CLIMAT
Notre agriculture devra s’adapter pour survivre à la crise climatique

Alors que la COP26 vient de se terminer sur des accords jugés décevants, nous avons voulu savoir comment les agronomes suisses voient l’avenir de la production de nourriture dans ce contexte de réchauffement.

Notre agriculture devra s’adapter pour survivre à la crise climatique

C’est aujourd’hui une évidence, l’agriculture joue un rôle central dans la problématique du climat. En Suisse, elle est la troisième source de pollution, après les transports et les ménages. Elle se trouve dans la position sensible d’être à la fois actrice et victime de ces changements. Alors que l’engagement des États d’ici à 2030 est jugé insuffisant par la communauté scientifique, le risque d’insécurité alimentaire, toujours grandissant face aux extrêmes météorologiques, pousse la recherche agricole à réinventer la production pour les décennies à venir.

 

Dégâts en prévision

Pour mieux comprendre l’impact de la crise climatique sur l’agriculture, il suffit de faire le bilan de 2021. «C’est une année particulièrement mauvaise pour notre pays, analyse Lutz Merbold, responsable du domaine stratégique Agroécologie et environnement au sein de la station de recherche Agroscope. Nous avons perdu beaucoup de récoltes. La grêle et la pluie de l’été ont provoqué des dégâts considérables. Les plantations n’ont tout simplement pas pu se développer correctement.» Si pour le moment la situation reste encore exceptionnelle, des intempéries similaires pourraient être de plus en plus fréquentes à l’avenir. «À cela s’ajoutent la sécheresse et la hausse des températures, précise le chercheur. Certaines plantes moins adaptées à de tels stress météorologiques seront plus difficiles à cultiver.» Le blé d’hiver en est un exemple. Quant aux maladies et aux parasites, ils font aussi partie de l’équation. «L’adoucissement de la température hivernale diminuera le taux de mortalité des insectes ravageurs», relève Hannah von
Ballmoos-Hofer, responsable de la division Énergie et environnement à l’Union suisse des paysans.

Que faire alors face à des risques de pénurie de nourriture? «Pour l’instant, les importations permettent de compenser les pertes et maintenir une stabilité», assure Lutz Merbold. Malheureusement, le problème n’est pas seulement limité à la Suisse. Toute l’Europe centrale a elle aussi subi des dommages importants cette année. «La question doit donc être abordée de manière globale, rappelle le scientifique. Car c’est surtout du reste du monde que viendra l’insécurité alimentaire.» Ainsi, bien qu’actuellement imprévisibles, ces risques ne peuvent pas être négligés.

 

Du riz plutôt que du blé?

Le monde agricole a donc des défis à relever pour assurer sa durabilité. L’adaptation devra se faire à plusieurs échelons, avec en premier lieu la question du choix des plantes cultivées. «Le réchauffement climatique n’aura pas que des impacts négatifs, rassure Hannah von Ballmoos-Hofer. Les périodes de récolte vont se rallonger. Si on a des réserves d’eau suffisantes pour irriguer, cela deviendra un avantage.» À noter que selon une étude d’Agroscope, le maïs bénéficiera justement d’une hausse des températures sur le moyen terme. «Cela va aussi apporter de nouvelles opportunités pour l’agriculture suisse, affirme Lutz Merbold. Nous cherchons à utiliser l’environnement changeant à notre avantage.» En effet, si une partie des productions ne survivra pas à la hausse des températures, d’autres, plus exotiques, y seront adaptées. Comme le riz ou le quinoa, qui pourraient devenir communs dans nos champs. «Je ne peux pas dire avec certitude que la Suisse en deviendra un pays producteur, note le chercheur, mais certains projets pilotes sont déjà menés en ce sens. Et c’est un bon exemple pour montrer le changement de paradigme que va vivre l’agriculture.»

Les scientifiques d’Agroscope travaillent également à développer de nouvelles méthodes de culture. L’une des études porte sur l’irrigation en période de sécheresse, en utilisant un apport minimal en eau. Une autre se penche sur la fertilisation biologique de précision, afin de diminuer le besoin en engrais. «Le but est de créer des systèmes plus stables grâce à l’agriculture de précision, explique Lutz Merbold. Nous essayons aussi d’y intégrer de la biodiversité, qui favorise la résistance globale de la plantation. L’ajout de fleurs, par exemple, attire les insectes qui permettent de mieux lutter contre les parasites.» À moyen terme, le scientifique estime que, pour mieux survivre, l’agriculture va ainsi devoir se diversifier et s’éloigner du mode de production classique reposant sur la monoculture.

 

Le rôle de la population

En parallèle des changements dans les pratiques agricoles, commerçants et consommateurs devront eux aussi s’adapter. «Le gaspillage de nourriture est toujours d’actualité, rappelle Hannah von Ballmoos-
Hofer. Il faudra faire preuve de flexibilité au niveau de la qualité des produits. Les grandes surfaces devront accepter de vendre des fruits moins beaux ou sortant des standards. C’est déjà une initiative qui s’est mise en place cette année à la suite des mauvaises récoltes.» Dans notre pays, 30% de la nourriture produite n’arrive en effet pas dans nos assiettes, soit 2,8 millions de tonnes qui sont ainsi jetées. Les responsables principaux de ces pertes sont le secteur de la transformation et les ménages.

Enfin, outre la production de nourriture et les efforts pour en limiter le gaspillage, l’agriculture a encore un autre rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique, au travers notamment de la production de biogaz ou du stockage de carbone dans les sols. «Nous devons prendre en compte tous ces aspects pour favoriser une transition efficace face à la crise environnementale, afin de maintenir notre sécurité alimentaire,» conclut Hannah von Ballmoos-Hofer.

Texte(s): Mattia Pillonel
Photo(s): DR

Productions trop peu assurées

Les dommages liés au changement climatique mettent les paysans sous pression, d’autant plus en l’absence d’assurances pour leur production. Un manque dénoncé par l’Union suisse des paysans (USP), qui estime que l’instauration de tels contrats permettant d’indemniser les dégâts est essentielle au maintien de la sécurité alimentaire. En effet, l’USP craint que sans protection, les agriculteurs renoncent à certaines cultures plus chères ou plus sensibles, telles les pommes de terre, par peur de pertes trop importantes.

Questions à Géraldine Pflieger, directrice de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève et membre de la délégation suisse à la COP26

Quel bilan peut-on tirer de la COP26 ?

Du point de vue des objectifs de réduction des gaz à effet de serre, on a quelques timides progrès qui ont été mis en place pour l’horizon 2050. En revanche, pour la prochaine décennie, les engagements des États ne sont pas du tout au rendez-vous. Pour le moment, nous n’arrivons donc pas à limiter la hausse des températures à moins de 2.4 degrés, soit 1 degré de plus que les accords de Paris. Ce qui est absolument catastrophique, quand on observe déjà aujourd’hui des impacts considérables avec 1.1 degré de plus. N’oublions pas que l’on parle ici d’une moyenne, ce qui veut dire que certaines régions du monde vivront potentiellement des hausses de 3, 4, voire 5 degrés.

Quelles conséquences aura ce réchauffement global pour la Suisse?

La première sera la perte des glaciers, et donc par extension d’une partie des réserves en eau. La fonte du permafrost provoquera également de plus grands risques de glissements de terrain et d’éboulements. Évidemment, la sécheresse nous affectera aussi durant le printemps et l’été, accompagnée par des pluies et des inondations plus fréquentes en automne et en hiver.