Un nouveau centre de compétences destiné à l'apiculture durable

La dimension transversale des butineuses, qui concerne autant la nature que la société, a inspiré la création d'une structure fédératrice en Valais. On y réfléchit à l'avenir des pratiques apicoles.
7 août 2024 Sylvain Menétrey
Doté d’une charpente et d’un habillage de façade en bois massif issu du Mont-Brun, le CCA arbore un toit en papillon. À l’intérieur, comme à l’extérieur, des ruches servent à la recherche et à la démonstration. © Joachim Sommer
Doté d’une charpente et d’un habillage de façade en bois massif issu du Mont-Brun, le CCA arbore un toit en papillon. À l’intérieur, comme à l’extérieur, des ruches servent à la recherche et à la démonstration. © Joachim Sommer
Doté d’une charpente et d’un habillage de façade en bois massif issu du Mont-Brun, le CCA arbore un toit en papillon. À l’intérieur, comme à l’extérieur, des ruches servent à la recherche et à la démonstration. © Joachim Sommer

En ce jour de juillet, la Dranse en furie colore de marron le paysage en cours d’élaboration autour du Centre de compétences en apiculture (CCA) du Grand Entremont à Vollèges (VS), un bâtiment multifonction en bois bordé d’un rucher. «La nuit dernière, un torrent affluent de la Dranse a emporté des débris rocheux d’un pan de montagne au-dessus du Fregnolet coupant la route de la vallée et ensevelissant une bergerie», explique, carte au 1:25 000 à l’appui, Jean-Baptiste Moulin, le coordinateur du CCA, également garde-
forestier et fin connaisseur du relief local.

Il paraît un peu étrange dans cette situation de discuter des futurs aménagements du terrain du CCA, en particulier le long de la rivière qui va s’habiller de diverses essences favorables aux abeilles, mais le coordinateur parle avec tant de passion de ce projet foisonnant qu’on se laisse emporter. «Ici viendra un verger à hautes tiges, là un jardin en permaculture, et là-bas une prairie maigre», énumère-t-il.

Cette future mosaïque paysagère associée à 21 panneaux didactiques va répondre aux nombreux objectifs en matière de formation, de recherche, d’échanges de bonnes pratiques ou d’agritourisme de ce lieu inauguré le 18 mai dernier qui bourdonne aussi par ses idées.

Mesurer l’impact d’un sursemis

Son origine remonte au Projet de développement régional du Grand Entremont (2018-2023). «Le Conseil communal a demandé à la Société d’apiculture d’Entremont (SAE) si elle voulait s’y associer. Il y avait un doute sur la nature agricole de l’activité, mais l’Office fédéral de l’agriculture a validé notre participation. Au départ, il s’agissait de répondre au problème des pertes hivernales d’abeilles de l’ordre de 20% dans les colonies, en développant une pouponnière. On a aussi pensé à créer un laboratoire pour que nos apiculteurs puissent réaliser des opérations comme l’extraction de miel et la mise en pot selon les conditions d’hygiènes requises», détaille le coordinateur.

Mais Michel Rausis, président de la SAE, et Jean-Baptiste Moulin voient plus loin, car ils ont conscience que leur centre s’inscrit dans un contexte géographique touristique et que l’apiculture est au carrefour de questions contemporaines liées à la durabilité environnementale, sociale et économique. «On a imaginé cinq pôles: l’agritourisme, l’apiculture dans ses relations avec le territoire, la formation, la recherche et développement, ainsi que l’apithérapie. Nous mettons 60 ruches à disposition sur quatre sites répartis dans le district pour mener ces activités.»

Ainsi, une apithérapeute fait-elle usage de ces ressources tandis que des étudiants genevois de l’HEPIA mènent des recherches sur l’évolution des arbres fruitiers dans la région, l’efficacité des pièges à frelons asiatiques (lire l’encadré ci-dessous) ou encore la composition végétale des milieux autour des ruchers.

Capturer le frelon de manière sélective

Dans les hautes herbes du talus en contrebas du CCA, on aperçoit d’intrigants récipients reliés à des conduites en plastique de différentes conceptions. Il s’agit de pièges à frelons asiatiques de degrés de perfectionnement variables. «La région demeurant préservée de ce prédateur invasif, on peut y tester l’efficacité des pièges séparant le frelon des autres insectes. Dans les zones où on en capture, on ne sait pas si l’absence d’autres insectes est à mettre au crédit du piège, qui les laisse s’enfuir, ou s’ils ont été mangés par les frelons», explique Salomé Currat, qui mène cette expérience dans le cadre de son bachelor en gestion de la nature à l’HEPIA de Genève. 
La jeune femme recueille à intervalles réguliers les mouches, abeilles et autres insectes pris au piège pour les identifier. Elle remarque que les pièges de dernière génération sont plus sélectifs. «Or ceux qui sont le plus employés, parce qu’ils sont meilleur marché, gardent prisonniers de nombreux autres insectes.»

Grâce à la constellation de spécialistes qu’il rassemble autour d’un noyau de personnes chargées de la stratégie d’ensemble, le CCA peut offrir des conseils aux jardiniers qui souhaitent favoriser les pollinisateurs, aux apiculteurs familiaux qui désirent se faire du bien au contact des abeilles, ou aux agriculteurs. «Ceux-ci ne réalisent pas toujours l’impact bénéfique de leurs efforts, par exemple, quand ils font des sursemis avec du trèfle. En suivant l’état de santé des abeilles, on peut leur transmettre des données chiffrées.»

Prudence toute valaisanne

Du point de vue de la production, de nombreux axes de valorisation sont à l’étude. «Par exemple, il n’existe pas de tradition d’extraction du pollen d’abeilles dans l’Entremont. Ces grains à base de pollen de fleurs dont les butineuses suppriment les qualités germinatoires avec des enzymes renforcent le système immunitaire. Si l’on mettait en place un protocole pour récolter ce produit des ruches, on pourrait ensuite rationaliser le travail en utilisant tous le même matériel.»

Cette mutualisation est déjà une réalité pour la récolte de miel, même si actuellement seule une dizaine d’apiculteurs de la région a prévu d’accomplir l’opération dans la salle d’extraction accessible avec un véhicule du CCA. «Une trentaine d’autres se tâte encore, confie Jean-Baptiste Moulin. On est en Valais, les gens veulent voir avant de se décider.»

Le club Mellonia

Les coûts de construction du CCA se sont élevés à 2,2 millions de francs provenant de fonds publics dans le cadre du Projet de développement régional du Grand Entremont. La structure compte aussi sur les soutiens privés pour financer ses activités et a créé à cet effet le Club Mellonia qui réunit déjà 300 membres cotisants. «Nous faisons vivre ce club en proposant des rencontres et des conférences qui participent à notre objectif de transfert de connaissances», commente le coordinateur des lieux, Jean-Baptiste Moulin.

+ d’infos

www.cca-abeille.ch

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