Un jardin-rucher permet aux êtres cabossés de reprendre pied

À Morges (VD), le rucher de la fondation Le Relais contraste avec l'agitation urbaine. L'extraction du miel est un moment important pour les bénéficiaires de la mesure de réinsertion sociale TerraTempo.
21 août 2024 Margaux Mauran 
Au cœur du jardin du centre de formation CEFIL, à Morges (VD),
l'apiculteur Guillaume Schneider (à g.) dispense ses conseils aux bénéficiaires de la mesure TerraTempo.
© Olivier Vogelsang
Au cœur du jardin du centre de formation CEFIL, à Morges (VD).
© Olivier Vogelsang
Au cœur du jardin du centre de formation CEFIL, à Morges (VD).
© Olivier Vogelsang

Tel un îlot de verdure entre l’autoroute et la voie ferrée, le jardin du centre de formation CEFIL, à 500 mètres de la gare de Morges (VD), invite à l’apaisement. Si la visite de l’apiculteur Guillaume Schneider est habituelle, celle de ce matin comporte un caractère particulier: les neuf participants à l’activité vont extraire le miel des ruches et ainsi goûter au fruit du travail des abeilles.

Guillaume Schneider connaît les prénoms des bénéficiaires de la mesure de réinsertion sociale TerraTempo, et le tutoiement est naturel: le lien est déjà établi et un respect mutuel émane des échanges. Ici, les personnes ont souvent eu un parcours de vie jalonné de multiples difficultés, qu’elles soient liées à leur santé physique ou psychique, à des addictions ou encore à des contextes familiaux compliqués. L’objectif est d’aider chacun à retrouver un rythme de vie, recréer du lien social et réactiver certaines de leurs compétences.

Ruches faites maison

Peu à peu, le groupe prend place devant de magnifiques ruches: elles ont été confectionnées au début de la mesure TerraTempo par les bénéficiaires de l’époque et l’apiculteur, par ailleurs cheville ouvrière de l’association Mellifera (lire l’encadré). De quoi instituer, selon lui, «une forme de passation entre ceux qui ont aménagé l’endroit il y a trois ans et ceux qui le font vivre aujourd’hui».

Avant d’œuvrer au plus près des insectes, chacun s’équipe d’une vareuse de protection d’apiculteur. Pour plusieurs membres du groupe, les tâches courantes effectuées au rucher sont déjà bien connues. La concentration est de mise et avec dextérité, ils extraient rapidement les cadres de la ruche. Placés sur une brouette, ceux-ci sont transportés jusqu’au local d’extraction.

Retrouver un cadre

Christophe, bénéficiaire de la mesure TerraTempo depuis un peu plus d’une année, montre aux autres la méthode à suivre pour la désoperculation du miel: muni d’un peigne adapté, il enlève la cire qui bouche les alvéoles.

Enthousiaste, le quadragénaire met ici à profit sa large palette de compétences: il lui arrive par exemple de s’occuper des ordinateurs de la structure. Mais c’est l’entretien du rucher qui lui procure le plus de satisfaction. «C’est sympa de côtoyer des abeilles, dit-il. On sent une vibration, une chaleur, elles ne sont pas agressives, on développe la même sensibilité à leur égard qu’à celui d’autres animaux de rente.»

Après une vie faite de hauts et de bas, Christophe trouve ici un cadre dans lequel se poser. Et quand il est question du recueil des données issues des capteurs présents au rucher, plusieurs de ses savoir-faire se combinent.

Créer du lien

Si la production de miel est l’aspect le plus concret de Mellifera, son objectif 
est aussi de sensibiliser le public à la préservation de la biodiversité. L’un des ruchers de l’association, à Aubonne (VD), est ainsi adapté aux visites de groupes. Les écoles y sont reçues dans le cadre d’ateliers qui se déclinent sur l’ensemble de l’année scolaire. Un des autres temps forts est l’accueil des membres de l’association, les parrains et marraines 
de ruches: la distribution de miel se fait par abonnement, un moyen idéal pour Mellifera de créer un lien durable avec les consommateurs.

Pause tartines

Dans ce contexte de réinsertion sociale, chacun fait ce qu’il peut en fonction de ses capacités et de ses envies: certains éprouvent parfois le besoin de se mettre en retrait quand d’autres prennent part aux étapes d’extraction après une phase d’observation. D’autres retroussent leurs manches spontanément.

À 10 heures, la pause se fait attendre: il faut mettre en route la centrifugeuse dans laquelle les cadres ont été placés afin d’obtenir du miel pour les tartines. Lorsque le précieux liquide se dépose enfin dans le récipient, les regards s’éclairent.

Le matériel rassemblé, personne ne manque l’occasion de ramasser du bout des doigts le miel qui aurait coulé ici ou là. Sur une grande table, tous se rassemblent pour manger quelques tartines. Guillaume Schneider est particulièrement heureux d’intervenir dans cet environnement: «Pour ces personnes, il est souvent difficile de se conformer aux normes, mais ce sont des mines de savoir, c’est impressionnant!»

Se nourrir sur plusieurs plans

Après la pause, une partie des bénéficiaires délaisse les ruches au profit du jardin, entretenu par Karine Desselberger, maîtresse socioprofessionnelle maraîchère engagée par la structure à 60%. Enthousiaste à l’idée de présenter tout ce qui a été réalisé au fil des années dans ce lopin de terre, elle rappelle que les activités de TerraTempo comportent de nombreux aspects thérapeutiques: il s’agit de retrouver de l’énergie, de se motiver à évoluer au rythme du groupe, de s’intéresser à la terre et à son alimentation du quotidien.

Certains bénéficiaires sont en effet contents de pouvoir cuisiner les récoltes. Ainsi Alexandra, qui se rend à TerraTempo depuis quelques mois, apprécie-t-elle de pouvoir faire pousser ce qu’elle va manger, l’activité prenant alors tout son sens: «Ce que je fais ici me nourrit sur tous les plans», confie-t-elle.

La matinée touche à sa fin, chacun repart à son rythme, saluant les collègues. Guillaume Schneider se voit offrir un magnifique porte-clés en forme de cuillère à miel, réalisé discrètement par un participant sur le tour à bois de l’atelier. Une nouvelle démonstration de la place qu’occupent les relations humaines dans ce projet.

Mesure financée par l'État

En 2020, dans le cadre d’un appel d’offres du Canton de Vaud pour développer de nouvelles actions relatives à la transition écologique, la fondation Le Relais a proposé la mesure TerraTempo. Elle a été lancée en septembre 2021, portée par Jean-Marc Quiblier, éducateur social, Karine Desselberger, maîtresse socioprofessionnelle maraîchère et infirmière en santé mentale de formation, et Fabien Cerf, formateur d’adultes. Elle s’adresse aux bénéficiaires du revenu d’insertion (RI) du canton de Vaud, ainsi qu’aux personnes touchant l’assurance invalidité et qui sont en phase de réinsertion. Renouvelable de six mois en six mois, la mesure est financée par l’État au travers du RI. Le centre de formation dispose de plusieurs lieux qui permettent d’approcher différentes activités en fonction des compétences et besoins de chacun. On trouve, entre autres, un atelier bois, une cuisine, un espace boulangerie ou de vannerie.

+ d’infos cefil.relais.ch

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