«Récits, proverbes ou livres d'enfants: le loup est la grande vedette»
Vous tiendrez mardi prochain une conférence sur le loup. Comment aborderez- vous le sujet?
Comme c’est mon métier, je tiendrai des propos d’historien sur le loup. Je me concentre sur son histoire en Europe, de l’époque médiévale jusqu’à nos jours. On évoquera sa symbolique et sa présence dans les campagnes. Mais aussi notre peur ou «non-peur» de lui, qui va et vient au fil du temps.
Justement, vous traitez les animaux à travers leur histoire culturelle. Qu’est-ce que cela veut dire?
L’histoire culturelle est celle des représentations, des croyances et de la symbolique. Pour cela, je me base sur toutes sortes de sources: textes, images, documents comptables, archéozoologie – soit l’analyse de restes osseux trouvés dans le sol. Avec les méthodes scientifiques d’aujourd’hui, on arrive par exemple à retrouver le régime alimentaire des bêtes, à évaluer leur taille ou encore leur âge de décès, selon les époques et les régions. L’histoire naturelle fait partie de l’histoire culturelle, puisque les savoirs sur les animaux changent constamment. Nos croyances zoologiques d’aujourd’hui feront sourire dans un siècle ou deux. Je parlerai donc aussi de l’histoire des connaissances, qui évoluent au fil du temps.
Et alors, que raconte celle du loup?
Dans les récits, les proverbes ou même les livres pour enfants, c’est la grande vedette. On l’a perçu différemment selon les époques, selon notre peur, selon sa proximité des fermes et des villes. Dans les sociétés anciennes, il a surtout des défauts: on lui reproche d’être lâche et rusé parce qu’il attaque en groupe. Ou de voir dans les ténèbres, ce qui est un grand péché, puisque la nuit on doit dormir. Le loup entretient beaucoup de rapports avec la vue. Les superstitions racontent que lorsqu’on le rencontre, l’humain doit le voir en premier. Car si c’est le loup qui nous voit en premier, on sera terrifié, paralysé et dévoré.
L’histoire est-elle utile pour comprendre nos attitudes actuelles face au loup?
Par la comparaison, elle nous aide surtout à comprendre combien nos comportements actuels sont absurdes. Comme l’humain, le loup évolue. D’une part, son comportement social: il vivait uniquement en meute, était bien plus dangereux que de nos jours. D’autre part, on ne peut pas aujourd’hui lui reprocher de se comporter comme un loup. Pendant des siècles, la nature a terrifié l’être humain, ce n’est plus le cas. Désormais, les humains ne craignent plus le grand canidé, mais les éleveurs ont peur pour leurs bêtes. C’est aux pouvoirs publics de les dédommager, pas au loup de corriger sa nature profonde.
Parler du loup à Paris ou à La Chaux-de-Fonds, c’est différent?
Je n’aborde en tout cas pas le sujet autrement. La vie dans les campagnes n’est pas si différente. En France, en Allemagne, en Italie ou en Suisse, le bruit fait autour du loup me frappe au vu du pourcentage restreint d’individus par rapport aux populations humaines (ndlr: en Suisse, environ 300 loups pour 9 millions d’habitants). Plusieurs fois, j’ai été sommé de prendre parti entre les écologistes revendiquant le droit du loup à vivre à l’état sauvage, et les éleveurs de troupeaux demandant qu’on protège leurs bêtes – ce qui est légitime – éventuellement en abattant des loups – ce qui l’est moins. Mais mon rôle n’est pas de prendre parti, je donne le point de vue de l’historien.
Vous intégrez le loup dans un «bestiaire central». De quoi s’agit-il?
Dans une société donnée, c’est le petit nombre de bêtes qui, dans leur rapport avec les humains, comptent symboliquement plus que les autres. Dans les sociétés européennes, depuis la préhistoire, trois animaux ressortent: le loup, l’ours et le corbeau. Viennent ensuite le sanglier, l’aigle, le lion, le renard, le cygne et le taureau, pour créer un bestiaire central d’une dizaine d’espèces.
Comment les choisissez-vous?
Comme tous les historiens, je suis d’abord prisonnier des sources, qui doivent être fournies. Par exemple, chez les mammifères ou les oiseaux, il y a tout ce qu’il faut, mais concernant les poissons ou les insectes, les documents sont moins bavards. Ensuite, l’animal doit poser des problèmes de société. Puis, il y a mes affinités personnelles. Il en existe des bien documentés, comme le chien ou le cheval, sur lesquels je n’ai pas envie de travailler. À l’inverse, ayant une grande sympathie pour le corbeau et le cochon, j’ai beaucoup écrit sur eux.
D’où vous vient l’idée d’écrire sur les animaux et sur votre deuxième sujet de prédilection, les couleurs?
Quand j’étais petit garçon, je m’intéressais à ces deux thématiques, comme tous les enfants. En grandissant, ces derniers passent généralement à autre chose, et moi je ne l’ai pas fait. Jeune chercheur, j’ai consacré ma thèse au bestiaire médiéval et j’ai bénéficié du fait que ce sujet n’intéressait pas grand monde. La mode était à l’histoire économique et politique, mais celle des animaux ne semblait pas sérieuse. J’ai eu la chance que cela ait évolué et que tant les bêtes que les couleurs soient devenues des sujets de pointe. Aujourd’hui, je suis un vieux monsieur, j’ai accumulé des documents – fables, traités de zoologie, recueils de chasse – depuis une soixantaine d’années. Pour le passé, j’ai donc toute la matière qu’il me faut.
Et alors, quel sera votre prochain sujet?
Si le temps m’est donné, ce sera l’âne. Il est au cœur de nombreuses représentations, d’histoires, de proverbes. Comme la plupart des animaux de bétail, il laisse beaucoup de traces dans les documents, car c’est un agent économique qu’on fait travailler et dont on tire des produits. Tant la Bible, les auteurs grecs et romains que les fables sont très bavards sur l’âne. J’ai beaucoup à en dire.
Bio express
Né en 1947 à Paris, Michel Pastoureau est un historien du Moyen Âge, spécialisé dans l’étude des armoiries, la symbolique des couleurs et l’histoire culturelle des animaux. En parallèle de son enseignement à la Sorbonne, il a publié une quarantaine d’ouvrages, dont les plus récents décortiquent l’histoire et les symboles d’un animal ou d’une couleur. Il a reçu de multiples distinctions et est chevalier de la Légion d’honneur française depuis 2020.
+ d’infos «Le loup, une histoire culturelle», conférence de Michel Pastoureau, mardi 12 novembre à 20 h 15 au Club 44, à La Chaux-de-Fonds (NE). Billetterie sur: www.club-44.ch
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