Un data center prêt à tempérer un quartier entier

L’entreprise Infomaniak a construit sous terre un centre de données pionnier à Plan-les-Ouates (GE), en pleine zone résidentielle. La chaleur qu’il dégage alimentera le réseau de chauffage des logements alentour.
18 avril 2024 Céline Duruz
© Nicolas Righetti/Lundi 13

En surface, le quartier des Sciers, à Plan-les-Ouates (GE), est en pleine éclosion. Dix-sept immeubles, soit 1300 logements, prennent forme les uns après les autres sur cette parcelle bordée d’arbres. À première vue, rien ne les distingue des autres constructions du canton. Or le sous-sol recèle une innovation unique en son genre: un data center pouvant stocker des milliards de données au cœur de cette zone résidentielle.

Aucun bruit ne filtre de ce bunker en cours de finition. On y accède par une rampe en béton armé et une volée d’escaliers. La lourde porte de ce local hypersécurisé, elle, ne s’ouvre que par reconnaissance faciale, uniquement aux visiteurs accrédités. Une fois le seuil franchi, on a un peu l’impression de se retrouver dans une prison de haute sécurité où les e-mails, photos et autres vidéos de milliers de clients d’Infomaniak, entreprise à l’origine de cette infrastructure, sont précieusement gardés.

Fonctionnement continu

Le long d’un couloir unique, les portes grises se succèdent, toutes équipées d’un petit écran autorisant leur ouverture. Les caméras de surveillance sont omniprésentes. «Les données sont conservées sur plusieurs sites pour davantage de sécurité, souligne Thomas Jacobsen, porte-parole d’Infomaniak. Elles sont, en outre, cryptées et donc indéchiffrables en cas de vol physique.»

L’entreprise craint surtout qu’un jour, ses machines s’éteignent. «Un data center ne doit jamais tomber en panne, c’est notre préoccupation majeure, confirme Thomas Jacobsen. Des transports publics aux services des ambulances en passant par les impôts, toute l’économie réelle est aujourd’hui numérique. C’est inimaginable qu’un tel système puisse s’arrêter ne serait-ce qu’une seconde.»

Des batteries de secours occupent une salle entière du site, également équipé de générateurs et d’ondulateurs garantissant un approvisionnement constant en électricité. Dans des rangées étroites, des centaines de serveurs sont alignés, contenant chacun les données de milliers de clients. Ceux consacrés à l’intelligence artificielle prennent davantage de place et s’avèrent, surtout, encore plus gourmands en électricité.

En chiffres

1800 m2, la surface occupée par le data center de Plan-les-Ouates (GE). Sa capacité effective est de 1,25 MW.

1,8 million de francs, la subvention de l’Office cantonal de l’énergie de Genève. Ce projet est devisé à 12 millions, la moitié des coûts étant liée à la récupération de la chaleur.

2,5 tonnes de CO2 sont générées par la fabrication d’un serveur. Infomaniak utilise chacun d’eux pendant quinze ans pour limiter leur impact.

D’ici à 2027, l’hébergeur genevois va créer deux autres centres en Suisse.

Panneaux solaires

Alors, pour réduire son impact environnemental, l’hébergeur genevois a innové, ce qui lui a permis de décrocher l’an dernier le Prix de l’éthique de la Haute école d’ingénierie du canton de Vaud. Infomaniak est parvenu à revaloriser intégralement l’énergie renouvelable – l’électricité provient majoritairement de panneaux solaires – consommée par tout le data center, dans un circuit totalement fermé.

Contrairement à la majorité des 93 centres de données de Suisse, celui-ci n’est pas climatisé. À l’intérieur, les écarts de température sont plutôt radicaux. En passant d’une allée de serveurs à sa voisine, la température varie – presque – du simple au double. «L’air froid vient du sol. Il passe dans les serveurs et ressort de l’autre côté à 45°C, poursuit Thomas Jacobsen. Cet air chaud est amené jusque dans le faux plafond grâce à de grands ventilateurs. Il chemine ensuite dans la grille très serrée d’un échangeur air/eau.»

Pompe à chaleur inédite

L’originalité de ce projet est d’utiliser les deux côtés des pompes à chaleur: le froid dégagé en élevant la température de l’eau est utilisé pour maintenir l’air qui passe à travers les serveurs autour de 26°C, afin de permettre leur bon fonctionnement. Cette eau tempérée à 43°C est ensuite réchauffée à environ 67°C avant d’être injectée dans le réseau du canton de Genève. L’intégralité de la chaleur générée par le site servira ainsi à tempérer les appartements de près de 6000 ménages à l’année ou permettra à 20’000 genevois de prendre quotidiennement une douche de 5 minutes. À pleine capacité, ce data center fournira 12’750 MWh, soit l’équivalent de 5500 tonnes de CO2 de pellets par an.

«Dans notre domaine, cette énergie est jusqu’à présent perdue, ce qui est absurde, regrette Thomas Jacobsen. On veut montrer aux politiques que l’on peut agir sur l’impact de ces sites, devenus essentiels.» Infomaniak, qui gère les données de 300’000 organisations, espère que son modèle sera répliqué. L’industrie du cloud semble en tout cas prendre la mesure du rôle qui lui incombe, en tant que grande consommatrice et émettrice d’énergie (lire l’encadré). «Il est urgent d’arrêter ce gaspillage, estime Boris Siegenthaler, fondateur d’Infomaniak. Il faut installer les data centers là où on en a besoin, à proximité des réseaux de chauffage à distance, pour que la chaleur dégagée puisse entièrement et en permanence être revalorisée, ce qui permettra de réduire l’utilisation des énergies fossiles.»

Prise de conscience européenne

Une douzaine d’entreprises et d’instituts de recherche européens, dont le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa) basé à Dübendorf (ZH), ont lancé le projet européen HEATWISE. Le but? Utiliser la chaleur produite par les outils informatiques se trouvant dans les hôpitaux, les universités, les bâtiments de recherche et de bureaux. Tous sont remplis d’appareils techniques et d’équipements informatiques générant de la chaleur résiduelle. Dans le cadre de ce projet, les différentes entités se sont réunies pour repenser la gestion de l’énergie de leurs immeubles. «L’objectif est un principe zéro déchet, explique Binod Koirala de l’Urban Energy Systems Lab de l’Empa. Nous voulons si possible récupérer toute la chaleur perdue et l’intégrer au système de chauffage des bâtiments.» Lancé officiellement début 2024, le projet durera trois ans. Il est soutenu par l’Union européenne et par le Secrétariat d’État suisse à la formation, à la recherche et à l’innovation.

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