Point fort
Paralysé par les recours, l’éolien est à la peine

Alors qu’un projet de parc vient d’être refusé à Sonvilier (BE), de nombreuses associations freinent la construction d’éoliennes dans le pays. Un jugement très attendu du Tribunal fédéral pourrait débloquer la situation.

Paralysé par les recours, l’éolien est à la peine

«C’est une surprise et une grande déception», soupire Patrick Roth, un des agriculteurs engagés dans le parc des Quatres-Bornes, à Sonvilier (BE). Le 27 septembre dernier, les habitants de la commune ont balayé à cinq voix de différence le plan de quartier qui prévoyait sept éoliennes sur sol bernois et trois côté neuchâtelois, alors qu’ils s’étaient prononcés à 75% en faveur de l’éolien cinq ans plus tôt. Dans le village, le climat est tendu. «Les opposants ont mené une campagne très active pour discréditer le projet, notamment en faisant du porte-à-porte. Nous avons été trop confiants, regrette le paysan. C’est quinze ans de travail partis en fumée…»

La suspension d’un parc éolien à la suite d’une votation n’est pas une première en Suisse, puisque la même situation s’était produite à Troistorrents (VS), en 2016, ainsi qu’à Court (BE), en 2019. Actuellement, seules 42 hélices tournent dans le ciel helvétique, les cinq dernières ayant été mises en service ce mois de novembre sur le col du Gothard (TI). Ce chiffre est loin d’atteindre les objectifs fixés par la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération, qui comprend 400 à 600 turbines – soit 4,3 térawattheures par an – permettant de couvrir 8% des besoins en électricité du pays.

Processus lent et complexe
Si les scrutins communaux peuvent être un frein, certaines associations de défense du paysage ont aussi leur part de responsabilité, puisqu’elles sont à l’origine de plus de la moitié des oppositions aux projets. Ainsi, parmi les quinze parcs qui ont entamé les procédures pour obtenir un permis de construire dans le pays, la plupart sont bloqués devant les instances judiciaires. «Ces recours doivent être examinés aux niveaux cantonal et fédéral. C’est un processus long et complexe qui peut durer jusqu’à vingt-cinq ans, contre cinq à dix ans dans les pays voisins, regrette Lionel Perret, président de Suisse Éole, association pour la promotion de l’énergie éolienne. Jusqu’à présent, les seuls parcs qui ont vu le jour sont ceux où les opposants ont retiré leur plainte.»

Mais une récente révision de la loi sur l’énergie pourrait changer la donne. Depuis 2018, un parc peut être considéré d’«intérêt national» si sa production annuelle est égale ou supérieure à 20 gigawattheures. C’est à la suite de cette décision que le Tribunal cantonal a validé le plan d’affectation pour la construction de six mâts, à Sainte-Croix (VD), après une pesée d’intérêts entre protection de la nature et nécessité de produire de l’énergie verte dans le pays. D’ici à quelques mois, ce sera au tour du Tribunal fédéral de se prononcer sur les recours. Cinq projets, dont trois dans le canton de Vaud, en sont à ce stade et pourraient aboutir ces trois prochaines années (voir carte ci-dessus). «Ces décisions sont très attendues, car elles pourraient faire jurisprudence et donner un signal fort aux opposants, expose Lionel Perret. Combinée au solaire, cette énergie peut permettre un mix 100% renouvelable. Sans compter qu’une éolienne produit aujourd’hui trois fois plus qu’il y a quinze ans. Nous devons accélérer la transition.»

Du côté des détracteurs, on craint cet effet domino. Jean-Marc Blanc, secrétaire général de l’association Paysage Libre Vaud, est catégorique: «Les éoliennes sont une menace pour la santé et la qualité de vie des riverains. Sans compter qu’elles mettent à mal la biodiversité et le tourisme dans la région. L’hydraulique et le photovoltaïque sont des sources d’énergie suffisantes», assure-t-il. À Sainte-Croix, la riposte s’organise, puisqu’une initiative communale a été lancée pour demander un moratoire de cinq ans. «Cela n’a pas de valeur juridique, mais ça permet de montrer que tous les citoyens ne sont pas d’accord.»

Opération séduction
Pour éviter une telle levée de boucliers dans leur région, les communes partenaires du parc éolien de la Grandsonnaz (VD), qui devrait être mis à l’enquête à la fin de l’année, ont organisé une opération séduction auprès de leurs habitants. Un parcours didactique a été mis en place sur le site, en octobre. «Beaucoup de fausses informations circulent, car c’est une thématique émotionnelle et un combat de principe pour certaines personnes. Nous savons déjà qu’il va y avoir des oppositions. Mais nous voulons prendre les devants et renseigner de la manière la plus objective possible», souligne l’ingénieur Michaël Berset, chef du projet. Parmi les thèmes abordés, l’accent est mis sur les efforts entrepris pour limiter l’impact sur la nature, en collaboration avec des spécialistes. «Bien qu’une éolienne de 150 mètres ne soit pas très discrète, cette technologie pourrait avoir des effets positifs sur le climat», estime-t-il.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): DR

Combat politique

Déposée en septembre, la double initiative «Biodiversité et paysage» demande notamment  une protection accrue de la nature et une limitation du bétonnage en campagne. Pour Suisse Éole, il s’agit d’une menace pour le développement des éoliennes. «Les énergies vertes sont essentielles pour sauvegarder le climat, donc aussi la biodiversité. Sans elles, la Suisse augmentera ses importations en hiver et consommera davantage d’électricité produite à partir du charbon. Ces initiatives ne rendent pas service à leurs propres objectifs», a déclaré l’association.

Un pas de plus à Fribourg

Le feu est presque au vert pour la construction des premières hélices dans le ciel fribourgeois, canton disposant du plus grand potentiel venteux après Vaud et Berne. Le Conseil fédéral a récemment validé le deuxième volet du plan directeur cantonal, soit la délimitation des zones pour l’installation des turbines, après près de vingt ans d’attente et de planification. Sept sites ont été retenus, même si tous ne seront pas forcément construits. Quatre d’entre eux ont le statut de «coordination réglée» et sont à un stade de développement plus avancé, comptabilisant une trentaine de mâts. «S’ils se concrétisent, cela permettrait de couvrir environ 10% des besoins en électricité du canton», expose Olivier Curty, conseiller d’État chargé du dossier énergétique. Toutefois, des associations de protection du paysage et de l’environnement – telles que Paysage Libre Fribourg, Sauvez les forêts du Gibloux ou Vents Contraires – se tiennent déjà prêtes à faire opposition aux projets qui seront un jour mis à l’enquête. Ces activistes dénoncent notamment l’impact sur la qualité de la vie des riverains, les motivations économiques des promoteurs ou encore la destruction de la faune. Olivier Curty rappelle toutefois que «les Fribourgeois ont massivement voté pour la Stratégie énergétique fédérale, à 63,2%. Même s’il est vrai qu’il s’agit d’une installation particulièrement visible, il s’agit d’une technologie très efficace dont l’impact environnemental est relativement faible.»