de la circulation, de créer un étang, qui non seulement récupère et stocke l’eau de pluie, mais offre un habitat à de nombreuses espèces.»

+ d’infos
lausannejardins.ch

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