Reportage
Nourrir les écoliers avec des aliments locaux est un vrai défi

Les initiatives se multiplient pour améliorer les menus des cantines scolaires, en favorisant les circuits courts et les producteurs de la région. Mais le faire tout en satisfaisant les goûts des jeunes relève de la gageure.

Nourrir les écoliers avec des aliments locaux est un vrai défi

Ces derniers mois, les courges, pains et steaks jurassiens se taillent la part du lion dans les assiettes des étudiants du canton. Les cuisiniers doivent en effet proposer à leurs clients des plats confectionnés avec au moins 50% de produits locaux et 25% de denrées labellisées bios, conformément à une motion acceptée par le Parlement fin 2021. L’idée? Privilégier les circuits courts et la saisonnalité dans la restauration collective. Si le projet fait l’unanimité, sa mise en place se révèle compliquée, note la Fondation rurale interjurassienne (FRI), qui gère depuis la rentrée d’août trois établissements collectifs de formation supérieure, à Delémont, en plus de celui dont elle dispose sur son site de Courtemelon.

À la recherche d’un équilibre
La FRI se retrouve face à de multiples défis, à commencer par le choix des menus. Ceux-ci doivent être suffisamment attrayants pour séduire les papilles des étudiants, et ainsi éviter qu’ils se rendent dans un fast-food. «Les 16 à 20 ans que l’on cible sont assez monolégumes, voire n’en mangent pas du tout, regrette Laurent Joliat, responsable de l’intendance à la FRI. On doit répondre à leurs attentes en proposant des plats rassasiants, tout en leur faisant découvrir de nouvelles saveurs. C’est un équilibre qu’il nous faut encore trouver. On est un laboratoire à ciel ouvert!»

À cela s’ajoute le fait que les menus des cantines doivent rester abordables, avec des prix bas sponsorisés en partie par le Canton. Les achats se font dès lors en gros, dans la mesure du possible. «On doit mettre en place une filière, il s’agit d’un sacré travail, reconnaît Laurent Joliat. Les domaines agricoles jurassiens sont petits et leur production s’avère donc modeste. C’est difficile pour elles de répondre à nos commandes groupées. Il faudra à terme que les paysans, les bouchers ou les boulangers se regroupent de manière à y parvenir.»

Union des producteurs
Au restaurant de l’École d’agriculture et des métiers de l’intendance à Courtemelon, les légumes cuisinés proviennent en grande partie des parcelles cultivées par les étudiants sur place. Ailleurs dans le canton, les exploitants se mobilisent afin d’approvisionner les établissements, souhaitant tirer parti de l’impulsion donnée par le monde politique. «On a de fortes chances d’y arriver même si ça prendra du temps, commente Joan Studer, agriculteur bio à Lucelle et coprésident de BioJura. L’idée est de commercialiser le surplus des exploitations qui disposent déjà d’un bon réseau de vente, par le biais de paniers par exemple. On a été intégrés et impliqués dans le processus dès le départ.»

Unis en association, les maraîchers bios se sont déjà mis d’accord sur les prix avec la Fondation rurale interjurassienne. Les autres producteurs sont en passe de le faire. «Le défi est avant tout logistique, relève Joan Studer. On a trouvé une chambre froide où livrer nos denrées, c’est un bon début. Il ne faut pas que le transport des marchandises nuise au gain que l’on pourrait tirer d’une telle initiative.»

Sensibilisation et formation
Partout en Suisse romande, les solutions pour garder la main sur sa production du champ à la cantine fleurissent. Dans le canton de Vaud par exemple, une légumerie vient de voir le jour à Bremblens, dans les locaux de l’entreprise Keuffer. «On a imaginé ce service afin d’écouler nos légumes bios hors calibre ou en période de surproduction. On peut désormais les laver, les éplucher, les découper puis les conditionner avant de les livrer avec nos propres camionnettes, détaille Vincent Keuffer, à la tête d’un domaine d’une centaine d’hectares. Cela nous faisait mal au ventre de brader ces denrées que l’on a cultivées avec soin.» Un partenariat a été conclu avec le restaurateur Novae, qui sert 35000 repas par jour. Meyrin (GE) disposera également de sa propre légumerie l’an prochain; la Coopérative de la Ferme des Vergers pourra ainsi nourrir les écoliers de la région.

La multiplication de ces initiatives ravit Elisa Domeniconi, codirectrice du label Fourchette Verte, qui célèbre ses trente ans (lire l’encadré ci-dessous). «C’est très important de sensibiliser les enfants aux bienfaits d’une alimentation saine, ainsi qu’aux protéines végétales notamment, note-t-elle. Cela doit aussi passer par la formation des cuisiniers, qui placent encore au centre des assiettes la viande ou le poisson, et par un changement politique plus profond.»

Certaines villes l’ont bien compris, à l’instar de Bienne. Depuis cette année, les collaborateurs de l’établissement médicosocial Redern concoctent les menus pour toutes les écoles et crèches municipales. Ils cuisinent plus de 270‘000 repas par an avec des aliments biologiques cultivés ou fabriqués dans un rayon de maximum 35km autour de la cité. «Les 85% des produits laitiers qu’ils écoulent proviennent de ce périmètre, c’est réjouissant, conclut l’agriculteur Joan Studer. Cet exemple concret et inspirant montre que cela est possible.»

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Vincent Muller

Une marque en perpétuelle évolution

Lancé il y a trente ans, le label Fourchette Verte fait toujours recette. À l’époque, il ne promouvait pas seulement une alimentation équilibrée, mais aussi les boissons sans alcool et la lutte contre la fumée passive, ce qui était avant-gardiste. Il a depuis séduit 1700établissements dans 17 cantons, ce qui correspond à 118‘000 repas servis par jour. Environ 12% des restaurants ont d’ailleurs choisi d’aller encore plus loin en affichant le label Fourchette Verte – Ama Terra, créé en 2016. «Celui-ci intègre des critères de durabilité plus stricts, notamment concernant la provenance des aliments, souligne Elisa Domeniconi, codirectrice de Fourchette Verte. On propose également un accompagnement et des outils pratiques pour apprendre à cuisiner des protéines végétales, ainsi qu’un guide du bio en restauration collective.» La marque vient par ailleurs d’inventer, en collaboration avec l’outil de diagnostic Beelong, un calculateur mesurant l’écoscore des menus des cantines, de façon à ce que le consommateur ou les parents – 75% des repas étant servis aux enfants – puissent connaître, en toute transparence, l’impact sur l’environnement et sur la santé du contenu des assiettes.

+ d’infos www.fourchetteverte.ch

Cuisine sur roues

Proposer des ateliers pour apprendre à cuisiner des produits de saison et locaux directement dans les préaux: c’est le concept de la Slow Mobile. Deux roulottes spécialement aménagées dans ce but sillonnent la Suisse afin de sensibiliser les écoliers à l’importance d’une alimentation saine. «Nous souhaitons leur montrer que nos légumes et nos fruits peuvent se transformer en plats savoureux, et ce, dès leur plus jeune âge, note Jean-Marc Imhof, président de Slow Mobile. Ils conserveront ces bonnes habitudes le reste de leur vie.»

+ d’infos www.slowmobil.ch