Interview
«Nos cheptels sont parmi ceux avec la meilleure morphologie au monde»

Héritière de la Fédération de la tachetée noire, Holstein Switzerland célèbre ses 125 ans. Son directeur, Michel Geinoz, revient sur le rôle joué en Suisse par cette race laitière aux performances hors norme.

«Nos cheptels sont parmi ceux avec la meilleure morphologie au monde»
Pouvez-vous rappeler les origines et le déploiement de la holstein à ses débuts?
➤ Initialement, on parlait de frisonne, du nom de l’ancienne province néerlandaise dont elle est issue. Mais même si cette race vient de là-bas, son développement a surtout eu lieu en Amérique du Nord. En 1852, un éleveur américain a découvert une vache holstein arrivée sur un vaisseau hollandais. L’équipage avait embarqué l’animal à bord pour se nourrir durant la traversée. Cet homme l’a achetée et, constatant rapidement ses bonnes performances laitières, a fait venir par la suite d’autres individus, dont des taureaux. Petit à petit, la race s’est également développée au Canada. Elle s’est donc d’abord implantée sur le continent américain, pour revenir en Europe au milieu du XXe siècle.

Quels étaient les critères importants à l’époque?
➤ Les éleveurs étaient déjà concentrés sur la production laitière. Ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’ils ont commencé à regarder d’un peu plus près la conformation des animaux. Les premiers tests étaient assez empiriques, puisque la reproduction se faisait naturellement. La sélection était aléatoire et demandait du temps: il fallait une génération pour voir les résultats. On était encore loin des techniques actuelles, où l’insémination artificielle permet d’obtenir des valeurs d’élevage et de savoir avec précision où l’on va. Mais cela a bien fonctionné, puisque dès la fin du XIXe siècle sont nées au Canada et aux États-Unis les premières organisations de la race holstein.

Comment est-elle arrivée en Suisse?
➤ L’arrêté fédéral de 1944 sur la délimitation de zones d’expansion des races exigeait, pour être reconnue dans une région, qu’une race compte au moins 20% du cheptel global ou au minimum mille têtes de bétail. Cette législation très stricte menaçait la tachetée noire, qui n’était plus concentrée que dans certains endroits des cantons de Fribourg, Bâle et Neuchâtel. Au début des années1940, cette vache s’est retrouvée en difficulté à cause de gros problèmes de consanguinité. Mouton, un taureau basé à Sâles, en Gruyère, avait engendré plusieurs veaux souffrant d’importantes malformations au train arrière. Comme les sujets à disposition pour la reproduction étaient peu nombreux, cette pathologie s’est répandue. Dans les années 1950, la Fédération d’élevage a ainsi pris la décision d’acheter en Allemagne Ali et Albert, deux taureaux de race frisonne. Elle s’est aperçue que les veaux issus de ces croisements ne souffraient plus de malformations, mais n’étaient pas encore très performants. Une délégation s’est alors rendue en France, où elle a vu des descendants d’animaux canadiens qui l’ont convaincue, puis au Canada au début des années 1960. Cela a été la révélation. En Suisse, la transition s’est faite par l’insémination de tachetées noires avec de la semence de taureau holstein.

Quand ces premiers croisements ont-ils eu lieu?
➤ Il y a eu beaucoup d’importations illégales de semences entre les années 1950 et 1960 en provenance de France et d’Allemagne. Ce phénomène a permis de mettre la pression sur les pouvoirs politiques afin de changer les choses: en 1966, le Conseil fédéral a accepté de lever les zones raciques, ce qui a permis aux éleveurs de choisir librement leurs animaux. La même année, les importations de semences ont été autorisées, marquant les véritables débuts de la holstein en Suisse, après dix ans de tâtonnements depuis Ali et Albert.

A-t-il été facile de faire accepter cette nouvelle vache?
➤ Aujourd’hui encore, certaines voix racontent que la holstein a fait mourir la tachetée noire. Mais au contraire, elle l’a sauvée, car cette race était condamnée. Ces croisements ont permis de donner naissance à des animaux qui correspondaient tout à fait aux attentes des éleveurs, à la fois adaptés à la montagne et produisant un lait idéal pour la fabrication du fromage.

D’où provient le matériel génétique aujourd’hui?
➤ Swissgenetics achète ses semences et ses taureaux étrangers essentiellement aux États-Unis, au Canada et en Italie, qui sont au top de la sélection. Mais notre marché indigène compte aussi d’excellents sujets.

Quelle place la Suisse occupe-t-elle?
➤ Nous exportons beaucoup de semences, notamment en Inde et en Europe de l’Est. Et nos cheptels figurent parmi ceux avec la meilleure morphologie au monde, selon les juges internationaux. Le travail de sélection très poussé permet régulièrement à nos holsteins de s’illustrer dans les concours. Preuve en est il y a deux ans encore, avec Erbacres Snapple Shakira, une vache canadienne sacrée championne du monde, qui descend directement d’un taureau suisse.

Actuellement, la holstein représente 45% du cheptel bovin suisse, contre 90% des effectifs à l’étranger. Comment expliquer ce «retard» chez nous?
➤ Par la tradition de nos races à deux fins, qui sont une spécificité nationale et permettent un rendement laitier et boucher intéressant aussi. Nous sommes également très fidèles à nos vaches indigènes, comme celle d’Hérens, la simmental ou la brune originale.

Sur quels aspects votre coopérative travaille-t-elle à l’heure actuelle?
➤ L’objectif premier demeure la performance laitière. En 2023, la moyenne nationale chez Holstein Switzerland était de 9248 kg par an et par vache. C’est 1550 kg de plus qu’il y a vingt ans. L’augmentation de ces quantités n’a pas altéré la qualité du lait, car les teneurs en matière grasse et en protéines continuent aussi de progresser, ce qui prouve que la génétique est bonne. Mais nous n’avons pas encore atteint le plein potentiel de la race. Certains sujets d’exception en Suisse produisent jusqu’à 20’000 kg par année. Sans vouloir en arriver jusque-là, nous visons les 10’000 kg à moyen terme. Nous cherchons à analyser le lait sous de nouveaux aspects, à nous pencher sur des teneurs intéressantes pour l’industrie, comme les acides aminés ou le fer. Holstein Switzerland continue d’innover dans de nouveaux outils et technologies pour le suivi des troupeaux. La Suisse possède plusieurs structures d’élevage différentes. Nous sommes en train de mettre en place des synergies. Notre pays est le seul au monde à compter deux organisations pour la holstein (ndlr: la deuxième est swissherdbook Zollikofen). Nous travaillons à unir nos forces et à collaborer, même si nous garderons chacune notre identité.
Texte(s): Propos recueillis par Aurélie Jaquet
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Bio express

Michel Geinoz
Fils d’éleveur, ingénieur agronome diplômé de l’École polytechnique fédérale de Zurich, le Fribourgeois de 50 ans a notamment œuvré comme responsable du groupe de recherche Aliments pour animaux à l’Agroscope de Posieux (FR). Il a repris la direction de Holstein Switzerland le 1er juin 2018.