Reportage
Numérisées, les éditions du «Sillon romand» sont à la portée de tous

Tous les numéros de l’hebdomadaire, fondé il y a 125 ans, ont été scannés. La plupart d’entre eux sont déjà consultables, en ligne et gratuitement, sur le site Scriptorium de la Bibliothèque cantonale vaudoise.

Numérisées, les éditions du «Sillon romand» sont à la portée de tous

Amateurs d’histoire, réjouissez-vous! Dès cet été, vous pouvez vous plonger dans les premières éditions du Sillon romand sans quitter votre canapé et feuilleter avec votre souris les pages de la vénérable publication. Un petit prodige rendu possible grâce au travail méthodique et minutieux de l’entreprise vaudoise 4digitalbooks, qui a scanné puis numérisé l’intégralité du journal. Elle n’en est pas à son coup d’essai: elle a d’ores et déjà mis en ligne près de 150 titres romands existants ou disparus, comme L’Impartial, 24heures ou encore La Broye Hebdo, les rendant consultables à tous sur la plateforme Scriptorium de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCU).

Un travail de titan
Dans les bureaux de l’entreprise, à Écublens (VD), des milliers de pages de journaux et de livres anciens sont scannées chaque jour. «Les journaux sont des recueils d’histoire complets, estime Ivo Iossiger, directeur de 4digitalbooks. Eux seuls rendent compte de la vie locale chaque jour ou semaine depuis parfois plusieurs siècles.» Lui-même n’avait pas connaissance du nombre impressionnant de titres que compte la Suisse romande, avant de commencer à les numériser, au début des années 2000.

Il a découvert un trésor qu’il a voulu partager et surtout rendre accessible au plus grand nombre, concluant des accords avec les éditeurs des publications et les autorités, qui cofinancent les opérations. «Au fil des ans, les pages des journaux sont devenues des oubliettes, emprisonnant une histoire régionale qui mérite d’être mise en lumière. On s’arrête autour de 2015, lorsque les PDF des pages sont devenus la norme.»

Au rez-de-chaussée de l’entreprise, les employés scannent les pages une à une avant de vérifier qu’elles ne soient pas floues et les redresser au besoin. Elles sont ensuite référencées avant d’être mises en ligne sur la plateforme Scriptorium. À l’aide de mots-clés ou de noms de famille, il est possible de retrouver des informations oubliées sur un illustre ancêtre ou sur un événement ayant marqué toute une région, en quelques clics seulement, et ce sans avoir besoin de se rendre dans une bibliothèque. Historiens et universitaires se réjouissent de pouvoir profiter de cet outil, facilitant grandement leurs recherches (lire l’encadré).

Des textes et des images
«Scriptorium comprend aujourd’hui environ 650’000 parutions, se réjouit Silvio Corsini, conservateur de la BCU aujourd’hui à la retraite. Cela représente près de 8 millions de pages en libre accès!» Le travail réalisé en amont pour permettre de consulter ces titres, mais aussi les gravures, les photographies ou les publicités qu’ils contiennent, est colossal. En effet, avant de scanner ces anciens exemplaires, il a fallu les trier et compléter les collections, une tâche qui a occupé les employés de la BCU des mois durant. En accord avec les éditeurs, les parutions des dernières années ne sont en revanche pas accessibles. Ils conservent également les droits d’auteur des articles, l’exploitation de ceux disponibles sur Scriptorium étant quant à elle réservée à un usage privé.

Un cas complexe
Malgré l’expérience de l’équipe, le cas du Sillon romand a été particulièrement épineux: les éditions et les suppléments qu’il contenait ont tant varié au fil du temps que remettre de l’ordre dans ces publications s’est révélé être un véritable casse-tête. «De nombreux feuillets étaient encartés dans le Sillon, comme L’Ami des enfants ou Le Foyer des champs, détaille Silvio Corsini. Dans certaines éditions, ils disparaissent avant de réapparaître quelques semaines plus tard. Nous avons finalement fait le choix de les intégrer dans l’hebdomadaire, aux dates données.»

En piochant dans les collections des bibliothèques cantonales vaudoise et fribourgeoise, le conservateur est parvenu à recueillir la quasi-intégralité des publications, espérant compléter la collection au gré de dons ou de trouvailles de lecteurs assidus (ndlr: la liste des numéros manquants se trouve en bas de page). «Les journaux, plus délicats que les livres par la qualité de leur papier, ne sont peut-être pas les plus intéressants du point de vue littéraire, note Silvio Corsini. Mais ces documents modestes sont autant de reflets de la société qui méritent d’être conservés.» Depuis le lancement du projet de numérisation de la presse, la majorité des titres locaux ou régionaux ont d’ores et déjà pu être numérisés. D’autres publications agricoles et religieuses devraient garnir la plateforme dès l’an prochain.

+ d’infos scriptorium.bcu-lausanne.ch

Les archivistes cherchent encore les numéros du Sillon des mois de juin à décembre 1910. N’hésitez pas à nous contacter si vous en possédez, afin de compléter la collection.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Olivier Vogelsang

Questions à...

Alain Clavien, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg

Quelle est l’importance des journaux anciens pour les chercheurs?
Pour un historien travaillant sur l’époque contemporaine, soit de 1848 à nos jours, ils sont une importante source d’information sur de multiples sujets d’étude. Ils donnent des renseignements ponctuels et permettent de recréer une ambiance, de sentir une opinion publique…

À quel point la numérisation facilite-t-elle leur travail?
Il n’est plus nécessaire de se déplacer dans une bibliothèque pour commander de lourds volumes reliés. On peut travailler devant son ordinateur, cela facilite la vie. Par ailleurs, du point de vue de la recherche proprement dite, la numérisation et l’indexation des journaux représentent un gain de temps énorme. Elles permettent aussi des prospections sur une masse documentaire qu’il aurait été très difficile de traiter auparavant.

Est-ce le moyen le plus sûr de sauvegarder ces archives?
Oui. Outre le fait que la numérisation met les journaux à la disposition d’un plus large public qui ne se serait jamais déplacé à la bibliothèque, ce processus permet de sauvegarder des archives papier qui sont fragiles. Cela dit, la conservation des fichiers n’est pas sans poser elle aussi des problèmes.

En chiffres

  • 882 éditions du Sillon romand, né en juin 1898, sont consultables.
  • 26’884 pages de l’hebdomadaire agricole ont été scannées par l’entreprise 4digitalbooks.
  • 4000 pages peuvent être numérisées par jour sur ces scanners professionnels.
  • Scriptorium a été initié en 2012. Les journaux sont numérisés et mis en ligne jusqu’au début des années 2000 avant l’essor des PDF.

+ d’infos 4digitalbooks.com